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1978 - Michèle Perrein - article pour le journal "Elle" sur les femmes de Gironde

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En 1978, le journal "Elle" lance une grande enquête sur les femmes en France.

Pour la Gironde c'est Michèle Perrein qui en est la rédactrice 


ELLES EN FRANCE 


Raconter par la voix d'une romancière les Françaises, leurs soucis, leurs rêves, ce qui est drôle et irritant dans leur vie quotidienne et, surtout, ce qui a changé profondément dans leur sensibilité et leur manière de vivre: tel est le but que nous nous proposons dans les six semaines à venir.

Aujourd'hui voici Michèle Perrein avec les femmes de la Gironde. Des femmes qu'elle connaît bien, elle qui est née à La Réole, elle dont la famille habite la région depuis 300 ans.

Devenue parisienne, elle n'a pas voulu corriger son accent et elle retourne souvent au pays. Parce qu'elle se sent sur ces lieux des instincts de propriétaire, parce qu'elle en aime le haut degré de civilisation. Michèle Perrein, qui s'est passionnée pour la cause des femmes (son prochain livre « Entre chienne et louve» sort le 1er février 1978 chez Grasset) a été bouleversée par l'importance des changements qu'elle a rencontrés. C'est ce qu'elle a voulu

vous transmettre.



LA GIRONDE


par Michèle Perrein, Photos Henri Elwing


Il n'est pas facile de parler de ce qu'on aime. Même pas ce qu'on aime, ce qu'on a dans le sang et qui est pire Dans mon sang il y a une Gironde, une Guyenne, une Gascogne et quelquefois je ne sais plus mois même où ça s'arrête ni comment ça s'appelle.  Ça prend sa source où prend sa source la Garonne et ça se jette en large estuaire dans Océan.

Jusqu'à l'Océan qui est à moi, jusqu'aux forêts de pins landais.

 Dans ce que j'appelle mon pays le suis comme un navigateur et comme un propriétaire terrien, je barre et j'arpente.

 Je surveille la couleur des vignes, j'aime les nuances noires, violettes, rousses ou roses de la terre nue, je respire l'odeur du tabac suspendu, je regarde monter l'orage, je souffre si les longs toits de tuile romaine se gondolent. J'admire la blondeur des pierres.

 Le régisseur mental de la propriété c'est moi. Les petites routes que je connais m'appartiennent mais celles que je découvre deviennent mes nouveaux trésors. Je ne me lasse pas d'être de "là" de me sentir filles de l'inondation et du feu, ces fléaux qui habitent mes souvenirs d'enfance et dont personne ne peut me dissocier.


Quelque chose a changé


Mais "là" où est-ce ? Je suis faite de triangles de plus en plus petits inscrits dans un plus grand triangle. Le plus petit a pour centre La Réole où je suis née. Il pousse une pointe nord-est dans l'Entre-Deux-Mers par l'abbaye de Saint-Ferme, file vers l'ouest jusqu'à Sauternes, descend sud ouest à la cathédrale, la place à arceaux de Bazas, attrape Meilhan, Couthures et ses aloses, à l'est. 

"Là" est mon plus petit pays, celui que j'inspecte le plus jalousement.

 Personne encore n'y construit de centrale nucléaire (comme à Braud-et-Saint-Louis) mais déjà des immeubles modernes éclatants de blancheur crayeuse sont venus défigurer des sites, offenser la beauté de la pierre, cette pierre que Mlle Maymeudon, antiquaire qui a fui  Paris puis Cannes pour venir s'installer espère faire davantage aimer et restaurer. L'autoroute nous écornera bientôt mais nous délivrera peut-être de la folle circutation des poids lourds sur la nationale 113.

 Au fil de l'eau, sur le canal latéral à la Garonne, glissent les péniches, des écluses s'ouvrent et se ferment au rythme d'autrefois et les maisons fragiles d'éclusiers sont ombragées par des platanes centenaires et royaux.

 J'ai vu des vaches poussées, pour rentrer à l'étable par une 2 CV au pas qui collait à leur croupe et sur l'aérodrome des avions grands comme des sauterelles se sont mis à proliférer mais personne ne vole plus jamais comme Marcel Doret sous le pont suspendu


Ça change. Quelque chose a changé. 

A côté de la grande tradition - et la grande tradition reste le vin même si des Américains, des Allemands se sont appropriés certains grands crus - à côté du long village de Morizès au bord du Dropt où des tuiliers travaillent encore à l'ancienne, cuisant de leurs mains les carreaux roses et blonds de Gironde je pense aux David, oncle et neveu, voisins et ennemis. mais artisans précieux se vit toute une mutation mentale. Oui, le goût du vin, le sens du vin demeure notre don essentiel et nous parons notre boutonnière même si nous ne sommes pas vignerons des Saint-Emilion, des Saint-Estèphe-du-Médoc -mon royaume contre une bouteille de sauternes-parce que nous avons besoin de conserver en nous ce que nous sommes, des vieux civilisés, des amateurs de cuisine, des romanesques, des médisants parce que la médisance est imagina- tion comme l'est notre capacité flemmarde de regarder couler le fleuve afin d'y saisir ce que nous allons devenir.

- Pourquoi dans votre roman - Le Buveur de Garonne-, m'a demandé d'un ton inquisiteur un jeune professeur, les femmes. ont-elles toutes de la personnalité ?


Les femmes existent


Je n'ai pas su répondre, pourtant c'est vrai que, dans mon pays, les femmes existent. Sous beaucoup d'histoires que l'on m'a racontées, j'ai trouvé des mères et des mères terribles. Mais quoi, avant moi, François Mauriac, le maître de Malagar, ne l'avait-il pas dit ?

Si sa Thérèse Desqueyroux n'avait pas été prototype, comment expliquer que toute la Gironde se soit reconnue dans cette presque criminelle ? Or, empoisonneuse, elle n'a tenté de l'être que parce que la pression de la société. à son époque, était telle qu'une personnalité féminine n'arrivait pas à s'exprimer et parfois explosait. Chez d'autres femmes, dans l'avant-guerre de Mauriac, le commandement s'exprimait. Seulement, il ne s'exprimait qu'avec l'âge mûr et la propriété. Cette femme dont je parle, c'est celle qui s'appelle en gascon la dauna - (prononcer daoune), c'est la maitresse. Maîtresse de la terre, maîtresse de l'argent, maîtresse de la tradition, maîtresse de la maison. Autrefois la force comprimée des femmes n'arrivait au jour qu'assez tard, avec le pouvoir.


Eh bien, il en existe encore des "daunas", mais les filles ne se laissant plus faire, elles sévissent de moins en moins. Si les filles ne se laissent plus grignoter par les mères, elles n'auront plus besoin d'attendre l'âge des daunas - pour exprimer à leur tour une personnalité, et cette personnalité ne sera plus négative. A qui est-ce que je pense, est-ce à Suzanne, est-ce à Hélène ou à ces sages élèves du lycée de La Réole qui suivent les cours d'occitan?

Elles étaient dix dans la classe de M. Laliman, assises sur les tables, et l'heure de gascon est passée comme cinq minutes intenses tant paraissait profonde en ces filles de quinze ans la recherche de leurs propres racines. C'est une démarche à laquelle on ne pense pas à Paris mais essayer d'extirper de soi les mots qui y sont enfouis, qui ont été occultés depuis la propre enfance des pères, des mères et parfois des grands-pères, est un premier travail de reconquête. Savoir de quels mots on est faite, de quelle poésie, où sont ses sources, est le premier pas en avant, celui à partir duquel on pourra tenter tous les autres.


La liberté par l'expression


Mais Suzanne, mais Hélène ? Ni Suzanne ni Hélène n'ont éclairci leur vie par ce retour aux sources, pourtant Suzanne et Hélène aussi sont significatives d'une modification. féminine bien qu'il puisse paraître saugrenu que je les compare dans la mesure où Suzanne pourrait être largement la mère d'Hélène qui a vingt-trois ans. Si je les compare, c'est parce qu'elles sont des filles, restant dans leur conscient et subconscient gravement liées à des mères. La mère de Suzanne a quatre-vingt-dix ans maintenant, elle fut l'exemple le plus éclatant de la dauna qui, et sans le savoir, a tout fait pour que sa fille n'arrive pas a construire sa vie. Suzanne s'est mariée quatre fois, a eu trois enfants mais, à travers les avatars de sa vie, elle s'est accrochée à un seul élan stable : la peinture. Ses dessins d'abord, ses toiles qu'on peut dire de plus en plus figuratives ont été non pas la bouée à laquelle on s'accroche mais l'identité de Suzanne. Une identité chèrement payée qui demeure et qu'on respire, apaisée, dans la maison en forme de navire dominant à Meilhan le point où Garonne et canal se frôlent. Hélène parle aussi de sa mère, parle de son père. On la sent partagée entre un désir d'imiter le père fort, de comprendre la mère douce. Douce ou cachée ?

- Ma mère ne m'a jamais rien confié.

Hélène, elle, parle et c'est par la parole, sans doute, qu'en effet la liberté viendra aux femmes. Par l'expression. Parce qu'Hélène aurait aimé que sa mère lui parlât d'elle pour comprendre peut-être la vie, elle a osé ce qu'on n'ose guère en province, elle a voulu revendiquer au grand jour une sexualité libre. A dix-huit ans, elle est partie avec sa petite valise, non comme on partait de mon temps c'est-à-dire loin, elle est partie près. Elle est partie comme on dit "j'existe". avec ses goûts, ses sentiments, son indifférence au mariage, ses rêves de travail. Quand on connaît le pays dont je parle, sa capacité de vous coincer dans la réprobation, on ne peut que constater le courage d'Hélène, son petit panache. Prendre des risques lorsqu'on est une femme, ce n'est pas si banal. Mais les filles jeunes n'ont pas fini de m'étonner. Françoise - la sensible, la réfléchie Françoise, qui a vingt et un ans, qui est licenciée de philosophie, qui a aussi choisi sa vie bien qu'elle hésite encore entre sa nature contemplative et sa nature active, qui n'est pas attirée par le mariage, m'a dit ce que j'ai mis quinze ans à comprendre pour mon compte, qu'il ne faut pas, dans un couple, prendre l'autre pour le sauveur permanent, le régulateur, c'est-à-dire à la limite le dépotoir. Cette existence brusque et si claire de l'autre en tant qu'autre dans l'esprit d'une fille de cet âge m'a, je l'avoue, comblée, je ne croyais pas qu'elles en étaient déjà là. L'amour n'est plus la panacée, l'amour n'est plus compensation, l'amour va pouvoir être amour.


Et Maritchu? Avec son prénom basque, Maritchu n'est pas Basque et elle a la trentaine. Comme les femmes qui précèdent, elle s'est confiée à moi si simplement que j'ai le souci de ne pas la trahir. Elle travaille et ce qu'elle entreprend lui réussit. Elle est homosexuelle depuis qu'à vingt ans elle a eu la révélation brusque que son corps aimait les femmes et non les hommes. Elle vit ses goûts avec simplicité, sans ostentation, dans une ville où, il n'y a pas une génération, le seul homosexuel repéré était contraint d'aller vivre ses amours à la grande ville. Est-ce la province qui a changé ? Est-ce que ce sont les mœurs ? Est-ce que ce sont les pulsions et les goûts? Pulsions et goûts ont toujours existé mais autrefois on les barrait. Parce que Maritchu a su vivre simplement sa nature, elle a su l'imposer et cela lui a semblé facile.

Pour être ensemble


Il y a donc rupture aujourd'hui avec l'image conventionnelle de la femme. Déjà l'accueil que j'ai reçu, la confiance que l'on m'a faite étaient signés. Où était donc passée cette fameuse rivalité, cette jalousie des femmes entre elles? Je ne l'ai pas rencontrée. Je ne l'ai pas rencontrée par exemple à Gironde-sur-Dropt, où des femmes. actives mais sans profession se sont groupées. Pourquoi ? Pour être ensemble. Pour faire trois kilomètres de marche à pied le matin, pour bridger, pour enseigner le catéchisme aux enfants, pour visiter les monuments de la région qui pullulent, pour lire et discuter des livres lus. Dirais-je leurs noms? Impossible de les citer tous. 

Elles s'appellent Mme Comblat, Mme Rual, Mme Bienvenu, Mme Dubroca, Mme Monguay.... Chacune mériterait un article entier dans cette histoire qui est à suivre. Parmi le groupe de Gironde, se trouve - étonnement - une Vietnamienne. Chuc-Dung Dang Tran a trente-sept ans, elle en paraît vingt-huit. D'Hanoi, où elle est née, à la Gironde, le périple est long mais il recoupe très exactement mon propos. Si elle est partie du Viêtnam, c'est bien pour ne vivre que sa propre identité puisqu'elle refusait de se laisser marier de manière traditionnelle avec le premier inconnu présenté par la famille. Étudiante à Paris, elle travaille trop, tombe très vite malade, est expédiée en Savoie où elle rencontre un jeune Vietnamien qu'elle aimera et avec lequel elle s'est mariée. L'histoire de ce mariage est une longue bataille épistolaire qu'elle a menée contre sa famille catholique très pratiquante et de gauche qui ne voulait pas du fiancé parce qu'il descendait d'un mandarin honni. 

L'histoire de Roméo et Juliette, c'est la leur, moins la mort. Le couple Dang Tran a maintenant des enfants et il a choisi de vivre dans le Sud-Ouest parce que, petite fille, Ohuc-Dung en avait entendu parler comme d'un lieu idyllique, ensoleillé. L'est-ce ? Elle ne se plaint pas. Elle est contente d'avoir été bien accueillie à Gironde où comme disent ces femmes 

: - Quand le dimanche arrive, nous ne réclamons plus à nos maris de nous sortir ! Nous sommes aussi fatiguées qu'eux !


Une femme en mutation


L'accueil fait à Mme Dang Tran signifie-t-il que la Gironde n'est pas raciste ? Il y a de ça. Les régions de Garonne, depuis des siècles, ont vu un tel brassage de Celtes, de Romains, d'Ibères, d'Anglais et plus récemment d'immigrés italiens et espagnols, que l'étranger ne choque pas. Il est phagocyté.             Phagocytée ainsi la championne d'aviron qu'est Dominique Cologni. Elle a vingt-cinq ans, elle est blonde comme les Italiens d'Udine dont elle descend. Ses parents sont arrivés avant la guerre de 39, avec les métayers potentiels d'alors. Dans un an, elle sera professeur d'éducation physique. Calme, douce, énergique, elle considère qu'elle a tenté de faire de sa vie le maximum de ce qui lui était possible aujourd'hui, souhaite cependant trouver une respiration plus large que celle d'un banal chauvinisme. Dominique manifestement, elle aussi, est une femme en mutation, consciente d'être.

En ai-je rencontré qui ne le soient pas ? Non, mais j'ai rencontré des femmes qui n'ont pas conscience de leur modification intérieure bien qu'elles vivent comme elles n'auraient pu le faire il y a vingt ans. Celles- là n'ont pas eu à attendre l'âge des "daunas” ni le veuvage ou l'argent pour se lancer dans l'entreprise. Comme elles n'ont pas eu à ronger leur frein pour exprimer leur énergie, elles n'auront pas non plus à faire payer cette énergie à l'entourage.

 Venue de Paris, c'est dans ce groupe qu'on trouve Mme Régaud. En quatre ans, elle a mis sur pied une fabrique de vêtements de poupée. Installée à Pondaurat dans une ancienne laiterie, sa société emploie plusieurs ouvrières et marche remarquablement, alors que rien ne prédestinait à ce métier.

            Mme Régaud qui, avec son mari. dirigeait auparavant un cours privé à Paris. Dans le même groupe, je place Simone Barrau, coiffeuse à Bazas. Partie de rien du tout, simple apprentie sans capitaux, à force d'avoir le goût de faire, elle a créé un vrai salon, le gère en professionnelle au fait de tout. A ce groupe encore, j'associerais Luce Douence dont le mari est médecin et maire de Castets-en-Dorthe.

Elle s’est lancée dans la culture des fraisiers Gorella - qui sur un hectare ornent comme un parterre vert sa très belle maison dominant la plaine - et elle projette une plantation de noyers le long du canal qui se jette, là, dans la Garonne.

 Denise Fazembat, pour sa part, parce qu'elle a constaté que les revenus de sa famille avaient été engloutis une année par la sécheresse - le troupeau de vaches avait énormément souffert - et l'année suivante par l'inondation du Dropt - cette fois, c'était le maïs qui ne s'en était pas relevé - s'est lancée, à côté de l'élevage des volailles à rôtir (22 000 pintades, 9000 dindes), dans le gavage des canards, ce qui était jusqu'alors une spécialité landaise.

Puis, avec d'autres femmes agricultrices et décidées, elle est en train de créer à Auros une coopérative, de manière à ce que l'éviscération des bêtes, la cuisine, les conserves soient faites en un lieu précis. sous une marque précise, et que la diffusion s'effectue facilement.


Défendre toute forme de vie


Toutes ces femmes, je peux le garantir, n'habitaient pas mon enfance. Si, à la campagne, elles travaillaient comme des bêtes de somme, jamais on n'aurait pu imaginer

que les filles acquerraient ce sens de l'organisation, cette imagination dans le goût de vaincre. Et c'est sans doute à cause de cette modification du comportement puisqu'il ne s'agit à mon sens que de la montée de ce qui se camouflait autrefois que de plus en plus de femmes sont élues maires de leurs villages.

            A Camiran par exemple où Mme Bortot, le maire, est entourée de quatre conseillères municipales, de quatre conseillers et assistée d'une irremplaçable secrétaire de mairie, Mme Cuvillers, on peut dire que ça bouge.

- Mais comment se fait-il qu'il n'y ait pas eu plus d'hommes élus ?

- Les hommes n'ont pas le temps.

Peut-on croire qu'ils n'aient pas ou plus le temps de faire ce qu'ils faisaient ? Ou bien se sont-ils aperçus que les femmes, malgré leurs propres et multiples occupations, étaient prêtes à prendre la relève ? Depuis que Mme Bortot se débat à la mairie, l'école a été organisée avec les deux villages voisins de Loubens et Bagas, le car de ramassage fait ses navettes, les classes fonctionnent partout, la question des associations de chasse est posée, celle de l'enlèvement du "bourrier" (1) aussi et on se casse la tête pour trouver la manière de retenir les jeunes couples au pays ou de les y attirer. On cherche des idées pour inventer la vie.

- Surtout, surtout, dit Mme Pauly, maire de Saint-Sève venue en voisine, ne jamais accepter de rattacher les villages à la grande ville voisine (La Réole, 5 000 habitants). Ça, ils l'ont fait autour de Marmande et ils en meurent.

Les deux grands mots sont lâchés la vie et la mort. J'ai eu l'impression pendant tout ce reportage que, de nouveau mais autrement, c'était pour défendre une forme de vie que se mobilisaient les femmes. Plus seulement pour la mise au monde mais pour la défense de qui a été mis au monde, y compris elles. Contre la mort, elles se revendiquent dans leur originalité et leurs goûts, pour éviter la fin du couple elles ont compris qu'il fallait exister à part entière, contre la ruine imposée par les fléaux naturels celles qui ont du caractère se débattent, contre le sommeil des villages les femmes paient de leur personne.

-  Pendant des années on a été paumées. 

-  Je voulais m'occuper des débiles profonds

-  Ma crise d'adolescence, je l'ai faite à des vingt ans.

-  On cherchait on ne savait pas quoi.

Bernadette et Michel Bruneau, qui se renvoient la balle dans la cuisine où ils ont seulement gratté la pierre d'une belle cheminée, ont vingt-huit et vingt-neuf ans. Je les ai rencontrés dans la plaine de Barie, lieu-dit Maucousinat (mal cuisiné), où ils sont devenus cultivateurs-maraîchers après une longue quête d'eux-mêmes.  Bernadette berce sur ses genoux Antoine leur fils qui a deux ans - Lévinia et Suzy ont cinq et trois ans - , Michel tranquillement gratte une carotte énorme, coupe la citrouille pour la soupe avec un grand couteau.


Une réussite en couple


Dans le Réolais, j'ai une tendresse spéciale pour cette plaine de Barie dont on ne montre la photographie en double page, dans les grands magazines, qu'en cas d'inondation catastrophique. De nombreuses fermes portent encore à leur premier étage la marque jamais dépassée de la montée de l'eau en 1930. Cette plaine enfermée dans deux grandes boucles de Garonne, aucun consortium américain, aucun seigneur allemand ne la convoitent.


Elle ne vaut pas un prix astronomique à l'hectare, ne donne aucun grand cru - mais un vin groseillé que j'aime - et c'est cette terre légère qui s'effrite au toucher en grains fins, terre riche de l'alluvion des catastrophes, que cultivent Michel et Bernadette.


Pourquoi est-ce que je parle d'eux ? Parce qu'on est bien chez eux et avec eux.

Qu'on aime les voir dans toutes leurs activités, les entendre parler. Que Bernadette cueille des choux de Bruxelles ou ramasse des salades, que Michel engrange son maïs dans le silo ou baigne les radis noirs et rouges, les poireaux pour le marché du lendemain sur les quais de La Réole, il se dégage d'eux une telle entente, on sent avec tant de force combien leur recherche a été sincère qu'on ne peut plus s'en aller ou du moins qu'on revient. Leur démarche personnelle les a conduits à pratiquer l'agriculture biologique comme on choisit de vivre proprement et on ne peut s'étonner qu'ils ne veuillent souiller ni la terre ni l'air, n'utilisent que des matières naturelles à la place des engrais chimiques puisqu'ils n'ont pu vivre entre eux et ne peuvent vivre avec les autres que dans un rapport sain. 

Vu de loin, un tel rapport pourrait paraître gentil et utopique s'il n'existait réellement, si l'on n'éprouvait violemment que les Bruneau sont une réussite intérieure et si l'on ne constatait en outre que leurs produits - tous les produits! - sont magnifiques. Il est vrai que Michel et Bernadette ne sont pas seulement rivés à leur terre, ils vivent leur temps.

Le soir où Bernadette bûchait avec des amis écologistes la question nucléaire parce qu'une réunion municipale devait avoir lieu sur le sujet, Michel se dépêchait d'aller chanter dans la chorale à laquelle il appartient. 


Avec eux, tout se fait harmonieusement, dans le respect spontané de l'autre, et si je vous parle insistante de cet homme, de cette femme, c'est parce qu'ils sont plus qu'une mutation, une petite révolution. Je n'ai jamais rencontré une femme - envie de dire une jeune fille - aussi libre dans sa parole, son jugement que Bernadette. Je n'ai jamais rencontré un homme - un garçon - moins petit chef, moins misogyne, plus rayonnant que Michel, Si, selon Aragon, la femme est l'avenir de l'homme, Bernadette l'est, mais Michel, parmi les hommes, est un cadeau inattendu.  

      M.P.


Michèle Perrein a obtenu le Grand Prix du Roman des Lectrices de ELLE en 1971 pour "La Chineuse" et le Prix des Libraires en 1974 pour "Le Buveur de Garonne"



Quelques scans des pages du journal Elle

  

 




 
Le photographe de cet article était Henri Elwing, né en 1925, qui a photographié toutes les stars de l'époque. Cliquez ici

Nané et Michel Bruneau ont récupéré des diapositives que j'ai numérisées, si d'autres personnes dans cet article ont reçu des diapositives de Henri Elwing, je peux numériser leurs photos.


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