Rechercher dans ce blog

sommaire-tous-les-articles Patrick Espagnet, natif de Grignols, fréquenta le lycée de La Réole à la fin des années 60. Son  C'est au Bar...

sommaire-tous-les-articles

Patrick Espagnet, natif de Grignols, fréquenta le lycée de La Réole à la fin des années 60.

Son 



C'est au Bar Basque que les soirs de corrida, Patrick Espagnet, ancienne plume disparue de Sud Ouest, venait dédicacer ses poèmes et haranguer les compagnons d'une vieille bataille estudiantine lentement élevée au statut de légende. 

Espagnet m'apostrophait pour mes antécédents d'étudiant-résident sur la célèbre place de la Victoire à Bordeaux. Puis il récitait comme un aboyeur de soirée la composition de notre équipe sortie victorieuse d'un match universitaire mémorable. Ici, nous entrons dans le grand mystère des réalités qui deviennent légende par les hasards de la vie. 

Depuis des années, aux fêtes de Dax, on entendait nier la simple existence d'un match Droit-Chir'Dent' de 1969 et donc son résultat qui sanctionna la défaite des «odonto-rubipèdes » ! Le plus savoureux est que ce que l'on croyait être une simple attitude de franche rigolade d'anciens étudiants s'est avéré très inexplicablement plus sérieux que prévu. La sagesse que nous ont enseignée Montesquieu et quatre ou cinq années de droit et de rugby nous suggéra de ne pas aller jusqu'à l'exposition en place publique des suspects pourfendeurs de l'Histoire ; mais tout en souhaitant ne pas les humilier, nous voulions leur donner l'occasion de faire amende honorable ou de se taire à jamais. En même temps nous prendrions un plaisir rare à nous remémorer une victoire historique de notre belle équipe de juristes-économistes contre le plus brillant rassemblement de dentistes-rugbymen de tous les temps (trois titres de champions de France universitaires) !

Philippe Darmuzey in "Dans la peau d'Albaldejo"


Le rugby est dans le pré

    À l'heure où l'on parle de plus en plus des équipes des grandes villes, reste la véritable richesse de ce sport. Gabarret en est l'illustration.

    Un vol de palombes se casse les ailes dans la chênaie. L'hiver sombre sent la fumée. 

    Le village roupille au rythme des stridences du CES. Un avertissement qui rap- pelle aux gamins qu'il est bon d'apprendre. Les arènes sont tristes depuis que les dernières vaches de l'été s'en sont allées. Chez Marco Pigeon, on se remet l'apéritif comme si c'était le dernier.

    On est à Gabarret, aux confins des Landes, du Gers, du Lot-et-Garonne et à vingt minutes de la Gironde. Loin de partout et près de nulle part.

    Dans une campagne tendre où les maïs finissent de faner et où les pins montent leur garde dans la guérite du temps qui passe.

     On est à Gabarret, comité de Côte d'Argent, club le GAS, 170 licenciés, troisième division. aux profondeurs du classement, 250 spectateurs au stade pour un village de 1 500 habitants et surtout une tradition, un amour, une passion pour ce ballon que l'on dit ovale et qu'ici on appelle plutôt une béchigue.

    Une vessie, car ça tient au ventre, aux tripes et à la tête aussi. Parce que, ici, on naît avec un ballon de rugby dans la main. " Y aura jamais de manchots chez nous ! " lance en rigolant Marco Pigeon, comme pour dire que les footballeurs ne seront jamais très bien vus en Bas-Armagnac. C'est le patron du bistrot, le daron du siège, une espèce de symbole également.

    "Moi, tu sais, dit-il, je me suis expatrié à Mont-de- Marsan et à Tyrosse. Sans doute parce que je voulais jouer à un haut niveau. Mais je n'ai eu de cesse de revenir ici. C'est mon clocher, mon village, mon club et, au-delà de toutes les sensibleries, j'y resterai toujours fidèle. Ma madeleine de Proust à moi, c'est le chou-fleur vinaigrette et l'œuf dur qu'on avalait après l'entraînement. Je n'ai jamais connu un repas aussi magnifique. Aujourd'hui, j'ai l'impression que les jeunes n'ont plus cet appétit. Ils s'en foutent, de tout. Moi, je me disais : je vais jouer, quel bonheur ! Eux, on dirait qu'ils arrivent sur le terrain pour faire des heures supplémentaires. Je veux pas passer pour un vieux con mais, à mon époque, on se faisait tailler, on se faisait chier, on prenait des bouffes dans la gueule, on donnait 20 francs pour aller manger du jambon-purée, mais tu peux pas imaginer le bonheur qu'on avait de jouer ensemble."     Marco Pigeon a été un grand joueur de rugby. Il fut une époque où on se l'arrachait dans les clubs les plus huppés. Mais Marco est de Gabarret. Brassens avait chanté les " imbéciles heureux qui sont nés quelque part". Il s'était un peu planté le grand moustachu de Sète qui, lui aussi, était né dans un endroit. On naît à Gabarret et on est du GAS. Forcément. Comme François Labat, sûrement un des meilleurs troisième ligne français. Comme Michel Couturas, comme les frères et les cousins Labaty, comme, plus loin dans le temps, les Lamarque ou les Malange.

    Comme Christian Mougin qui fut sans doute un des plus jolis centres français des années 1970. Il est prof de gym au CES. Il a toujours cette passion du beau jeu au fond des yeux. Il a entraîné longtemps le GAS. Avec, sans arrêt, ce désir d'apprendre le beau geste, la belle attitude, ce qui fait le sel du rugby de la lande. Celui des terrains secs parce que le sable a été gentil avec la pluie. Celui des pelouses frisées parce que l'alios était sympa. Ce très beau joueur est devenu éducateur. Pas facilement dans un village qui connaît ses clivages. "Le rugby, dit-il, c'est la seule chose qui nous réunit, au-delà des oppositions politiques, religieuses ou même des querelles de voisinage, il reste le fédérateur. Avec lui, tout le monde se retrouve, le dimanche après-midi au stade, entre le cimetière et la buvette. Nous avons ici une vraie culture, une tradition profonde, le sens et l'amour du ballon."

    Guy Dumas, le président actuel du GAS, et ancien demi de mêlée de talent, renchérit : "Tu sais on galère. On fait tout ce qu'on peut, mais avec les moyens du bord. Les bons joueurs s'en vont. Ils bossent à Bordeaux ou à Mont-de-Marsan. Nous sommes un club formateur, mais, le bénéfice, c'est souvent pour les autres. On n'a plus d'emplois ici. Nous sommes désespérément - et peut- être heureusement - agricoles. Si bien que, par exemple, il nous a manqué les deux seconde ligne tout le début de la saison parce qu'ils étaient maïsiculteurs et qu'ils ne pouvaient pas se déplacer. On est les pelés, les tondus du rugby français. Mais on s'accroche avec la foi des vrais amateurs. Des bons joueurs, on en a toujours formé. Y'en a deux à la Section paloise, un à Bègles, un autre au SBUC et tous ceux que j'oublie. On peut pas lutter avec les villes. Ici, on est loin de partout. Mais, finalement, c'est peut-être une chance. Celle qui nous permet de conserver les vraies valeurs de ce sport." On est à Escalans, autour d'un salmis, près de la vieille église et de la paix de ses pierres.

    Arrive Marc Dal Maso, talonneur international qui cultive le maïs à deux règes d'ici. Il n'a jamais joué à Gabarret, même s'il est de là. Un peu comme s'il fallait faire la démonstration que cette terre est bénie des dieux de l'ovale. Il s'assoit et parle. Du pays, d'Agen où il est bien, du rugby landais qu'il aime plus que tout, des vaches, des écarteurs, de cette sauvagerie qui vient soudain dans la tête parce que, peut-être, le voyage à travers les pins est trop étroit. Il parle des hommes qu'il a connus, à Mont-de-Marsan et sur les rives de la Garonne. Il raconte des histoires de types qui ne se prennent pas trop la tête. De types bien et courageux. Marco Pigeon en rajoute : "Tu vois, je m'appelle Pigeon mais je peux te dire que j'y ai laissé des plumes dans ce putain de rugby, même si j'ai rarement joué à l'aile. Moi, tu sais, j'ai un village dans la tête. Il s'appelle Gabarret. Je l'aurai toujours par une espèce de fidélité qui est sans doute démodée: Je m'en fous. Ici, y'a un mec qui s'appelle André Recchia, un pilier, un dur. On se moquait de lui parce qu'il avait des caleçons longs, de la paille dans les godasses et un gauche redoutable. Mais, pour moi, c'est l'exemple même de ce que le rugby doit demeurer. Un sport de racines et d'authenticité."     Et on parle autour de la table, dans l'hiver qui refroidit pendant que le salmis fume. Gabarret va peut-être descendre cette année. Retourner en Honneur. Quel beau nom pour une déchéance.     Les quatre-vingts « drolles » de l'école de rugby ne le comprendraient sûrement pas. Les autres, ceux qui ont donné le nom à ce village à coups de titres et de victoires homériques, ne l'accepteraient pas. On a de l'honneur au fond des Landes, et il est plutôt bien placé. On sait que, quand André Boniface se permet de citer un club exemplaire pour le beau jeu, pour l'esprit, pour le geste, il n'hésite pas une seconde, c'est Gabarret. Les voisins d'Eauze, de Villeneuve-de-Marsan, de Roquefort, de Cazaubon sont peut-être jaloux. Ceux, plus lointains, de Captieux ou de Grignols ou de Bazas, s'aiguisent des rancœurs à longueur de bord de touche. Peu importe. Il existe, au milieu de la forêt, une véritable école du beau rugby. Moi, je m'appellerais Lapasset, je leur ferais même une statue.

Patrick Espagnet

Gabarret (Landes): le plaisir est dans le pré Sud Ouest Dimanche, 18 février 1993


Pilou 

Je n'ai jamais compris pourquoi c'était toujours ces jours-là...

Des après-midis de gros derbys !

Grignols-Captieux, Grignols-Bazas, Grignols-Casteljaloux... Plus de mille personnes au stade. Plus que d'habitants dans le village en comptant les vieux et les drolles...

Peut-être y avait-il quelque-chose dans l'air qui énervait les bêtes et les gens... Une excitation qui montait comme un brouillard de cette petite foule. Un agglomérat passager de cousins, de beaux-frères, de voisins, de collègues à l'EDF, de copains de palombière, de fâchés depuis toujours, de rabibochés de fraîche date: mais tous tellement étrangers parce que les uns étaient pour les verts et les autres pour les blancs ou les rouges...

Alors on se bisait entre germains, on se serrait de grosses paluches de paysans, des brandillons de bûcheron. On mélangeait des haleines de gros repas du dimanche. Les femmes comparaient leurs permanentes, les paloumayres leur tableau de chasse et les mémés leurs petit-fils facteurs à Paris.

On remettait le blanc-limé à la buvette. Mais tous étaient tendus, ennemis bien sûr, sans le dire. Les politesses sonnaient faux. Les voisinages sentaient la querelle. Le lundi ne serait pas pareil...

Les regards s'enfuyaient vers le ciel. Ceux qui étaient gros devant attendaient la pluie. Les bons derrière maudissaient les nuages. Le village, à côté du stade, était silencieux comme un cimetière. Même les vêpres étaient muettes. Le curé, aussi, devait être au pré...

Nous habitions à côté du terrain. Une petite maison avec un grand jardin séparé des tribunes par un champ de maïs. Des fois, quand j'avais pris une trop grosse barre la veille, il m'arrivait de me changer à la maison pour aller jouer ou arbitrer la réserve.

Au fond du jardin, au ras du champ de maïs, on avait un parc à cochon, un "courtey" comme on dit ici. On y élevait un porc qu'on aimait et qu'on assassinait rituellement autour de février.

C'était un animal très domestique. Énorme et intelligent. Goulu et souriant. Affectueux et vorace.

Deux fois par jour on lui donnait du "son" acheté au boulanger; et des betteraves, de la chicorée, des patates, enfin tout ce que le jardin fournissait. Si bien' qu'il était gras comme une loche avec des jambons chaque fois plus blancs que rouges.

Il était le plus heureux des porcs, pendant presque un an, avant qu'il ne soit "bounn aou coutett", bon au couteau.

Mais je ne sais quel hasard faisait que, les jours de grands matchs, de gros derbys de nos maigres villages orgueilleux, je n'explique pas pourquoi il choisissait cet événement si important pour se faire la malle.

L'électricité dans l'air peut-être... Cette rumeur de la foule proche, ces sentiments exacerbés par l'importance de la rencontre, ces cris qui ne tardaient pas à saluer un essai raté, un arbitre nul ou une pénalité réussie. Ce brouhaha où se mêlaient les insultes et les admirations, les haines de vieux voisinages et les fortunes diverses des familles alliées.

Tout ça devait lui faire bizarre au cochon, lui qui n'avait connu jusque là que le silence des papillons...

Et comme il était pas con - on a toujours eu, sans se vanter, des porcs très malins à la maison-, il réussissait à ouvrir la porte du "courtey", du parc à cochon.

En sautant (il était grand le bougre), en bournillant de son groin rageur la serrure, en poussant de tous les côtés avec son cul énorme (il pesait souvent 200 kilos), en finassant, en grognant, en têtu, en finaud, en sauvage, en presque humain il parvenait à s'évader...

Et il se barrait dans le maïs.

Souvent un type, entre deux mêlées, était allé pisser derrière les tribunes. L'oeil dans le vague, comme ont souvent les urineurs, il découvrait la bête à deux mètres en train de ravager le champ.

C'était souvent un voisin, le pisseur. Un qui avait ses habitudes urinaires au même endroit, au même moment après la buvette, souvent en début de deuxième mi-temps. Un moment important s'il en est dans un derby. Les passions y sont toujours les plus intenses.

Négligeant la dernière goutte, le type était pressé de rejoindre la main courante.

Déjà un renvoi aux 22 semblait acculer les siens. Mais il se souvenait quand même du cochon. Il savait qui il était et à qui il était. Le propriétaire était là. Toujours à la même place. Au sixième rang à l'extrême gauche de la tribune qui n'en comptait que dix.

C'était mon père. Alors, embrumé de rosé et se dépêtrant maladroitement de ses ennuis de braguette, le type gueulait vers le sixième rang.

- Jeannot ! T'as le cochon dans le maïs ! Mon père, Jeannot -par ailleurs secrétaire du club-, faisait d'abord semblant de ne pas entendre. Seule une grimace dégoûtée signifiait qu'il avait entendu mais qu'il en avait rien à foutre.

Le type, enfin rebraguetté, devait remettre ça, plus fort...

– Jeannot, putain ! Je te dis que t'as le cochon dans le maïs !

- M'emmerdez pas ! Je regarde le match! Là, les quelques témoins et le pisseur comprenaient enfin que c'était vraiment pas le moment de déranger le secrétaire du Club Athlétique Grignolais...

La guerre se passait sur le terrain. Un petit 6-3 menaçait de s'égaliser. Quelques gros se pignaient. La foule rugissait. Les sapinettes s'affolaient. Les oiseaux de l'hiver traçaient des affolements dans le gris du ciel. Des bérets s'envolaient. 

Des blancs limés se sifflaient en vitesse. Les femmes s'accrochaient aux parapluies. Un ivrogne gueulait. Un autre lui répondait. L'odeur des mêlées fumait. Des arcades éclataient comme des coquelicots. 

Le gravier craquait. L'herbe sentait la boue. Les nuages parfois ronflaient. Le vent, lui-même, n'avait toujours pas choisi son camp. Une vraie entame de deuxième mi-temps...

Un essai plus tard, pour les siens, le pisseur regagnait la buvette, au ras de la buvette et du champ de maïs.

Un essai de merde, sans deux passes. Un essai de gadoue et de hargne. Mais un essai quand même, aussi important qu'un joli débordement sur l'aile...

Un essai pour claquer la gueule aux voisins, aux orgueilleux de Bazas, aux méchants de Captieux, aux 47 (Lot-et-Garonne) de Casteljaloux...

Alors le pisseur, déjà embrouillardé par l'ivresse de la victoire palpable, recommandait un blanc limé et retournait pisser, le temps du renvoi.

C'est là qu'il retrouvait le cochon dans le maïs. Un goret piétinant à loisir le champ, labourant de son groin les règes toutes fraiches. Un bandit tout rose sur la verte honnêteté de la terre...

Là, le pisseur, paysan lui-même, ne pouvait plus supporter le carnage. Il devait revenir à la charge. Il lançait au sixième rang à l'extrême gauche des tribunes...

-Jeannot ! T'as le cochon dans le maïs ! - M'emmerde pas ! Je regarde le match! - Mais, milledious, qué ba toutt s'abala ! 

Mais, milledieux, il va tout s'avaler !

N'ass qu'à ana bèze la fimelle ! T'as qu'à aller voir ma femme.

Alors le pisseur, profitant d'une éponge magique qui gagnait du temps, sautant les barbelés, tapant à la fenêtre de la maison, l'homme secourable disait à ma mère:

- Nénette, t'as le cochon dans le maïs...

Et il s'en retournait vite en bord de touche où des hurlements lui annonçaient qu'il s'était passé quelque chose d'important.

Ma mère chaussait ses sabots et s'en allait dans le maïs.

Elle appelait doucement.

Pilou, Pilou, Pilou...

Au bout d'un moment il arrivait le drolle, le porc. Content. On aurait dit qu'il souriait. Il se dandinait de ses deux cents kilos comme une grosse truie qu'il n'était pas. 

Il grognait de plaisir. Déjà il commençait à se rouler par terre, à se mettre sur le dos. Il attendait la caresse pareil à un petit chien. Ma mère lui parlait comme à un enfant. Petit, petit, petit, joli, joli, joli...

Et le porc de se tordre et de rigoler. Demandant qu'on lui gratte le ventre, qu'on lui peigne la soie, qu'on lui flatte la couenne, qu'on discute avec lui. 

Un énorme bonbon de tendresse, rose dans le vert du maïs.

Ma mère l'amadouait bien vite. Il la suivait tranquillement jusqu'au parc à cochon, au "courtey" au fond du jardin. Il y rentrait sagement comme on rentre à la maison. 

La perspective de la gamelle sans doute... Souvent, quand elle l'enfermait, ma mère entendait une immense clameur venue du stade. - Ah, disait-elle doucement au cochon, ils ont dû gagner...

Peut-être un mois après, ma grand-mère faisait la fricassée. Une sauce bizarre et succulente, avec tous les abats, dont la recette se passait mystérieusement de vieille en vieille. 

C'était un grand repas de fête où tous ceux qui avaient aidé à tuer le cochon étaient là.

Et le pisseur aussi. En tant que voisin il tenait habituellement la patte avant gauche quand le porc était bon au couteau. 

Et pour la fricassée, il ne manquait jamais de féliciter ma grand-mère, et ma mère pour avoir si bien soigné le principal acteur de la sauce. - Comment tu l'appelais déjà Nénette?...

 - Pilou.

- Ah oui, c'est quand on a battu Bazas...

Patrick Espagnet

XV Histoires de Rugby 

Culture Suds


sommaire-tous-les-articles Derrière Pierre Laville, peintre majeur du XX° siècle à La Réole, beaucoup d'amateurs ont profité de la beaut...


Derrière Pierre Laville, peintre majeur du XX° siècle à La Réole, beaucoup d'amateurs ont profité de la beauté de notre cité millénaire pour la reproduire sur toile.
Parmi eux, Francis Carretey occupe une place toute particulière.

Cliquez dans le tableau pour l'ouvrir plein écran
Le Marché sur les quais de La Réole
Le marché sur les quais (101x66 cm) 17/07/1974
(Collection privée)

Extrait 1 : le stand de Kiki Cots et sa mère (Kiki fait essayer une veste à un client

Extrait 2 :  Le stand de Michel Cots. Qui sont les transporteurs de volailles ?

Extrait 3Le fond du marché, des passantes sur le pont et des tentes au camping

Date du tableau : inscrit au verso

Né en 1922, Francis Carretey a été apprenti coiffeur chez Raoul Dubois, rue Armand Caduc.

Francis apprenti coiffeur chez Dubois

Je ne sais pas quand il a peint son premier tableau.

 Cliquez dans le tableau pour l'ouvrir plein écran
La Foire de la Toussaint (peint du 23-07-1973_20-10-1973)
Propriété de Elisabeth Scherrer 
                  Extrait 1                           Extrait 2                                 Extrait 3

Cliquez dans le tableau pour l'ouvrir plein écran
La Procession de Pentecôte (110 x 84) (Pas de date au verso)
Propriété Mairie de La Réole

Ci-dessous en lien des extraits en gros plan du tableau :

    
Le petit marché (huile sur toile 78x48 cm) 


La veillée (58x47cm)

Les vendanges chez les amis (81x 69 cm)










En 1983, une exposition Francis Carretey est organisée dans les couloirs de l'abbaye :

Pour voir le catalogue cliquez ici ou dans l'image


En 1987, pour le 1000° anniversaire de la création de La Réole, il obtient le Prix de la Ville


Roger Boussinot, maire de Pondaurat, écrivain et cinéaste, admirait l'œuvre de Francis Carretey


Francis Carretey avait son salon de coiffure au 15, rue du Martouret, à 200m de son domicile, situé rue Saint Nicolas entre la place Saint Michet et la place du Martouret. 


Daniel Arrouays, dont la grand mère habitait au Martouret, était coiffé par Francis Carretey : un chevalet avec un tableau en cours restait dans la pièce, on peut imaginer le coiffeur lâchant les ciseaux pour les pinceaux entre deux clients !
Marc Arrouays, son père, lui a raconté avoir été envoyé au STO en 1943 en même temps que Francis Carretey.
Francis Carretey est décédé en 1993.

Les peintres à La Réole au 20e siècle et 21e siècle (Michel Balans)

Pierre Laville 

Jean Laville 

Pierre Laban 

Pierro Merlin 

Guy Ribéra 

P. Descouens  

Marcel Gimenez 

M. Balans 

Françis Carretey  

André Malaroche  

M. Chapuis  

Yannick Ducot  

Jacques Thomas  

J.P. Bouscaru 

Mme Durand  

Cécile Pierson  

Edith Gorren  

Stéphane Getas   

Carole Bielicki  

J.P. Pendanx 





Tous les  articles  du blog  :   ici En 1978, le journal " Elle" lance une grande enquête sur les femmes en France. Pour la Giron...

Tous les articles du blog : ici


En 1978, le journal "Elle" lance une grande enquête sur les femmes en France.

Pour la Gironde c'est Michèle Perrein qui en est la rédactrice 


ELLES EN FRANCE 


Raconter par la voix d'une romancière les Françaises, leurs soucis, leurs rêves, ce qui est drôle et irritant dans leur vie quotidienne et, surtout, ce qui a changé profondément dans leur sensibilité et leur manière de vivre: tel est le but que nous nous proposons dans les six semaines à venir.

Aujourd'hui voici Michèle Perrein avec les femmes de la Gironde. Des femmes qu'elle connaît bien, elle qui est née à La Réole, elle dont la famille habite la région depuis 300 ans.

Devenue parisienne, elle n'a pas voulu corriger son accent et elle retourne souvent au pays. Parce qu'elle se sent sur ces lieux des instincts de propriétaire, parce qu'elle en aime le haut degré de civilisation. Michèle Perrein, qui s'est passionnée pour la cause des femmes (son prochain livre « Entre chienne et louve» sort le 1er février 1978 chez Grasset) a été bouleversée par l'importance des changements qu'elle a rencontrés. C'est ce qu'elle a voulu

vous transmettre.



LA GIRONDE


par Michèle Perrein, Photos Henri Elwing


Il n'est pas facile de parler de ce qu'on aime. Même pas ce qu'on aime, ce qu'on a dans le sang et qui est pire Dans mon sang il y a une Gironde, une Guyenne, une Gascogne et quelquefois je ne sais plus mois même où ça s'arrête ni comment ça s'appelle.  Ça prend sa source où prend sa source la Garonne et ça se jette en large estuaire dans Océan.

Jusqu'à l'Océan qui est à moi, jusqu'aux forêts de pins landais.

 Dans ce que j'appelle mon pays le suis comme un navigateur et comme un propriétaire terrien, je barre et j'arpente.

 Je surveille la couleur des vignes, j'aime les nuances noires, violettes, rousses ou roses de la terre nue, je respire l'odeur du tabac suspendu, je regarde monter l'orage, je souffre si les longs toits de tuile romaine se gondolent. J'admire la blondeur des pierres.

 Le régisseur mental de la propriété c'est moi. Les petites routes que je connais m'appartiennent mais celles que je découvre deviennent mes nouveaux trésors. Je ne me lasse pas d'être de "là" de me sentir filles de l'inondation et du feu, ces fléaux qui habitent mes souvenirs d'enfance et dont personne ne peut me dissocier.


Quelque chose a changé


Mais "là" où est-ce ? Je suis faite de triangles de plus en plus petits inscrits dans un plus grand triangle. Le plus petit a pour centre La Réole où je suis née. Il pousse une pointe nord-est dans l'Entre-Deux-Mers par l'abbaye de Saint-Ferme, file vers l'ouest jusqu'à Sauternes, descend sud ouest à la cathédrale, la place à arceaux de Bazas, attrape Meilhan, Couthures et ses aloses, à l'est. 

"Là" est mon plus petit pays, celui que j'inspecte le plus jalousement.

 Personne encore n'y construit de centrale nucléaire (comme à Braud-et-Saint-Louis) mais déjà des immeubles modernes éclatants de blancheur crayeuse sont venus défigurer des sites, offenser la beauté de la pierre, cette pierre que Mlle Maymeudon, antiquaire qui a fui  Paris puis Cannes pour venir s'installer espère faire davantage aimer et restaurer. L'autoroute nous écornera bientôt mais nous délivrera peut-être de la folle circutation des poids lourds sur la nationale 113.

 Au fil de l'eau, sur le canal latéral à la Garonne, glissent les péniches, des écluses s'ouvrent et se ferment au rythme d'autrefois et les maisons fragiles d'éclusiers sont ombragées par des platanes centenaires et royaux.

 J'ai vu des vaches poussées, pour rentrer à l'étable par une 2 CV au pas qui collait à leur croupe et sur l'aérodrome des avions grands comme des sauterelles se sont mis à proliférer mais personne ne vole plus jamais comme Marcel Doret sous le pont suspendu


Ça change. Quelque chose a changé. 

A côté de la grande tradition - et la grande tradition reste le vin même si des Américains, des Allemands se sont appropriés certains grands crus - à côté du long village de Morizès au bord du Dropt où des tuiliers travaillent encore à l'ancienne, cuisant de leurs mains les carreaux roses et blonds de Gironde je pense aux David, oncle et neveu, voisins et ennemis. mais artisans précieux se vit toute une mutation mentale. Oui, le goût du vin, le sens du vin demeure notre don essentiel et nous parons notre boutonnière même si nous ne sommes pas vignerons des Saint-Emilion, des Saint-Estèphe-du-Médoc -mon royaume contre une bouteille de sauternes-parce que nous avons besoin de conserver en nous ce que nous sommes, des vieux civilisés, des amateurs de cuisine, des romanesques, des médisants parce que la médisance est imagina- tion comme l'est notre capacité flemmarde de regarder couler le fleuve afin d'y saisir ce que nous allons devenir.

- Pourquoi dans votre roman - Le Buveur de Garonne-, m'a demandé d'un ton inquisiteur un jeune professeur, les femmes. ont-elles toutes de la personnalité ?


Les femmes existent


Je n'ai pas su répondre, pourtant c'est vrai que, dans mon pays, les femmes existent. Sous beaucoup d'histoires que l'on m'a racontées, j'ai trouvé des mères et des mères terribles. Mais quoi, avant moi, François Mauriac, le maître de Malagar, ne l'avait-il pas dit ?

Si sa Thérèse Desqueyroux n'avait pas été prototype, comment expliquer que toute la Gironde se soit reconnue dans cette presque criminelle ? Or, empoisonneuse, elle n'a tenté de l'être que parce que la pression de la société. à son époque, était telle qu'une personnalité féminine n'arrivait pas à s'exprimer et parfois explosait. Chez d'autres femmes, dans l'avant-guerre de Mauriac, le commandement s'exprimait. Seulement, il ne s'exprimait qu'avec l'âge mûr et la propriété. Cette femme dont je parle, c'est celle qui s'appelle en gascon la dauna - (prononcer daoune), c'est la maitresse. Maîtresse de la terre, maîtresse de l'argent, maîtresse de la tradition, maîtresse de la maison. Autrefois la force comprimée des femmes n'arrivait au jour qu'assez tard, avec le pouvoir.


Eh bien, il en existe encore des "daunas", mais les filles ne se laissant plus faire, elles sévissent de moins en moins. Si les filles ne se laissent plus grignoter par les mères, elles n'auront plus besoin d'attendre l'âge des daunas - pour exprimer à leur tour une personnalité, et cette personnalité ne sera plus négative. A qui est-ce que je pense, est-ce à Suzanne, est-ce à Hélène ou à ces sages élèves du lycée de La Réole qui suivent les cours d'occitan?

Elles étaient dix dans la classe de M. Laliman, assises sur les tables, et l'heure de gascon est passée comme cinq minutes intenses tant paraissait profonde en ces filles de quinze ans la recherche de leurs propres racines. C'est une démarche à laquelle on ne pense pas à Paris mais essayer d'extirper de soi les mots qui y sont enfouis, qui ont été occultés depuis la propre enfance des pères, des mères et parfois des grands-pères, est un premier travail de reconquête. Savoir de quels mots on est faite, de quelle poésie, où sont ses sources, est le premier pas en avant, celui à partir duquel on pourra tenter tous les autres.


La liberté par l'expression


Mais Suzanne, mais Hélène ? Ni Suzanne ni Hélène n'ont éclairci leur vie par ce retour aux sources, pourtant Suzanne et Hélène aussi sont significatives d'une modification. féminine bien qu'il puisse paraître saugrenu que je les compare dans la mesure où Suzanne pourrait être largement la mère d'Hélène qui a vingt-trois ans. Si je les compare, c'est parce qu'elles sont des filles, restant dans leur conscient et subconscient gravement liées à des mères. La mère de Suzanne a quatre-vingt-dix ans maintenant, elle fut l'exemple le plus éclatant de la dauna qui, et sans le savoir, a tout fait pour que sa fille n'arrive pas a construire sa vie. Suzanne s'est mariée quatre fois, a eu trois enfants mais, à travers les avatars de sa vie, elle s'est accrochée à un seul élan stable : la peinture. Ses dessins d'abord, ses toiles qu'on peut dire de plus en plus figuratives ont été non pas la bouée à laquelle on s'accroche mais l'identité de Suzanne. Une identité chèrement payée qui demeure et qu'on respire, apaisée, dans la maison en forme de navire dominant à Meilhan le point où Garonne et canal se frôlent. Hélène parle aussi de sa mère, parle de son père. On la sent partagée entre un désir d'imiter le père fort, de comprendre la mère douce. Douce ou cachée ?

- Ma mère ne m'a jamais rien confié.

Hélène, elle, parle et c'est par la parole, sans doute, qu'en effet la liberté viendra aux femmes. Par l'expression. Parce qu'Hélène aurait aimé que sa mère lui parlât d'elle pour comprendre peut-être la vie, elle a osé ce qu'on n'ose guère en province, elle a voulu revendiquer au grand jour une sexualité libre. A dix-huit ans, elle est partie avec sa petite valise, non comme on partait de mon temps c'est-à-dire loin, elle est partie près. Elle est partie comme on dit "j'existe". avec ses goûts, ses sentiments, son indifférence au mariage, ses rêves de travail. Quand on connaît le pays dont je parle, sa capacité de vous coincer dans la réprobation, on ne peut que constater le courage d'Hélène, son petit panache. Prendre des risques lorsqu'on est une femme, ce n'est pas si banal. Mais les filles jeunes n'ont pas fini de m'étonner. Françoise - la sensible, la réfléchie Françoise, qui a vingt et un ans, qui est licenciée de philosophie, qui a aussi choisi sa vie bien qu'elle hésite encore entre sa nature contemplative et sa nature active, qui n'est pas attirée par le mariage, m'a dit ce que j'ai mis quinze ans à comprendre pour mon compte, qu'il ne faut pas, dans un couple, prendre l'autre pour le sauveur permanent, le régulateur, c'est-à-dire à la limite le dépotoir. Cette existence brusque et si claire de l'autre en tant qu'autre dans l'esprit d'une fille de cet âge m'a, je l'avoue, comblée, je ne croyais pas qu'elles en étaient déjà là. L'amour n'est plus la panacée, l'amour n'est plus compensation, l'amour va pouvoir être amour.


Et Maritchu? Avec son prénom basque, Maritchu n'est pas Basque et elle a la trentaine. Comme les femmes qui précèdent, elle s'est confiée à moi si simplement que j'ai le souci de ne pas la trahir. Elle travaille et ce qu'elle entreprend lui réussit. Elle est homosexuelle depuis qu'à vingt ans elle a eu la révélation brusque que son corps aimait les femmes et non les hommes. Elle vit ses goûts avec simplicité, sans ostentation, dans une ville où, il n'y a pas une génération, le seul homosexuel repéré était contraint d'aller vivre ses amours à la grande ville. Est-ce la province qui a changé ? Est-ce que ce sont les mœurs ? Est-ce que ce sont les pulsions et les goûts? Pulsions et goûts ont toujours existé mais autrefois on les barrait. Parce que Maritchu a su vivre simplement sa nature, elle a su l'imposer et cela lui a semblé facile.

Pour être ensemble


Il y a donc rupture aujourd'hui avec l'image conventionnelle de la femme. Déjà l'accueil que j'ai reçu, la confiance que l'on m'a faite étaient signés. Où était donc passée cette fameuse rivalité, cette jalousie des femmes entre elles? Je ne l'ai pas rencontrée. Je ne l'ai pas rencontrée par exemple à Gironde-sur-Dropt, où des femmes. actives mais sans profession se sont groupées. Pourquoi ? Pour être ensemble. Pour faire trois kilomètres de marche à pied le matin, pour bridger, pour enseigner le catéchisme aux enfants, pour visiter les monuments de la région qui pullulent, pour lire et discuter des livres lus. Dirais-je leurs noms? Impossible de les citer tous. 

Elles s'appellent Mme Comblat, Mme Rual, Mme Bienvenu, Mme Dubroca, Mme Monguay.... Chacune mériterait un article entier dans cette histoire qui est à suivre. Parmi le groupe de Gironde, se trouve - étonnement - une Vietnamienne. Chuc-Dung Dang Tran a trente-sept ans, elle en paraît vingt-huit. D'Hanoi, où elle est née, à la Gironde, le périple est long mais il recoupe très exactement mon propos. Si elle est partie du Viêtnam, c'est bien pour ne vivre que sa propre identité puisqu'elle refusait de se laisser marier de manière traditionnelle avec le premier inconnu présenté par la famille. Étudiante à Paris, elle travaille trop, tombe très vite malade, est expédiée en Savoie où elle rencontre un jeune Vietnamien qu'elle aimera et avec lequel elle s'est mariée. L'histoire de ce mariage est une longue bataille épistolaire qu'elle a menée contre sa famille catholique très pratiquante et de gauche qui ne voulait pas du fiancé parce qu'il descendait d'un mandarin honni. 

L'histoire de Roméo et Juliette, c'est la leur, moins la mort. Le couple Dang Tran a maintenant des enfants et il a choisi de vivre dans le Sud-Ouest parce que, petite fille, Ohuc-Dung en avait entendu parler comme d'un lieu idyllique, ensoleillé. L'est-ce ? Elle ne se plaint pas. Elle est contente d'avoir été bien accueillie à Gironde où comme disent ces femmes 

: - Quand le dimanche arrive, nous ne réclamons plus à nos maris de nous sortir ! Nous sommes aussi fatiguées qu'eux !


Une femme en mutation


L'accueil fait à Mme Dang Tran signifie-t-il que la Gironde n'est pas raciste ? Il y a de ça. Les régions de Garonne, depuis des siècles, ont vu un tel brassage de Celtes, de Romains, d'Ibères, d'Anglais et plus récemment d'immigrés italiens et espagnols, que l'étranger ne choque pas. Il est phagocyté.             Phagocytée ainsi la championne d'aviron qu'est Dominique Cologni. Elle a vingt-cinq ans, elle est blonde comme les Italiens d'Udine dont elle descend. Ses parents sont arrivés avant la guerre de 39, avec les métayers potentiels d'alors. Dans un an, elle sera professeur d'éducation physique. Calme, douce, énergique, elle considère qu'elle a tenté de faire de sa vie le maximum de ce qui lui était possible aujourd'hui, souhaite cependant trouver une respiration plus large que celle d'un banal chauvinisme. Dominique manifestement, elle aussi, est une femme en mutation, consciente d'être.

En ai-je rencontré qui ne le soient pas ? Non, mais j'ai rencontré des femmes qui n'ont pas conscience de leur modification intérieure bien qu'elles vivent comme elles n'auraient pu le faire il y a vingt ans. Celles- là n'ont pas eu à attendre l'âge des "daunas” ni le veuvage ou l'argent pour se lancer dans l'entreprise. Comme elles n'ont pas eu à ronger leur frein pour exprimer leur énergie, elles n'auront pas non plus à faire payer cette énergie à l'entourage.

 Venue de Paris, c'est dans ce groupe qu'on trouve Mme Régaud. En quatre ans, elle a mis sur pied une fabrique de vêtements de poupée. Installée à Pondaurat dans une ancienne laiterie, sa société emploie plusieurs ouvrières et marche remarquablement, alors que rien ne prédestinait à ce métier.

            Mme Régaud qui, avec son mari. dirigeait auparavant un cours privé à Paris. Dans le même groupe, je place Simone Barrau, coiffeuse à Bazas. Partie de rien du tout, simple apprentie sans capitaux, à force d'avoir le goût de faire, elle a créé un vrai salon, le gère en professionnelle au fait de tout. A ce groupe encore, j'associerais Luce Douence dont le mari est médecin et maire de Castets-en-Dorthe.

Elle s’est lancée dans la culture des fraisiers Gorella - qui sur un hectare ornent comme un parterre vert sa très belle maison dominant la plaine - et elle projette une plantation de noyers le long du canal qui se jette, là, dans la Garonne.

 Denise Fazembat, pour sa part, parce qu'elle a constaté que les revenus de sa famille avaient été engloutis une année par la sécheresse - le troupeau de vaches avait énormément souffert - et l'année suivante par l'inondation du Dropt - cette fois, c'était le maïs qui ne s'en était pas relevé - s'est lancée, à côté de l'élevage des volailles à rôtir (22 000 pintades, 9000 dindes), dans le gavage des canards, ce qui était jusqu'alors une spécialité landaise.

Puis, avec d'autres femmes agricultrices et décidées, elle est en train de créer à Auros une coopérative, de manière à ce que l'éviscération des bêtes, la cuisine, les conserves soient faites en un lieu précis. sous une marque précise, et que la diffusion s'effectue facilement.


Défendre toute forme de vie


Toutes ces femmes, je peux le garantir, n'habitaient pas mon enfance. Si, à la campagne, elles travaillaient comme des bêtes de somme, jamais on n'aurait pu imaginer

que les filles acquerraient ce sens de l'organisation, cette imagination dans le goût de vaincre. Et c'est sans doute à cause de cette modification du comportement puisqu'il ne s'agit à mon sens que de la montée de ce qui se camouflait autrefois que de plus en plus de femmes sont élues maires de leurs villages.

            A Camiran par exemple où Mme Bortot, le maire, est entourée de quatre conseillères municipales, de quatre conseillers et assistée d'une irremplaçable secrétaire de mairie, Mme Cuvillers, on peut dire que ça bouge.

- Mais comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu plus d'hommes élus ?

- Les hommes n'ont pas le temps.

Peut-on croire qu'ils n'aient pas ou plus le temps de faire ce qu'ils faisaient ? Ou bien se sont-ils aperçus que les femmes, malgré leurs propres et multiples occupations, étaient prêtes à prendre la relève ? Depuis que Mme Bortot se débat à la mairie, l'école a été organisée avec les deux villages voisins de Loubens et Bagas, le car de ramassage fait ses navettes, les classes fonctionnent partout, la question des associations de chasse est posée, celle de l'enlèvement du "bourrier" (1) aussi et on se casse la tête pour trouver la manière de retenir les jeunes couples au pays ou de les y attirer. On cherche des idées pour inventer la vie.

- Surtout, surtout, dit Mme Pauly, maire de Saint-Sève venue en voisine, ne jamais accepter de rattacher les villages à la grande ville voisine (La Réole, 5 000 habitants). Ça, ils l'ont fait autour de Marmande et ils en meurent.

Les deux grands mots sont lâchés la vie et la mort. J'ai eu l'impression pendant tout ce reportage que, de nouveau mais autrement, c'était pour défendre une forme de vie que se mobilisaient les femmes. Plus seulement pour la mise au monde mais pour la défense de qui a été mis au monde, y compris elles. Contre la mort, elles se revendiquent dans leur originalité et leurs goûts, pour éviter la fin du couple elles ont compris qu'il fallait exister à part entière, contre la ruine imposée par les fléaux naturels celles qui ont du caractère se débattent, contre le sommeil des villages les femmes paient de leur personne.

-  Pendant des années on a été paumées. 

-  Je voulais m'occuper des débiles profonds

-  Ma crise d'adolescence, je l'ai faite à des vingt ans.

-  On cherchait on ne savait pas quoi.

Bernadette et Michel Bruneau, qui se renvoient la balle dans la cuisine où ils ont seulement gratté la pierre d'une belle cheminée, ont vingt-huit et vingt-neuf ans. Je les ai rencontrés dans la plaine de Barie, lieu-dit Maucousinat (mal cuisiné), où ils sont devenus cultivateurs-maraîchers après une longue quête d'eux-mêmes.  Bernadette berce sur ses genoux Antoine leur fils qui a deux ans - Lévinia et Suzy ont cinq et trois ans - , Michel tranquillement gratte une carotte énorme, coupe la citrouille pour la soupe avec un grand couteau.


Une réussite en couple


Dans le Réolais, j'ai une tendresse spéciale pour cette plaine de Barie dont on ne montre la photographie en double page, dans les grands magazines, qu'en cas d'inondation catastrophique. De nombreuses fermes portent encore à leur premier étage la marque jamais dépassée de la montée de l'eau en 1930. Cette plaine enfermée dans deux grandes boucles de Garonne, aucun consortium américain, aucun seigneur allemand ne la convoitent.


Elle ne vaut pas un prix astronomique à l'hectare, ne donne aucun grand cru - mais un vin groseillé que j'aime - et c'est cette terre légère qui s'effrite au toucher en grains fins, terre riche de l'alluvion des catastrophes, que cultivent Michel et Bernadette.


Pourquoi est-ce que je parle d'eux ? Parce qu'on est bien chez eux et avec eux.

Qu'on aime les voir dans toutes leurs activités, les entendre parler. Que Bernadette cueille des choux de Bruxelles ou ramasse des salades, que Michel engrange son maïs dans le silo ou baigne les radis noirs et rouges, les poireaux pour le marché du lendemain sur les quais de La Réole, il se dégage d'eux une telle entente, on sent avec tant de force combien leur recherche a été sincère qu'on ne peut plus s'en aller ou du moins qu'on revient. Leur démarche personnelle les a conduits à pratiquer l'agriculture biologique comme on choisit de vivre proprement et on ne peut s'étonner qu'ils ne veuillent souiller ni la terre ni l'air, n'utilisent que des matières naturelles à la place des engrais chimiques puisqu'ils n'ont pu vivre entre eux et ne peuvent vivre avec les autres que dans un rapport sain. 

Vu de loin, un tel rapport pourrait paraître gentil et utopique s'il n'existait réellement, si l'on n'éprouvait violemment que les Bruneau sont une réussite intérieure et si l'on ne constatait en outre que leurs produits - tous les produits! - sont magnifiques. Il est vrai que Michel et Bernadette ne sont pas seulement rivés à leur terre, ils vivent leur temps.

Le soir où Bernadette bûchait avec des amis écologistes la question nucléaire parce qu'une réunion municipale devait avoir lieu sur le sujet, Michel se dépêchait d'aller chanter dans la chorale à laquelle il appartient. 


Avec eux, tout se fait harmonieusement, dans le respect spontané de l'autre, et si je vous parle insistante de cet homme, de cette femme, c'est parce qu'ils sont plus qu'une mutation, une petite révolution. Je n'ai jamais rencontré une femme - envie de dire une jeune fille - aussi libre dans sa parole, son jugement que Bernadette. Je n'ai jamais rencontré un homme - un garçon - moins petit chef, moins misogyne, plus rayonnant que Michel, Si, selon Aragon, la femme est l'avenir de l'homme, Bernadette l'est, mais Michel, parmi les hommes, est un cadeau inattendu.  

      M.P.


Michèle Perrein a obtenu le Grand Prix du Roman des Lectrices de ELLE en 1971 pour "La Chineuse" et le Prix des Libraires en 1974 pour "Le Buveur de Garonne"



Quelques scans des pages du journal Elle

  

 




 
Le photographe de cet article était Henri Elwing, né en 1925, qui a photographié toutes les stars de l'époque. Cliquez ici

Nané et Michel Bruneau ont récupéré des diapositives que j'ai numérisées, si d'autres personnes dans cet article ont reçu des diapositives de Henri Elwing, je peux numériser leurs photos.


Tous les articles du Blog : cliquez ici









.




Anciens articles

Recevoir les nouveaux articles

Nom

E-mail *

Message *