En 1963, un homme-grenouille et sa femme décidaient de relier Toulouse à Bordeaux à la nage en hiver !
Il firent une halte à La Réole et dormirent quelques heures au Terminus.
Maternelle et sentimentale, elle affronte les Hommes sur leur propre terrain.
Fille du soleil, elle rêve de prospecter avec son mari l’Océan Arctique.
Le contraire d'un colosse, elle est « recordman » du monde d'immersion.
Frileuse, elle plonge dans les eaux glacées des fleuves canadiens.
A CHACUN SA DESTINÉE,
Il a suffi d'une rencontre pour que le destin de Liliane Colomb s'accomplisse.
On peut, à vingt ans, être championne de natation et préparer son diplôme d'infirmière, battre un tas de records sur l’eau entre deux cours à la Faculté.
On peut, à vingt ans, rêver de plongées sous-marines et épouser un magistrat.
En 1948, à la piscine municipale, la Bordelaise Liliane Colomb a rencontré Louis Lourmais. L'ondine admire aussitôt l'homme-grenouille dont les projets sont aussi merveilleux que des rêves. Ne parle-t-il pas de se rendre au Canada et de se mesurer aux eaux glaciales du Fraser et du Saint-Laurent ?
D'étudier la faune et la flore de l’océan Arctique, aux richesses inexplorées, et de prouver que l’organisme humain est capable de vaincre d'aussi redoutables obstacles.
Devenue Liliane Lourmais, devenue mère de famille, la pensionnaire de la piscine municipale aurait pu, comme tant d'autres femmes de son âge, se replier dans son foyer et tourner le dos à l’aventure. Elle aurait pu rechercher la paix parmi les livres et les fleurs. Mais elle ne s'est pas contentée de suivre son mari dans l'a-non ou sur le bateau. Elle a aussi épousé ses rêves et son courage, son entêtement et ses combats. Épouse, elle est devenue co- équipière. Femme, elle a affronté les hommes sur leur propre terrain et, non contente de les imiter, a fini par les surpasser.
Si vous rencontriez Liliane Lourmais dans une rue de Bordeaux, vous auriez, peine à croire que cette femme souriante, à la taille et aux mensurations moyennes, est celle-là même qui, à l'heure où paraissent ces lignes, nage dans les eaux boueuses et agitées de la Garonne, quelque part du côté de Langon.
A chacun sa vérité. Celle de Liliane Lourmais mérite de la considération !
Louis Dartigues.
Liliane Lourmais
- Madame, dès l'âge de neuf ans, vous avez été championne de natation et très attirée par la plongée sous-marine. Le jour où vous êtes devenue l'épouse de Louis Lourmais, ce jour- là a comblé toutes vos espérances ?
— Effectivement, nous nous sommes rencontrés en un lieu prédestiné, c'est-à-dire à la piscine municipale de Bordeaux, où je suivais un entraînement régulier, sous la conduite de Roger Dannenhoffer, actuellement à Niort, et qui a manifesté le désir de suivre notre randonnée en Garonne. Que je sois devenue l'épouse de Louis Lourmais, c'est cela, bien sûr, qui a orienté ma vie. Nous avions une passion commune, nous parlions le même langage...
— Et vous vivez sur la même longueur d'onde
— Oui, c'est cela. Mariage et association, voilà les fruits de notre rencontre.
— Non seulement vous accompagnez partout votre mari, mais vous participez, en effet, avec lui. Vous avez descendu ses côtés, pendant une partie du parcours, le Fraser, le Saint-Laurent et le Rhin. Et vous allez en faire autant, de Tonneins à Bordeaux. Cela figurait-il dans votre contrat de mariage ?
- Au début, non. Je ne m'imaginais pas en pareille compagnie. Et puis, ce qu' accomplissait mon mari a fait naître en moi un grand bonheur. Je me suis dit : « Il faut que je l'aide de toutes mes forces. Il a besoin de moi, de ma présence », et c'est ce sentiment qui a prévalu. J'ai donc continué à m'entraîner, à suivre la compétition. Et j'ai été comblée…
— Vous êtes, je crois, très frileuse. Alors, ces bains glacés dans le Saint-Laurent ?
— Frileuse, ça je le suis. Je suis une fille du soleil. On ne change pas, n'est-ce pas ?
Oui, ça a été dur pour moi , et ça l'est encore, alors, ces plongées dans les eaux froides. On souffre, vous savez ! Le corps garde ses réserves de chaleur pendant les trois premières heures de nage, mais après, gare ! On claque des dents. Alors, vous voyez...
- Il serait plus simple, pour vous, de rester au foyer, auprès de vos deux filles. D'ailleurs, une de mes voisines m'a dit : “Madame Lourmais, je l'admire, mais elle ferait mieux de s'occuper de ses enfants…”
- Alors là, mon mari peut en témoigner, jamais, peut-être, une mère ne s'est occupée autant que je le fais de mes enfants. Mes filles nous suivent partout, absolument partout. L'aînée, Patricia, âgée de treize ans, est née à Paris. La cadette, Joëlle, âgée de six ans, a vu le jour au Canada. Les deux parlent couramment l'anglais et trouvent dans leurs voyages une réelle source d'enrichissement. Patricia plonge déjà avec facilité et Joëlle l'imite bientôt. Tenez, vous pouvez le dire à cette dame, mon problème essentiel, ce n'est pas de franchir un barrage ou de lutter contre le froid dans les eaux d'un torrent, mais de bien éduquer mes enfants, jour après jour...
- Beaucoup d'épouses sont conseillères de leurs maris. Aidez-vous le votre dans la préparation, voire le choix de ses tentatives ?
- Vous savez, c'est très simple. Le but à atteindre, nous le connaissons; les moyens pour atteindre ce but, nous les connaissons aussi. Il n'y a, entre nous, ni divergence profonde ni différence de conception. Au fond, c'est cela qui est merveilleux, mon mari et moi nous nous considérons comme deux coéquipiers. Simplement, mon mari a l'idée, très souvent, de telle ou telle entreprise. L'idée vient de lui. je n'ai plus qu'à le suivre...
M. Lourmais s'est attaqué à de gros morceaux, comme le Saint-Laurent et le Rhin. N'avez-vous jamais été inquiète pour lui ?
- Inquiète, non. J'ai une confiance absolue dans ses possibilités. Je le connais, je sais jusqu'où il peut aller. Lors de sa tentative dans le Saint- Laurent, il a été obligé de s'arrêter, une première fois à Trois-Rivières, pendant quatre heures, puis à Cap-Santé, à quarante-cinq milles d u pont d e Québec. Et ça, c'est terrible. S'arrêter, c'est terrible, parce qu'il faut repartir. Les Canadiens pensaient qu'il ne repartirait pas. Mais moi, je savais qu'il repartirait. Je suis même repartie avec lui…
— Il est vrai qu'en général vous accomplissez vous-même un tiers du parcours. Au début ou à la fin ?
— Oui, je me mets à l'eau. J'ai fait ça pour répondre à une objection. On me disait : « Vous ne pouvez pas. Une femme ne peut pas. » Alors, j'ai voulu prouver le contraire. Et puis, peu à peu, me grisant peut-être, j'ai rêvé de l'exploit personnel. C'était à Montréal.
Un policier canadien détenait, avec vingt-quatre heures, le record mondial de l'immersion.
J'ai pensé que je pouvais mieux faire. J'ai essayé ; j'ai réussi. Avec trente heures, je détiens aujourd'hui encore le record mondial. Les femmes dépensent moins d'oxygène sous l'eau que les hommes; elles respirent plus calmement. Tout le secret est là...
» Maintenant, je vais répondre à votre question. Lorsque mon mari démarre, j'aime voir comment ça se présente, quelles sont les difficultés. Au début, je reste donc dans le bateau. Je sais quand mon mari a besoin de moi. Nous correspondons par signes. je sais quand il a faim et qu'il doit être ravitaillé. Ce sont des moments très importants.-
— Vous voulez parler de la nourriture f
— Non, la nourriture ne pose pas de problème en soi. L'important, c'est le moment où le
nageur s'arrête pour manger et où il casse son rythme. Il faut faire vite, car l'engourdissement risque de tout paralyser. Il est donc indispensable que je sois là. Mon mari est
habitué à mes gestes, à mes réflexes. Je sais qu'à telle heure, il doit avaler une pilule, à telle heure un peu de miel... Et, à la fin, si je nage à ses côtés, c'est pour le stimuler. Oui, c'est plus sentimental qu'autre chose. Les soixante derniers kilomètres sont vraiment les plus durs.
— Quand vous nagez ainsi, auprès de votre mari, quels sentiments éprouvez-vous ?
— On songe à un tas de choses, à l'accueil qui nous attend, aux dernières difficultés. Et surtout, surtout, comme dit mon mari, on pense à l'écurie, aux dernières brassées, aux derniers mètres. On pense, on pense, mais on n'a pas envie d'être bavard !
— Vous avez certainement beaucoup d'amies. Approuvent-elles ce que vous faites ?
- Des amies presque pas. Par contre, je reçois de nombreuses lettres d'encouragement et des femmes m'écrivent pour m e demander des conseils au sujet d e la plongée. Après mes premières tentatives, des hommes m'ont félicitée et, parmi eux, le docteur Bombard. j'ai été très sensible à ses compliments.
— A ces jeunes femmes ou jeunes filles qui vous écrivent, quels conseils donnez-vous ? Quelles qualités sont nécessaires à une femme pour réaliser de telles prouesses ?
— Prouesses, c'est beaucoup dire. Ce que je fais est à la portée de beaucoup de femmes.
— Vous le pensez sérieusement ? Nager pendant trente heures d'affilée, comme vous allez le faire, sans dormir, sans nourriture ou presque, sans moyen de récupérer ?
Ai-je l'air d'un colosse ? Vous parlez de sommeil. Il faut bien dormir avant et bien dormir après. Et, quand on nage, nager avec un rythme régulier, d'un cycle de bras toujours le même. De Toulouse à Bordeaux, mon mari va effectuer quelque 125.000 cycles de bras. Moi, un peu moins. Les qualités physiques, cela importe peu. Ce qui compte, c'est d'abord l'entêtement, la volonté de réussir, d'aller jusqu'au bout. Mon mari est Breton et il m'a inculqué cette volonté de gagner la partie quand on a décidé, une fois pour toutes, de s'aligner au départ. La volonté et ensuite l'équipement. Un bon équipement.
— Au fait, quel équipement ?
- D'abord, sur la peau, un collant en « Rhovil », qui empêche l'irritation et combat les rhumatismes. Ensuite, un vêtement isothermique normal de plongée en caoutchouc mousse. Le dernier modèle porte d'ailleurs le nom de mon mari. Enfin, par-dessus, un troisième vêtement en caoutchouc mince, destiné à éviter une trop grande infiltration d'eau. Enfin, bien sûr, en plus du masque, les gants et les palmes. Je crois que la panoplie est complète.
— Vous parliez d'infiltration d'eau ?
— Les gens pensent, en effet, que cette carapace est absolument étanche. Qu'ils viennent nous voir, à l'arrivée ! L'eau sort de partout. Et quand elle est à -2 degrés centigrades, comme celle du Saint-Laurent...
- C'est pour cela que ce que vous faites n'est pas à la portée de tout le monde. D'autres que vous laisseraient leur peau, dimanche, dans la Garonne.
- Ce sont les médecins qui le disent. Les médecins, à chaque fois, sont stupéfaits. Ils ont beau nous examiner sous tous les angles, ils ne découvrent rien d'anormal. Pas de pneumonie, pas d'angine. Et le cœur bat normalement. Les toubibs nous disent parfois : « Vous devriez être morts. » Et c'est là que mon mari triomphe. Son grand projet, vous le savez, c'est de descendre dans l'océan Arctique pour inventorier ses richesses naturelles, qui sont colossales. L'homme doit devenir le fermier de la mer. Ça, c'est l'idée-force de mon mari. Alors, il veut prouver que l'organisme humain s'accommode de ces difficultés tout à fait particulières.
— Ce combat hors série vous impose une certaine règle de vie et sans doute aussi des sacrifices. Tout cela est-il compatible avec, disons, la coquetterie féminine ?
- Si vous voulez parler du régime alimentaire, pas de problème : je mange ce qui me fait plaisir. J'ai d'ailleurs un gros appétit et ne me prive de rien. Pour le reste, je me trouve à l'aise dans la vie que j'ai choisie. Les dix années que nous avons vécues au Canada ne nous ont laissé que de merveilleux souvenirs. L'essentiel, pour une épouse, est de concilier son role de femme et de mère. J'y suis parvenue. Entre mon mari et moi, mes enfants et moi, l'intimité est toujours préservée. Nous adorons la musique et la peinture. Nous peignons souvent. Entre deux plongées...
— Vous n'avez jamais eu de surprises désagréables ?
- Si, une fois, lorsque j'ai tenté, avec mon mari, l'opération de l'île de Sein-Quimper.
A mi-parcours, j'ai eu un évanouissement. Le coup dur, quoi...
— Et les voyages interplanétaires, qu'en pensez-vous ?
- C'est aussi bien tentant. Mais on ne peut pas tout avoir en même temps. Il faut être raisonnable.
- Est-ce raisonnable, madame, que de nager, en février, de Tonneins à Bardeaux, sans vous arrêter, comme vous le projetez ?
- Entre nous, je crois que ça va être très dur, plus dur que l'opération « Rhin 0 degré ». Cette histoire de mascaret nous préoccupe et puis voilà que les eaux montent. Nous vous donnons tout de même rendez-vous à Bordeaux, dimanche, disons dans la soirée. Vous voyez, je ne précise pas l'heure. C'est plus prudent I
La nage en eau vive serait apparue à la fin des années 1950 avec Louis Lourmais, qui descendit le Saint-Laurent, le Rhin, mais aussi la Garonne, de Toulouse à Bordeaux sur 300 km. Les Archives de « Sud Ouest » ont conservé les traces de cet exploit réalisé en plein hiver 1963 par le couple de nageurs, Louis et Liliane Lourmais.
Il leur aura fallu cinquante six heures d’effort dans une eau glaciale pour rejoindre Bordeaux. Louis Lourmais, dit « l’homme grenouille » s’arrêta, une nuit, à La Réole, vaincu par le froid. Quant à sa femme, Liliane, « blême de fatigue et de froid, elle dut être arrosée d’eau chaude », raconte le journal « ».
Le couple de nageurs termina son expédition, en apothéose sous les acclamations de dizaines de milliers de personnes. « Toute proportion de taille gardée, le “Normandie” n’eut pas plus belle entrée dans le port de New York », conclut le journaliste de l’époque, qui décrit sans modération le calvaire enduré par Louis Lourmais. Le martyre commence à La Réole, à cause d’une combinaison neuve, trop petite , qui obligea « Lou » à s’arrêter et remettre la vieille qui prend l’eau de partout. « Faire 300 kilomètres n’est pas une entreprise tellement facile, mais avec du mauvais matériel en plus… », déclarait-il avant de replonger dans l’eau glaciale de la Garonne.
« Peu après le pont de Langon, franchi à 7 h 30 , « Lou » rampait sur l’eau, il ressemblait à un arbre mort flottant au fil du courant », témoigne le journaliste de « Sud Ouest ». À 9 heures, à Cadillac, Liliane a pris 2 km sur son mari. À 10 h 45, à Langoiran, elle conserve vingt minutes d’avance. Louis Lourmais, jambes ankylosées, visage tuméfié par près de quarante heures dans l’eau, « prolongea volontairement son supplice, pendant près d’une heure, en nageant le long de la berge entre deux paquets de roseaux ». « Un squale blessé et pris au piège », décrit le journaliste, qui raconte comment, à ce moment précis, « l’ingénieur Poudré, transforma l’échappement de l’eau du moteur de la pinasse en geyser d’eau tiède, avec un tuyau de caoutchouc ». À 15 h 45, Le « fauve marin » décrit par le journaliste, « cessa de cracher et de battre l’eau dans son coin, avala deux pilules et prit la Garonne à bras le corps » jusqu’à son arrivée triomphale à Bordeaux avec Liliane.
Cet exploit inspira un jeune Agenais paralysé des deux jambes, répondant au nom de Guy Noël, qui imita l’exploit du couple Lourmais, six ans plus tard. Celui-ci plongea dans la Garonne, au petit matin du 15 août 1968, à Toulouse pour rejoindre Bordeaux, 300 kilomètres plus tard.