Son projet s'arrête avec sa ruine en 1931.
Un Musée Albert Kahn a été créé dans les Hauts de Seine et les autochromes¹ réalisés à cette époque sont mis à la disposition du public.
C'est Jean Pierre Teissier qui m'a fait connaître cette collection.
En juin 1920 une série d'autochromes a été réalisée à La Réole : en voici les copies.
¹ Autochromes : L'autochrome est un procédé de restitution photographique des couleurs breveté le 17 décembre 1903 par les frères Auguste et Louis Lumière et mis au point par Gabriel Doublier.
Les Éditions du Ruisseau. Collection Paesina
LE VIOLET DU RAISIN
Avec cette formidable collection récemment disponible, nous assistons à une véritable résurrection chatoyante des terres du Sud-Ouest (et d'ailleurs).
La discordance entre l'horreur passée de la guerre et la vie quotidienne qui reprend tout doucement dans les années 20 met en lumière les origines du projet d'Albert Kahn (1)
Le jeune Abraham Kahn (qui abandonnera son prénom biblique) devait précocement quitter son Alsace natale, annexée par le Reich allemand après la défaite de Sedan.
La discordance entre l'horreur passée de la guerre et la vie quotidienne qui reprend tout doucement dans les années 20 met en lumière les origines du projet d'Albert Kahn (1)
Le jeune Abraham Kahn (qui abandonnera son prénom biblique) devait précocement quitter son Alsace natale, annexée par le Reich allemand après la défaite de Sedan.
Il fait vite fortune dans la banque et s'engage très tôt, dès 1898, dans de nombreuses fondations philanthropiques qu'il créé, répondant à un unique objectif : “connaître le monde et ses évolutions pour favoriser la paix”...
À partir de 1909, et jusqu'en 1931 quand il est brutalement ruiné par la crise financière venue des États-Unis, il envoie donc des opérateurs un peu partout dans le monde, ainsi que dans la plupart des départements. Français, pour constituer “les archives de la planète”.
À l'instar d'un Jaurès, on n’oppose pas à cette époque patriotisme et internationalisme : il s'agit d'un même élan d'affection pour les siens et pour les autres, rêve de fraternité universelle qui sera bientôt brisé par les haines nationalistes.
Cette guerre qui devait ravager une première fois le continent européen n'a pas anéanti ce désir de rapprocher les peuples. Ses voyages au Japon, en Chine, en Amérique du Nord puis du Sud confirment Albert Kahn dans son projet résumé par la devise: “voir, savoir, d'abord par les images”.
À partir de 1909, et jusqu'en 1931 quand il est brutalement ruiné par la crise financière venue des États-Unis, il envoie donc des opérateurs un peu partout dans le monde, ainsi que dans la plupart des départements. Français, pour constituer “les archives de la planète”.
À l'instar d'un Jaurès, on n’oppose pas à cette époque patriotisme et internationalisme : il s'agit d'un même élan d'affection pour les siens et pour les autres, rêve de fraternité universelle qui sera bientôt brisé par les haines nationalistes.
Cette guerre qui devait ravager une première fois le continent européen n'a pas anéanti ce désir de rapprocher les peuples. Ses voyages au Japon, en Chine, en Amérique du Nord puis du Sud confirment Albert Kahn dans son projet résumé par la devise: “voir, savoir, d'abord par les images”.
Et il pense que la connaissance et l'attachement passent d'abord par les images. Le banquier philanthrope avait été séduit en 1908 par les Visions d'Orient, projections de photographies couleurs réalisées par Jules Gervais-Courtellemont, première exposition publique des fameuses plaques autochromes inventées par Auguste et Louis Lumière (brevet déposé en 1903, début de la commercialisation en 1907). D'autres tentatives en photographies en couleurs avaient déjà été testée comme les photochromes² de l'imprimeur suisse Orell Füssli (1889) ou encore la trichromic inventée en 1901 par l'allemand Adolf Miethe et pratiquée par le russe Sergueï Mikhailovitch Procoudine-Gorsky³. Mais l'autochrome des frères Lumière, utilisant des trames colorées composées de fécule de pomme de terre sur les plaques de verre, est le premier procédé véritablement industriel de photographie en couleurs. Très au fait des dernières inventions, Albert Kahn décide donc d'avoir recours aux deux brevets majeurs des industriels lyonnais - le cinématographe et l'autochrome - pour “fixer, une fois pour toutes, les aspects, les pratiques et les modes de l'activité humaine dont la disparition fatale n'est qu'une question de temps”.
Ces Archives de la planète, conservées désormais dans le beau musée qui porte le nom du philanthrope, situé à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), comptent donc plus de 72 000 autochromes, une centaine d'heures de film et 4000 plaques stéréoscopiques. À ne parcourir même qu'une part limitée de ces images, on est émerveillés par la production de ces opérateurs à qui Albert Kahn avait simplement dit : “je ne vous demande qu'une chose, c'est d'avoir les yeux grands ouverts”.
Pour la Gironde (384 autochromes), c'est le Bordelais Fernand Cuville qui est envoyé par Albert Kahn. Son passage sur ses terres d'origine en 1920 vient presque clore sa longue expédition qui s'est déroulée sur plus d'une année dans le sud de la France, juste après sa démobilisation. Il était d'abord passé dans le midi toulousain, couvrit les Hautes-Pyrénées et le Béarn puis remonta en Gironde avant de terminer sa mission en Charente-Maritime. En dehors des vues obligées de la capitale aquitaine (monuments, places, quais), il manifeste un souci ethnographique affirmé en s'attardant sur le bassin d'Arcachon et dans le vignoble de Saint-Émilion, deux espaces aux activités “ typiques” de l'identité girondine.
Cette collecte, initiée dès 1909, était encadrée scientifiquement par le grand géographe Jean Brunhes. À partir de 1912, Albert Kahn avait financé pour ce dernier une chaire de géographie humaine au Collège de France, alors qu'il occupait déjà le poste de recteur scientifique des Archives de la planète. Jean Brunhes s'intéresse à la complexité des relations entre l'homme, la société et son environnement. La photographie s'impose lui comme un outil fiable de la connaissance du terrain et comme un support didactique efficace à son enseignement. Il est lui-même photographe et accompagne parfois certaines expéditions, ce qui ne semble pas être le cas pour celle-ci.
Pour la Gironde (384 autochromes), c'est le Bordelais Fernand Cuville qui est envoyé par Albert Kahn. Son passage sur ses terres d'origine en 1920 vient presque clore sa longue expédition qui s'est déroulée sur plus d'une année dans le sud de la France, juste après sa démobilisation. Il était d'abord passé dans le midi toulousain, couvrit les Hautes-Pyrénées et le Béarn puis remonta en Gironde avant de terminer sa mission en Charente-Maritime. En dehors des vues obligées de la capitale aquitaine (monuments, places, quais), il manifeste un souci ethnographique affirmé en s'attardant sur le bassin d'Arcachon et dans le vignoble de Saint-Émilion, deux espaces aux activités “ typiques” de l'identité girondine.
Cette collecte, initiée dès 1909, était encadrée scientifiquement par le grand géographe Jean Brunhes. À partir de 1912, Albert Kahn avait financé pour ce dernier une chaire de géographie humaine au Collège de France, alors qu'il occupait déjà le poste de recteur scientifique des Archives de la planète. Jean Brunhes s'intéresse à la complexité des relations entre l'homme, la société et son environnement. La photographie s'impose lui comme un outil fiable de la connaissance du terrain et comme un support didactique efficace à son enseignement. Il est lui-même photographe et accompagne parfois certaines expéditions, ce qui ne semble pas être le cas pour celle-ci.
Afin de comparer les différentes sociétés photographiées sur plaques de verre, il faut imposer certaines normes aux opérateurs, que ces derniers s'attacheront à respecter : intérêt pour les particularités géologiques et la physionomie des paysages, l'aspect des rues, l'évolution de l'outillage agricole et des modes de transport, enfin une attention particulière à l'extrême variété des habitats et des activités traditionnelles.
Pour les portraits, les sujets sont toujours photographiés frontalement en plan moyen, en rang lorsqu'ils sont plusieurs. Jamais les personnages ne sont fixés en train de travailler car le procédé nécessite un certain temps de pose (une à quatre secondes selon la luminosité) pour photo-sensibiliser la plaque autochrome. Les sujets se figent donc pour l'opérateur, ce qui explique peut-être les vues volontairement vides de Bordeaux: les passants en mouvement seraient flous, ce que l'on aperçoit ici ou là, place de la Victoire ou devant le Grand Théâtre.
Le recensement opéré par la Mission héliographique de 1851 s'était concentré surtout sur les monuments du patrimoine national. Cet inventaire régional des Archives de la planète se situe dans sa filiation mais s'attarde aussi au cadre et la vraie vie des gens, dans leur chatoyante diversité. Ainsi peut-on le constater des portraits touchants de vendangeurs et d'ostréiculteurs, déjà familiarisés avec la photographie par la présence de plusieurs ateliers dans nos petites cités et par l'incroyable succès des cartes postales à cette époque (4). Hélas, le répit des années 20 fut court, la décennie suivante annonçant tragiquement la seconde guerre civile européenne, selon les mots d'Enzo Traverso (5). Et la modernité technico-économique de finir d'araser les singularités provinciales. Heureusement en Gironde, certaines traditions gourmandes ont su mieux résister à la normalisation. Heureusement enfin, villes et villages du Bordelais sont restés dans leur jus, un jus couleur grenat, violet ou couleur d'or.
C'est une vraie chance qu'Anne-Marie Cocula-Vaillières, la grande historienne du Sud-Ouest, accompagne ces images et partage avec nous sa connaissance intime des lieux. Nous lui adressons notre profonde gratitude.
1- Différentes publications récentes détaillent la biographie d'Albert Kahn et les contours de son projet, en particulier “Les Archives de la planète”, sous la direction de Valérie Perlès (éditions Liénart, 2019) ou encore “Albert Kahn-Le monde en couleurs” par David Okuefuna (éditions du Chêne, 2008). D'autres s'intéressent à une part géographiquement limitée des images comme Paris 1910-1937 (collectif, éditions Liénart, 2020). Enfin, un travail plus profond écrit par Adrien Genoudet (L'Effervescence des images - Albert Kahn et la disparition du monde, éditions des Impressions nouvelles 2020) dévoile des aspects moins connus et souligne la magnifique singularité du projet des Archives de la planète.
2- Photochromes présentés à l'exposition.
Ce que la Palestine apporte au monde, Institut du monde arabe, 2023.
3- Photographies présentées à l'exposition Voyage dans l'ancienne Russie, musée Zadkine de Paris en 2013-2014.
4- Dès 1911, la France produisait environ 800 millions de cartes chaque année !
5- à feu et à sang la guerre civile européenne 1914-1945 (éditions Stock, 2007)
Autres autochromes dans la région
Le recensement opéré par la Mission héliographique de 1851 s'était concentré surtout sur les monuments du patrimoine national. Cet inventaire régional des Archives de la planète se situe dans sa filiation mais s'attarde aussi au cadre et la vraie vie des gens, dans leur chatoyante diversité. Ainsi peut-on le constater des portraits touchants de vendangeurs et d'ostréiculteurs, déjà familiarisés avec la photographie par la présence de plusieurs ateliers dans nos petites cités et par l'incroyable succès des cartes postales à cette époque (4). Hélas, le répit des années 20 fut court, la décennie suivante annonçant tragiquement la seconde guerre civile européenne, selon les mots d'Enzo Traverso (5). Et la modernité technico-économique de finir d'araser les singularités provinciales. Heureusement en Gironde, certaines traditions gourmandes ont su mieux résister à la normalisation. Heureusement enfin, villes et villages du Bordelais sont restés dans leur jus, un jus couleur grenat, violet ou couleur d'or.
C'est une vraie chance qu'Anne-Marie Cocula-Vaillières, la grande historienne du Sud-Ouest, accompagne ces images et partage avec nous sa connaissance intime des lieux. Nous lui adressons notre profonde gratitude.
Romain Bondonnera
1- Différentes publications récentes détaillent la biographie d'Albert Kahn et les contours de son projet, en particulier “Les Archives de la planète”, sous la direction de Valérie Perlès (éditions Liénart, 2019) ou encore “Albert Kahn-Le monde en couleurs” par David Okuefuna (éditions du Chêne, 2008). D'autres s'intéressent à une part géographiquement limitée des images comme Paris 1910-1937 (collectif, éditions Liénart, 2020). Enfin, un travail plus profond écrit par Adrien Genoudet (L'Effervescence des images - Albert Kahn et la disparition du monde, éditions des Impressions nouvelles 2020) dévoile des aspects moins connus et souligne la magnifique singularité du projet des Archives de la planète.
2- Photochromes présentés à l'exposition.
Ce que la Palestine apporte au monde, Institut du monde arabe, 2023.
3- Photographies présentées à l'exposition Voyage dans l'ancienne Russie, musée Zadkine de Paris en 2013-2014.
4- Dès 1911, la France produisait environ 800 millions de cartes chaque année !
5- à feu et à sang la guerre civile européenne 1914-1945 (éditions Stock, 2007)
Autres autochromes dans la région

Superbe rétrospective ! Merci Alain
RépondreSupprimerExcellents ces autochromes de Kahn ... Certains ont déjà été publiés dans le groupe " Un Siècle de Réolais..." sous forme de cartes postales rigoureusement identiques ... Peut-on penser que ces autochromes ont servi pour réaliser des cartes postales au début 1900 ??
RépondreSupprimerMerci Alain. Très interessant à exploiter.
RépondreSupprimerRaymond
Merci infiniment pour votre aide précieuse !
RépondreSupprimer