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Sommaire Général LA VIE D’UNE FERME BIO À BARIE, GIRONDE (1975-2012) Assortie d’un prélude sur le développement de la bio  en France et en A...

Une ferme Bio à Barie




LA VIE D’UNE FERME BIO
À BARIE, GIRONDE (1975-2012)
Assortie d’un prélude sur le développement de la bio 
en France et en Aquitaine



PRÉFACE

Combien de fois j’ai regretté de ne plus pouvoir questionner mes ascendants sur leur vie et celle de leurs parents et grand-parents !
À 70 ans, j’ai donc décidé de rassembler mes souvenirs pour mes proches... J’ai logiquement
commencé par les souvenirs familiaux, que mes enfants se chargeront - s’ils le désirent - de compléter pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs enfants. Au fur et à mesure, prenant conscience que la vie familiale est incontestablement influencée par la vie professionnelle, j’ai décidé d’écrire aussi une « bio » sur nos activités, à mon épouse Bernadette et moi-même. Le mot « bio » n’est pas innocent, puisque c’est dans la mouvance de l’agriculture biologique que nous avons passé un peu plus de 40 ans de notre vie professionnelle. J’ai pensé (en toute modestie) qu’il pouvait y avoir un intérêt à communiquer sur notre expérience. Voici donc une « bio » de la « bio » !
Coïncidence : l’arrivée d’un méchant virus nous a tous contraints à inventer d’autres activités pour occuper notre temps. De ce fait, je n’ai pas eu mauvaise conscience à m’isoler devant l’ordinateur (et bénéficier de cette merveille que représente le logiciel de « traitement de texte ») pour m’atteler à la tâche. 
Le lecteur notera cependant que mes propos réalistes, pouvant être parfois ressentis comme
pessimistes, n’ont pas été influencés par l’ambiance morose très actuelle due à la crise sanitaire que nous subissons.
J’ai choisi de découper cet ouvrage en trois grands chapitres :

1) Le « gros morceau », qui consiste à raconter notre vie depuis nos années d’études jusqu’à
notre retraite agricole ;

2) Un rapide historique de la bio en France et en Aquitaine, pour expliquer le contexte à
l’époque de notre installation dans la petite ferme de Barie, en Gironde ;

3) Un dossier plus approfondi sur la commercialisation de nos produits et les techniques
utilisées sur la ferme (semis, désherbage, lutte contre les ennemis des cultures).
Je conclus enfin par une très courte réflexion personnelle sur l’agriculture biologique, et sur l’avenir économique de notre monde (en toute simplicité... merci d’en tenir compte !).

Michel Bruneau


SOMMAIRE


- UNE FERME BIO À BARIE, GIRONDE
Bernadette et Michel, premières années
Notre installation comme agriculteurs
- HISTORIQUE NATIONAL ET REGIONAL
Historique national
Historique en région Aquitaine
- LES DIFFERENTS TYPES DE VENTE
Vente directe au consommateur
Vente en demi-gros, au magasin
Vente en gros
- TECHNIQUES UTILISEES SUR LA FERME
Les semis
Le désherbage
La lutte contre les ennemis des cultures
- QUE PENSER DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE ?




UNE FERME BIO À BARIE, GIRONDE

Bernadette et Michel, premières années
    Bernadette est la fille d'immigrés italiens, venus des régions de Trévise et d’Udine. À force de labeur, ils sont devenus propriétaires d'une ferme de 13 hectares à Barie, dans la riche plaine de la Garonne.
    Plutôt motivée par l’éducation, elle quitte la maison familiale pour faire des études d'éducatrice spécialisée à Paris. Elle connaît alors l'agitation des événements de Mai 68, sans vraiment adhérer aux slogans révolutionnaires ! Après ses études, elle rentre dans la vie active en tant qu'éducatrice dans les IMP (instituts médico-pédagogiques), puis revient dans le Sud-Ouest où elle multiplie les « petits boulots », très divers. Ses employeurs apprécient la rapidité et la bonne humeur de cette salariée très libérée !
    Pour ma part, je suis un enfant « rangé », qui effectue son lycée en pension dans une école religieuse réputée de Vendée. Après une pénible réussite au bac «sciences expérimentales», je choisis de m'orienter vers l'agriculture et suis admis pour préparer le concours de l'école d'ingénieur de Toulouse-Purpan. Je l’intègre après un succès plus que laborieux, et affronte les études supérieures au sein de cette école renommée. Les événements de 68 me laissent plutôt indifférent, en tout cas très hostile au slogan « Il est interdit d'interdire ! »
    C'est seulement au cours de la deuxième année que 
j’entame une remise en cause générale de ma vie précédente, par le biais d’une crise d'adolescence tardive. Les causes principales sont dues à une analyse à retardement des idées généreuses de mai 68 et, bien sûr, aussi à la rencontre de celle qui va devenir ma femme pour la vie. C'est en effet en
septembre 1970, lors d'un stage dans le Lot-et-Garonne, que je rencontre Bernadette, une jeune femme qui me met à l'aise et me procure une certaine confiance en moi-même. Je décide alors d’abandonner les études pour embrasser une nouvelle vie... 
    Je ne reviendrai jamais étudier à Purpan ! Avec Bernadette, je rejoins malgré tout Clermont-Ferrand pour accomplir mon stage de fin d'études sur les microclimats en Auvergne, et les cultures nouvelles qui pourraient s'implanter dans un environnement climatique favorable.            Durant notre séjour dans cette ville agréable, nous fréquentons les milieux dits « non-violents » et nous familiarisons aux techniques « douces » préconisées au sein de cette mouvance idéologique... dont bien sûr l’agriculture biologique, qui me séduit aussitôt.
En effet, suite au décès du père de Bernadette, la question du devenir de l'exploitation familiale se pose. La mère de Bernadette ne veut pas céder ses terres sans les avoir d’abord proposées à ses enfants.
    Nous n’hésitons pas longtemps, tout en précisant que je dois me libérer au préalable de mes obligations civiles - et non pas militaires, car entre-temps, ma demande pour obtenir le statut d'objecteur de conscience a été acceptée pour non-violence ! Je tiens à prévenir ma belle-mère que nous pratiquerons l'agriculture biologique. « Voilà un drôle de gendre ! » a-t-elle dû penser... Mais la confiance dans ses enfants a prévalu. Il en a été de même pour mes parents qui, mis devant le fait accompli, ont dû prier très fort pour que mes rêves deviennent une réalité réussie.
    En 1972, Lévinia, notre premier enfant, naît à Clermont-Ferrand (ce qui favorise le « pardon » de mes parents pour avoir abandonné mes études !) ; Bernadette est désormais occupée à plein temps pour un « contrat à durée illimitée ». Devenu salarié, je dois diversifier mes compétences dans la lutte contre la grêle, la récupération des archives météorologiques et l'application des prévisions météo aux agriculteurs. L’heure du service civil ayant sonné, je quitte l'observatoire du Puy-de-Dôme pour rejoindre mon lieu d'affectation à l'ONF (Office national des forêts). Mon incorporation est toutefois retardée, et avec Bernadette nous en profitons pour effectuer un stage dans une ferme bio située à Port-Sainte-Marie (Lot et Garonne), chez Marcel et Josée Verbruggen (que j’ai évoqués plus haut). Nous passons l'hiver et le début de printemps dans cette ferme aux activités très diversifiées, un type de ferme que je n'avais jamais rencontré dans mes stages précédents.
Le couple, originaire de Belgique, complétera très vite son activité de production de légumes en créant une petite unité de transformation et en distribuant ses produits et ceux des producteurs du Gabso en France et à l'étranger. Le séjour est très formateur, mais je dois rejoindre mon lieu d'affectation si je ne veux pas être accusé d’insoumission ! Et je suis pleinement conscient de mes responsabilités de jeune père de famille... Bernadette et moi-même prenons bien soin de confirmer à sa famille notre décision de reprendre la ferme.

    Ma première année de service civil se déroule dans les forêts domaniales de Dordogne, puis du Lot-et-Garonne. Muni d’un outil nommé « croissant », je débroussaille les anciens chemins forestiers laissés à l'abandon, envahis par les ronces. 
    C'est un travail de longue haleine, qui m’apprend que la nature ayant horreur du vide, l'entretien pour les moyen et long termes est essentiel ! Mon statut me permet de retrouver ma petite famille chaque semaine, d'autant plus que Bernadette vient d’élire domicile à Barie, son village natal, qui est peu éloigné des forêts du Lot-et-Garonne. Grâce à sa mère, elle se familiarise avec la pratique du jardinage (date des semis, entretien des cultures, récolte...) et prend très vite goût à cette nouvelle vie de paysanne. C'est aussi une vie de maman qu'elle doit assumer, d'autant plus qu'une seconde fille, Suzie, est annoncée ! Les week-ends passés à la ferme confirment notre souhait de relever le défi, malgré un environnement professionnel dubitatif quant à cette agriculture de « marginaux »... Et marginaux nous le sommes, avec nos habits cousus à la main - souvent reprisés et rapiécés -, nos sacs en bandoulière faits avec de vieux draps en lin, la minijupe de Bernadette, mes cheveux mi-longs et ma barbe d'imberbe...     Et j'en passe ! Je finis par demander un statut de soutien de famille qui, même s'il n'est pas officiellement accordé, est toléré à condition de rester dans ma nouvelle résidence de Maucousinat à Barie. 
    Je suis même sous surveillance discrète de la maréchaussée du canton !
Introduction un peu longue, j’en conviens, pour en arriver à la ferme bio de Barie ! Mais il a sans doute fallu ce cheminement - idéologique certes, mais vécu - pour que s’affirme notre motivation d'unir nos idées à nos actes. Cela aurait pu être notre devise !

Notre installation comme agriculteurs
    C'est en 1973 que nous acquérons une partie des terres de la ferme, soit 6 hectares, pour démarrer officiellement notre activité en 1974. Notre première réalisation consiste à planter 
5 000 griffes d'asperges sur 50 ares, fin mars, de façon à récolter nos premières asperges bio en 1976, après les deux ans nécessaires à la conversion.
    Ce légume de printemps, particulièrement adapté aux terres 
sablo-limoneuses douces de notre acquisition, est réputé très lucratif à l'époque. Effectivement, il nous permettra d'assurer un revenu qui fera oublier celui de la culture du tabac, qu'aucun agriculteur de la région n'abandonnerait, pour rien au monde ! Néanmoins, suivant les conseils familiaux, nous acceptons de planter en mai 20 000 pieds de tabac, mais en les produisant selon les principes de l'agriculture biologique... sous l’œil très dubitatif de notre environnement familial et professionnel, habitué à suivre scrupuleusement les conseils de culture des agents de la Seita ! Dans la même idée de respecter les productions locales, nous plantons 20 ares d'osier, faisant fi de cette terre propice au liseron, grand concurrent de toutes les cultures - surtout de celle-là. En même temps, nous cultivons quelques légumes pour démarrer une clientèle de « paniers », que Bernadette distribue chaque semaine. Nous vendrons également nos premières pommes de terre nouvelles au grossiste du coin, qui les accepte malgré leur petite taille. Au vu de la demande croissante en légumes, Bernadette décide très vite de s'installer sur le marché de La Réole, et tiendra ce stand jusqu'en 2009. Ce n'est pas sa troisième (et dernière) maternité de 1975, cette fois pour un garçon, Antoine, qui arrêtera cette forcenée du travail !
    L’envahissement des terres par le liseron et d’autres adventices s’avère problématique, car les parents de Bernadette ne suivaient pas tous les conseils préconisés pour le désherbage de leurs céréales. Je décide donc de ne pas chercher à occuper de grandes surfaces par des cultures fragiles, ce qui me conduit à revoir à la baisse mon ambition d'un assolement rémunérateur. De ce fait, sur les surfaces non cultivées en légumes, je choisis d’implanter de la luzerne, que j’estime (encore aujourd’hui d'ailleurs) être idéale pour nettoyer les terres et les enrichir. Rapidement, la lucidité d'un combat perdu d'avance contre le liseron, le chardon et l’oseille me fait abandonner la couleur locale de l’osier pour me consacrer à l’entretien des asperges, qui nous promettent une bien meilleure rentabilité.
 
    Pour l’instant, la faiblesse de nos revenus par rapport au besoin d'investissement minimum de l'installation m’oblige à partir « en journée » pour ramener quelques subsides dans le foyer ; j’en profite pour me faire la main chez des professionnels. C'est ainsi que je commence à travailler chez Paul et Josette Bouron, pionniers locaux de l'agriculture biologique, anciens de la méthode Lemaire-Boucher et très vite convertis pour appliquer le cahier des charges de Nature et Progrès. Je me rends aussi chez un agriculteur « en chimie » pour effectuer divers travaux - toujours intéressants à découvrir quand on n'est pas issu du milieu agricole ; en plus du salaire perçu, mon patron me prête des arceaux de tunnel de 4,20 mètres, qui vont vite nous permettre de gagner en précocité pour nos cultures légumières.
    Le besoin de matériel se faisant sentir, je demande à adhérer à la Cuma (coopérative d'utilisation de matériel agricole) de Barie en février 1974. Malgré mes convictions marginales de l'agriculture « dominante », le bureau m'accepte sans plus de conditions. 
    Je les remercie encore aujourd'hui pour la confiance qu'ils m’ont accordée ! Heureuse coïncidence, c'est l'année de notre adhésion que la Cuma fait le choix d'un outil remarquable pour les maraîchers : je veux parler du rotavator (je maintiens le nom de la marque... un peu comme nos cuisines ont longtemps été équipées de « frigidaire »). Et du matériel, il en faudra, car nous savons déjà qu’en 1978, nous devrons acheter et mettre en culture les 7 hectares restant à acquérir de la ferme familiale.
    La fumure des cultures constitue un autre poste incontournable. Afin de satisfaire la vision très économe de la belle-famille, j’acquiers un cheval et des génisses pour stocker le fumier.         Celui-ci est indispensable à la réalisation d'un compost de qualité ; j’y ajoute du marc de raisin pour l'alléger. En commande groupée avec Paul Bouron, nous faisons venir un wagon de soies de porc qui comme toutes les phanères contiennent de l’azote, et des phosphates naturels de Tunisie. Toutefois, les premières analyses de sol révèlent la présence de potasse et ses apports seront donc modulés. Ah, ce fameux « NPK » si souvent martelé en cours d’agronomie! De plus, la présence de volailles et cochons permet de combler les manques ou d'alimenter en appoint les cultures gourmandes du jardin.
    En février 1975, je me rends à la Seita accompagné de ma belle-mère - bien connue des agents pour avoir produit le bon tabac qu'ils attendent de chaque tabaculteur. J’attends le verdict : quelle note vais-je obtenir pour mon tabac (presque) biologique ? Evidemment, c’est l'humiliation totale :    « M. Bruneau, votre tabac est incombustible ! » Je ne vous dévoilerai pas la note obtenue, mais autant vous dire qu’elle ne permettait pas de combler nos espoirs dans cette culture théoriquement « de rapport » ! Cet échec cuisant nous confirme que le bon choix, ce sont les légumes. Bernadette démarre son premier marché à La Réole le 7 juin 1975, et le 12 juin je rejoins Blanquefort pour passer avec succès le brevet agricole. Celui-ci me manquait pour être reconnu jeune agriculteur, et bénéficier ainsi des aides à l'installation.
Les bonnes relations entretenues avec mes anciens employeurs sont récompensées, puisque Paul Bouron me construit un vibroculteur qui offre la polyvalence de travailler le sol et, en le réglant différemment, d'effectuer des binages salutaires. « Un binage vaut deux arrosages ! », me dit-il. En plus des cultures de légumes et de luzerne, l'assolement inclut un hectare de maïs qui est séché en crib1, 50 ares d'orge pour les cochons, autant de blé et un essai de lentilles (légumes secs), lesquelles sont particulièrement vulnérables aux herbes concurrentes.
    Deux années de conversion s’ensuivent. L’analyse d'éventuelles traces de simazine et d'atrazine dans le sol (en raison de la présence de maïs dans l'assolement des années antérieures) se révèle heureusement négative, et la ferme obtient la mention Nature et Progrès.
    Arrive enfin le printemps 1976, qui sonne l'autorisation de récolter nos asperges, mais jusqu'au 1er mai seulement ! Pas pour respecter la fête du travail, mais pour ne pas épuiser la plante par un ramassage trop intense : les racines sont encore jeunes et fluettes, et ne peuvent pas stocker les réserves pour les années à venir. Bernadette est fière de proposer ce légume de printemps à ses clients de La Réole :
c'est le légume nouveau qui arrive le premier sans précocité artificielle par utilisation de plastiques !
(1) Cage grillagée haute, étroite et longue, où l'on entrepose les épis de maïs pour les laisser sécher.

    Elle bat son record de vente : 500 francs. Bien sûr, la production d’un demi-hectare ne peut être entièrement vendue sur le marché, et le Gabso se charge de nous écouler le reste sous la mention Nature et Progrès. En effet, c'est sans aucun problème que Paul Bouron et Marcel Verbruggen ont parrainé le jeune couple d’agriculteurs que nous sommes pour adhérer au Gabso, d’autant plus que l’asperge est un produit encore peu cultivé au sein du groupement fraîchement créé. Ce n'est donc pas seulement par philanthropie qu'ils ont vu arriver les cageots de 6 bottes d'asperges, nécessitant peu de manutention pour un prix unitaire élevé !
    Peu après, un jeune Réolais vient nous demander de le prendre comme apprenti ; il sera le premier d'une longue série ! Nous sommes invités aux comices agricoles qui se tiennent dans le chef-lieu de canton (Auros), et avons même l'immense honneur de recevoir une médaille pour notre installation.
    Mais aucune référence à la bio... C'est beaucoup trop tôt pour que nous soit déroulé le tapis rouge !
    C'est aussi en 1976 que le maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas, et son conseil municipal, décident d’installer un marché bio sur la place Saint-Pierre de sa ville. Il s’agit ni plus ni moins du deuxième marché bio créé en France, après celui de Villeneuve-sur-Lot en 1975. Michel et Monique Badie, maraîchers bio à Tabanac (Gironde) et déjà installés sur le marché Saint-Michel, sont chargés par les autorités de recruter des producteurs. Ayant vaguement entendu parler de petits maraîchers près de La Réole, ils nous contactent. 
    Sans trop réfléchir, nous effectuons le grand saut vers la capitale régionale ! Le marché démarre le jeudi 16 septembre 1976. Nous nous sommes fixés une recette minimum de 1 000 francs pour rentabiliser le déplacement, et décider de notre maintien ou non sur le marché. La somme est même dépassée, et le verdict sans appel : j’assurerai ce marché presque tous les jeudis et ce, jusqu'en 2009...
    Cette initiative bordelaise participe au décollage de la ferme de Barie et de bien d'autres. Il faut imaginer que jusqu'alors, les légumes biologiques, cultivés plutôt par des jardiniers, sont vendus dans des magasins de diététique qui offrent peu de choix et une fraîcheur discutable. L'arrivée de producteurs plus mécanisés, disposant de plus grandes surfaces et proposant des légumes ramassés la veille, connaît forcément le succès. Les initiateurs du marché eux-mêmes ont dû en être étonnés !
    Nos productions continuent de se diversifier ; à la demande d'un transformateur, je cultive durant plusieurs années le maïs blanc d'Astarac (destiné à la fabrication de polenta). Toujours dans l'esprit de conserver des productions locales, nous gardons une partie de la vigne de la ferme familiale.
    Si la qualité du vin obtenu laisse à désirer (peu de degrés), ce cépage hybride produit un excellent jus de raisin, dont nos enfants pourront longtemps se régaler ! Mais assez rapidement, nous comprenons que certains légumes se plaisent plus que d'autres dans cette terre douce et profonde, mais pauvre en argile, à faible capacité de rétention des eaux de pluie et d'arrosage. Les légumes à racine pivotante, qui s'enfoncent dans le sol pour chercher l'humidité (comme les carottes) font la différence avec ceux à racine dite « fasciculée », type salades, tomates, melons... Adepte de la diversité, Bernadette ne veut toutefois pas abandonner ces cultures ; je reconnais le bien-fondé de son choix, d'autant plus que la
vente sur le marché implique de proposer une large gamme de légumes à la clientèle.
 
    Le coup de pouce vient du GVA bio, où nous faisons la connaissance d'une autre ferme bio, celle de Josette et Mario Gallon. C'est seulement à 7 kilomètres à vol d'oiseau de notre ferme qu’ils cultivent leurs légumes bio « dans le plus strict anonymat » ! La prise de contact se transforme vite en un désir de coopération afin de fournir nos marchés en légumes, tant le besoin se fait sentir de compléter la gamme en diversité et en qualité. Avec des terres plus argileuses, les cultures d'oignons, d'aulx, d'échalotes, de melons et de potirons sont plus appropriées chez eux que sur les terres très filtrantes de Barie.
    À Saint-Pierre , je me livre avec Michel Badie (créateur du marché) à une concurrence loyale, certes, mais améliorable. Quand je découvre ses salades, je les trouve plus jolies que les miennes, et Michel me rend la pareille en enviant la beauté de mes carottes... Il en va de même pour les choux de Tabanac et les épinards de Barie. Ensemble, nous décidons donc d'échanger ces légumes.

    Pour être plus complet, il faudrait citer Monique, Jacques, Jean-Luc, Jean-Paul et Marie-Thérèse, Franck et Mireille, Paul et Josette, Yvon, qui coopèrent quelque temps dans ce cadre-là. Ainsi, pendant de nombreuses années, cette entraide de production et de vente porte ses fruits. Une initiative d'avant-garde, car elle propose déjà des produits bio, locaux et venant de petits producteurs !

    Je dis « petits producteurs », pourtant nous évoluons doucement (mais sûrement) vers une entreprise agricole, dans la mesure où nous allons devoir embaucher du personnel ! En effet, les asperges nécessitent la présence d'une personne pour le ramassage matinal, le lavage, le tri et la mise en bottes.
    De plus, le succès commercial sur les marchés et par la vente au Gabso nous encourage à produire plus et mieux, et nous n'hésitons donc pas longtemps à prendre des salariés. Simultanément, les demandes de stages et d'apprentissages sur la ferme se multiplient. Dans un premier temps, elles proviennent de l'association Nature et Progrès, qui place les jeunes Français ou étrangers chez ses adhérents. Plus tard, ce seront des élèves en école d'apprentissage (La Réole, Gironde-sur-Dropt, etc.)
et dans les années 2000 des élèves d'écoles d'ingénieurs (l’Enita2 de Bordeaux - devenu Bordeaux Sciences Agro en 2011 - et même l'ENSA de Grignon, alias AgroParisTech depuis 2007).
    Mais ne sautons pas les années : nous sommes en 1977. Si le besoin de personnel se fait sentir, je perçois, en même temps, la nécessité de mécaniser certains travaux. Tout d'abord, il faut diminuer la pénibilité et le temps de désherbage. L'achat d'une bineuse guidée devient indispensable ! J’y associe rapidement deux paires de brûleurs pour le désherbage en pré-levée3 des légumes à croissance lente, comme la carotte (cf. annexe 2 : la photo de cette bineuse équipée des brûleurs sur l’article de Sud-Ouest du 1er décembre 1992). De son côté, la Cuma acquiert un semoir de précision pour oignons, carottes et betteraves rouges ; sur Barie, cette dernière culture légumière remplacera progressivement la culture de tabac, et nous y viendrons plus tard pour la vente en gros.
    Enfin, l'estafette toute neuve se substitue désormais à la remorque bondée, tirée par la «4L». Il était temps !
    En parallèle, les recettes des marchés continuent de croître. La Réole : 700 francs, Bordeaux : 1 600 francs. Les demandes affluent ; grâce à la motivation du chef de rayon des légumes, le centre Leclerc de Langon nous demande instamment de le fournir en asperges, poireaux et carottes. Les activités annexes ne manquent pas : après avoir été élu administrateur du Gabso, je suis pressenti pour en devenir le secrétaire, poste que j’accepte l'année suivante. L'association Nature et Progrès me demande de présenter mon installation lors de son congrès annuel à l'auditorium de Bordeaux.
    Le 31 juillet 1977, nous nous faisons un devoir de participer à la manifestation, qui se déroule sur le site nucléaire de Creys-Malville (Isère) contre le projet de réacteur Superphénix. Elle sera malheureusement violente.
    
    Les années 1978-1979 confirment l'embellie et dépassent même nos prévisions. Le marché de La Réole s’envole ! Le samedi 3 juin, Bernadette culmine à 1 400 francs et la recette bordelaise dépasse les 2 000 francs. Encouragés, nous continuons d'investir, contraints même d'approfondir notre puits pour ne pas manquer d'eau en fin d'été. Le stockage des céréales (orge, blé, maïs) nécessite l’aménagement d’un « mini silo » doté de cellules à grains. Pour expérimenter le travail du sol sans labour, j’achète une fouilleuse, machine préconisée par les protagonistes de la méthode Lemaire-Boucher. Une herse étrille complète le tout pour le désherbage des céréales. Nous tenons également à couvrir tous nos besoins en plants (cf. annexe 3 : semis des légumes). La chose est rendue possible
grâce au prêt d’un générateur de vapeur aux maraîchers par d’anciens planteurs de tabac. Nous produisons dès lors nos plants de poireau et de céleri, et la culture du persil s’en trouve améliorée.
    Pour faciliter les épandages de matière organique, les engrais organiques du commerce remplacent le compost ; étant plus riches en azote, ils fertilisent convenablement les céréales.

(2) - Créées à partir de 1963, les écoles nationales d'ingénieurs des travaux agricoles formaient des ingénieurs des travaux agricoles (ITA) pour l'État et le secteur privé ; elles dépendaient du ministère de l'agriculture. Depuis le milieu des années 2000, la plupart sont regroupées avec les anciennes écoles nationales supérieures agronomiques (ENSA), ou des écoles vétérinaires.
(3) - Ensemble des stades de la vie de la plante qui précèdent la levée de la plantule du sol.

    Le poste de secrétariat du Gabso m’oblige désormais à monter sur Paris pour représenter l'agriculture biologique du Sud-Ouest au sein de la Fnab, et cela pendant plus de 10 ans. Localement, je suis appelé dans les écoles primaires pour parler d'environnement et des dangers des « produits chimiques » (en fait, les produits issus de la chimie de synthèse, car tout le vivant est fait de chimie !) dans la culture de légumes.
    
    En 1980, je décide de rouler au gaz naturel et fais installer 3 bouteilles sur le toit de mon estafette, au grand dam des grands-parents qui ne supportent pas l'idée (rétrospectivement, à juste titre) que leurs petits- enfants soient véhiculés dans une bombe potentielle... Nous n'avons qu'un seul véhicule pour le travail et la famille, évidemment ! Il faut dire que les voyages familiaux sont à l’époque plutôt rares, les dimanches étant souvent occupés par le bricolage, le rangement et l’arrosage - la pire corvée qui soit quand ça ne marche pas, et c'est souvent le cas ! Heureusement, les grands-parents comblent ce manque en offrant à nos enfants des séjours au bord de la mer. Qu'ils en soient ici encore remerciés à titre posthume !
    Avantage indéniable de la solidarité entre producteurs, les nombreuses visites de fermes permettent de suivre l’évolution des techniques. Ainsi, on nous conseille des engrais verts de moutarde pour lutter contre le ver du taupin (coléoptère), ennemi souterrain de la pomme de terre ; mais malgré des semis tous les ans dans la rotation, cela ne résoudra jamais le problème récurrent de sa présence ! Par contre, la teigne du poireau n'est plus un problème en utilisant le bacille de Thuringe. Quel plaisir de résoudre ainsi des problèmes de façon aussi radicale : on en arriverait presque à comprendre les utilisateurs de produits chimiques ! En pratiquant une agriculture écologique, on met le maximum de chances de son côté pour qu'un équilibre naturel permette de se préserver d'un envahissement par des espèces indésirables ; c'est ce qui nous fait persévérer, malgré les échecs. Mais la nature ne l’entend pas toujours de cette façon ! En Afrique, les vols de criquets ont de tout temps existé malgré un
environnement préservé.
    Et là, les dégâts sont autrement plus graves que la présence de trous noirs dans les pommes de terre...
    Dans cet océan de bonnes nouvelles pour notre petite entreprise, je ne peux passer sous silence les déboires survenus durant l'année 1981, qui atteint des sommets dans les calamités. Ce terme est tout à fait approprié pour relater les deux phénomènes atmosphériques qui s’abattent sur la ferme. Tout d’abord, le 8 mai, un orage de grêle dévaste les cultures de plein champ, y compris les légumes qui, ramassés ce même jour, sont étalés sur la plateforme en vue d'être lavés. Les toitures et véhicules subissent aussi des dégâts.        Seuls les légumes poussant à l’abri de notre petit tunnel sont préservés.
    Quel dommage qu'un tel désastre survienne au printemps, alors que c'est la saison des records de vente sur les marchés ! Le jeudi précédant la catastrophe, la recette a atteint la fabuleuse somme de 4 500 francs... Quelques mois plus tard, le 15 décembre, Barie connaît la plus grave inondation de la Garonne au XXe siècle, après celles de 1930 et 1952. La protection civile reçoit l’ordre d'évacuer les habitants avec des zodiacs et, pour l'anecdote, nous devons nous courber pour passer sous les fils téléphoniques ! C'est dire que poireaux, carottes, navets, radis noirs, céleris et épinards baignent littéralement et ce, durant plusieurs jours... Les pertes sont considérables, mais un formidable élan de solidarité afflue de partout : l'association Nature et Progrès, les producteurs du Gabso, les clients de nos marchés, les nombreux amis et la famille nous aident chacun à leur manière. La belle récolte d'asperges qui suit, au printemps 1982, nous console heureusement. En l'occurrence, nous pouvons
remercier les terres filtrantes de Barie, qui ont permis aux griffes d'asperges de ne pas pourrir durant l’inondation. Autre rayon de soleil, notre petit groupe de maraîchers nous permet de tenir nos stands sur les deux marchés et ainsi de garder notre clientèle.
    Les innovations se poursuivent malgré ce coup dur, et nous entreprenons des essais de semis. Ceux de trèfle blanc dans le maïs s’avèrent peu concluants : il faudrait semer le maïs dans le trèfle blanc déjà implanté ! L’efficacité de ceux de sarrasin, afin d’étouffer les mauvaises herbes et favoriser la présence d'insectes utiles (prédateurs des parasites), reste difficile à estimer - c'est d'ailleurs très souvent le cas en agriculture biologique, où l'agriculteur cherche à mettre toutes les chances de son côté sans en connaître le résultat. C'est un gage d'humilité devant « Dame Nature » et de persévérance dans le travail non productif.
    Dans la famille des techniques efficaces, je dois évoquer l'utilisation du métaldéhyde pour lutter contre l'ennemi juré deslégumes(et des grandes cultures) : les limaces ! En tant que délégué du Gabso, je suis confronté au gros problème que pose ce produit chimique de synthèse, qui fait alors l'unanimité chez les producteurs du Sud-Ouest, mais aussi de toutes les régions de France... même en bio ! Or, le ministère de l'agriculture souhaite, fort logiquement d’ailleurs, s'en tenir au texte de la future loi enpréparation reconnaissant l'agriculture biologique comme étant « l'agriculture n'utilisant pas de produit chimique de synthèse ». Mais à l'époque, aucun autre moyen efficace n'est disponible. Face à ce dilemme, une dérogation est accordée, qui deviendra de plus en plus contraignante : avant l'arrivée
de l'orthophosphate de fer,
 le produit ne doit pas être en contact avec le sol, ce qui rend l'opération moins efficace et surtout difficile à réaliser sur des surfaces importantes.
    
    En 1982, je suis contraint d'acheter un tracteur de 65 chevaux, plus performant que mon petit 35 chevaux qui n'est pas assez puissant pour les nouveaux outils de la Cuma, plus énergivores. Je peux ainsi utiliser la herse animée, dite « vibrante », beaucoup plus efficace que les passages répétés de disques et de herses pour les lits de semences de maïs. Finalement, ce changement me convient !
    Quant à la luzerne, je la sème sous couvert de l'orge ; je me suis entendu avec Guy, éleveur à Barie, pour échanger les coupes en vert contre du fumier de ses vaches. Je laisse le fumier composter sur place avant l'installation des cultures légumières quelques mois plus tard. J’observe d'ailleurs que la luzerne, comme le trèfle, est un mauvais précédent pour les carottes, les betteraves et même les
asperges, qui sont très sensibles au rhizoctone violet (maladie causée par un champignon).         Par contre, il y a moins d'attaques de taupins sur les pommes de terre après la luzerne qu'après un trèfle.
    J’abandonne ainsi la culture de ce dernier, mais pas celle de la luzerne.
Les épandages de fumier par Guy me causeront néanmoins une déconvenue en 1990, que vous découvrirez plus loin...
    Nous n’avons toujours aucun souci pour trouver des producteurs susceptibles de coopérer sur les marchés, même après le départ d’Hervé, notre fournisseur de fraises parti barouder en Afrique et autour du monde. Place à Marie-Thérèse et Jean-Paul ! Entre-temps, notre ami Michel Badie commence une double activité de maraîcher et traiteur bio. Sa présence dans les festivals estivaux représente un débouché supplémentaire pour des légumes d'été généralement en surproduction.
    Nous voici désormais en 1983 ; Bernadette est élue au conseil municipal du village. Puis élue adjointe, elle profite de cette nouvelle responsabilité pour faire avancer quelques projets écologistes, entre autres le ramassage des plastiques agricoles que certains agriculteurs brûlent sans scrupules. Nos enfants ont entre 7 et 11 ans et il arrive que nous soyons dépassés par leurs occupations, mais la maman de Bernadette nous seconde parfois, tout en nous donnant quelques coups de main au désherbage. Et Bernadette a beau être une élue très dévouée, elle reste avant tout une maman !

    La ferme continue à produire sans connaître le moindre problème de débouchés : le marché Saint-Pierre réalise une recette de croisière de 4 000 à 5 000 francs suivant les saisons, et le Gabso nous incite à produire davantage, en particulier des carottes. Il faut bien avouer que cette culture est particulièrement adaptée à notre sol sablo-limoneux et riche en potasse. Une expédition de janvier atteint même 500 kilos de carottes (surtout), de navets, de choux rouges et même de choux-fleurs, dont la culture se révèle très aléatoire suivant les rigueurs des températures hivernales. Veuillez noter que j’ai bien intégré, et adopté, la technique des faux semis et du brûlage en pré-levée pour les carottes !
    Rappelons que la technique du faux semis consiste à faire germer le maximum de graines
d'adventices dans le lit de semences où seront semés les légumes, puis de détruire ces plantules adventices avant l’apparition des jeunes pousses des légumes concernés avant leur levée ; cela nécessite de l'observation, de la précision... et du gaz, si on veut une destruction efficace de ces « mauvaises herbes ». Ayant retrouvé les qualités du labour, j’ai aussi transformé la fouilleuse en lamesouleveuse, ce qui facilite considérablement le travail de récolte des carottes, mais aussi l'arrachage des oseilles dans les zones infestées... Ah, ces vivaces, elles ont la peau dure ! La fumure des cultures se poursuit sans gros changement. Néanmoins, le guano et ses 12 % d'azote semble être l'idéal pour donner un coup de fouet dans les blés au tallage (4)

(4) - Chez les graminées, émission d’une talle (nouvelle tige) à l’aisselle de chaque feuille.

    Après l'estafette, le Trafic fait son entrée à la ferme. Comme il se doit, il récupère les trois bouteilles de gaz, qui cette fois sont installées à l’intérieur du véhicule : elles servent de promontoire pour le siège de nos enfants ! Une chacun. Autant dire que les grands-parents sont encore moins rassurés...
    Maintenant que j’ai leur âge, j’aurais les mêmes craintes.
    Le 17 mai est une date importante : je monte à Paris participer avec la Fnab à la conférence de presse annonçant l'homologation du cahier des charges national de l'agriculture biologique.
    
    En 1984, quelques innovations voient le jour, comme l’écroûteuse que j’emprunte à un voisin pour effectuer un désherbage de surface dans les maïs. Bien plus « agressive » dans les sols tassés que pouvait l’être la herse étrille, elle me convainc aussitôt. Comme son nom l'indique, cet outil est alors utilisé essentiellement pour écroûter le sol, et ainsi permettre la levée des maïs dans les sols tassés par des pluies abondantes et devenus croûtés avec le soleil. Mais il présente aussi l'avantage d’éliminer les adventices annuelles, à un stade encore très jeune et donc fragile. « Il faut détruire les mauvaises herbes avant de les voir ! » est un principe de base que j’avais par ailleurs parfaitement intégré depuis longtemps ! Autre innovation guère enthousiasmante, mais efficace : l'essence de térébenthine comme désherbant biologique. Notre proximité avec la forêt des Landes girondine nous permet de trouver des coopératives spécialisées dans la distillation de la résine de pins.
 Ce produit naturel sera toléré quelque temps, mais sa composition entraîne à terme des risques de brûler les organismes vivants du sol. Je l’utilise en pré-levée des ombellifères comme la carotte, tout en prenant mes précautions pour le manipuler sans qu’il n’entre en contact avec la peau.
    
    Le 26 avril 1984, nous recevons la visite d'un journaliste de Sud-Ouest, qui rédige un article plutôt bienveillant sur notre expérience en bio (cf. annexe 4). Mais le point d’orgue de l’année est incontestablement notre virée estivale de trois semaines au Québec, avec l'ensemble vocal Prélude dont je fais partie depuis 1975. Bernadette m’accompagne. Les voyages forment la jeunesse, dit-on.
    En tout cas, ce superbe périple me permet de ramener une culture locale très appréciée chez nos  cousins d'Amérique : le maïs doux, communément appelé là-bas « blé d'Inde » en référence aux premiers colons européens qui croyaient fermement avoir trouvé les Indes – et du blé (bref, ils avaient tout faux !). Dès lors, ce maïs doux représentera un moyen de diversifier un peu plus notre offre auprès de clients avides de nouveautés, en leur dévoilant notamment la recette de « l'épluchette de blé d'Inde » : le maïs bouilli ou cuit au four quand il est au stade laiteux. Dans tous les cas, il faut copieusement enduire de beurre... C’est fun !
    Au classement des aléas climatiques, l’année 1985 n’est malheureusement pas en reste, et une autre expérience douloureuse nous attend. Le froid intense de fin janvier et début février – le thermomètre chute à –17 °C, et la Garonne charrie des glaçons - nous fait perdre beaucoup de légumes. Cette fois, impossible de compter sur les légumes de notre petit groupe, car les fortes gelées ont affecté la France entière. Mais là encore, nous sommes sauvés par la production d'asperges de printemps, dont le rendement ne chute presque pas.         Décidément, cette culture est un atout économique inestimable !
L'hiver 1987, malgré des températures basses et de fortes chutes de neige, occasionnera de bien moindres dégâts : le manteau neigeux (le terme est judicieux) protègera du froid les cultures dormant dessous.
    
    L’année 1985 est aussi celle du remembrement à Barie et dans les communes avoisinantes.
    Rétrospectivement, il est vrai que ce n'était pas du luxe, quand on étudie le plan cadastral de l’époque : nos champs sont alors en forme de « lames de rasoirs », c'est-à-dire très étroits.
    En raison de la 
promiscuité avec mes voisins agriculteurs (qualifiés de « chimiques »), l'écologiste que je suis encourage néanmoins ce projet, tout en exigeant d’intégrer la commission communale de remembrement afin d'inciter les propriétaires à planter des haies, lesquelles sont subventionnées par la DDAF (direction départementale de l’agriculture et de la forêt). C'est ainsi que 3 kilomètres sont plantés dans la zone remembrée, principalement des aulnes glutineux autour des plantations de kiwis, mais aussi sur les berges de la rivière Bassane. Quant à moi, je plante 200 mètres de haies diversifiées, selon la méthode de Dominique Soltner. Soit 36 essences différentes, pour faire un peu oublier la disparition de l'orme suite à la graphiose - qui le fait dépérir progressivement, mais sans le tuer toutefois.          Malgré les inévitables jalousies et hostilités, la grande majorité des agriculteurs locaux
s'accorde pour dire que ce remembrement est une réussite.
    Parmi les nouveautés en cette année 1985, on peut citer l'aménagement d'un gîte pour nos stagiaires.
    Cela soulage évidemment beaucoup Bernadette, qui a moins à se soucier des repas et des goûts de chacun. Pourtant, la plupart des stagiaires aimait vivre pleinement leur séjour dans la famille.
    Nous sommes également sollicités pour renseigner un agriculteur voisin, Yvon Ducos, qui envisage une conversion à l’agriculture biologique. Certes, c'est une conversion partielle pour optimiser les revenus de ses récoltes de kiwi, culture qui ne connaît alors aucun problème de parasitisme, mais nous sommes contents de pouvoir favoriser le tout début d'une lente évolution des techniques et des mentalités 
(cf. annexe 2 : article de Sud-Ouest du 1er décembre 1992).
    
    1986 voit la naissance de l'association foncière qui doit gérer l'entretien des chemins, fossés... Mais à la suite de la réalisation du remembrement, un autre grand projet va soulager les producteurs de tabac et les maraîchers : la création d’un réseau d'irrigation pour desservir les agriculteurs désireux d'obtenir une arrivée d'eau sur leurs parcelles. Finalement, ce projet concernera surtout l'arrosage du maïs, culture en pleine expansion dans le Sud-Ouest, puis très rapidement en France. Bien que ce réseau nous permettra d'augmenter considérablement nos surfaces de légumes en les intégrant dans une rotation plus longue (avec du blé par exemple, très bon précédent des cultures légumières), je ne voudrai jamais arroser le maïs, même les années de sécheresse. Pourtant, quand je dis que cette réalisation nous a soulagés, je pèse mes mots : en effet, pour arroser nos légumes plantés dans les parcelles longeant la Bassane, notre motopompe à essence « Bernard » nous cause beaucoup de soucis, tels le démarrage du moteur, la panne sèche et surtout les difficultés liées à l'étanchéité de l'aspiration.
    Alors qu'avec le réseau collectif d'irrigation, il suffira de tourner un volant pour ouvrir la vanne... Le progrès, ça a du bon !
    Les ventes sur les marchés dépassent nos prévisions, plus particulièrement au printemps. Je vends jusqu’à 140 kilos d'asperges sur un seul marché du jeudi à Bordeaux. Un parasol supplémentaire est même nécessaire pour ombrager tous les légumes du stand !
    
    L'année 1987 débute mal : il fait froid. Heureusement, la neige protège les légumes... pas le vin, qui gèle dans les barriques. Il faut dire que le chai est mal isolé... L'entreprise aménage un bâtiment pour le lavage, le tri et le conditionnement des légumes. Cet investissement dans un confort devenu indispensable ne relève pas pour autant du luxe car, jusque-là, lestravaux étaient effectués à l'extérieur, au gré du vent, du froid et de la pluie. J’en profite pour glisser un petit mot sur ce bâtiment, que l'on appelle le « paillé ». En effet, la paille nécessaire aux animaux était auparavant entreposée sur son toit.
Avant la réalisation de la digue par les Américains dans les années 1950, dans le cadre du plan Marshall, la plaine était souvent inondée et la paille était ainsi préservée, même si elle n'était pas à l'abri des pluies... mais les toits de chaume étaient efficaces !
Le premier marché de 1988 voit le début d’une petite tradition : nous offrons un cadeau aux clients pour les remercier de leur fidélité. Sur Bordeaux, il s’agit d'un petit sachet de noix et d'une bouteille de jus de raisin « maison ». Certains clients plus particulièrement « méritants » reçoivent une bouteille de vin ! La vente directe induit des relations fortes entre producteurs et clients. Pour permettre aux plus « lève-tôt » de s'approvisionner sur le marché, je suis opérationnel à 6 h 30 : balance installée et prix des légumes exposés. Cela implique que je me lève à 3 h 30, car le voyage, le montage des parasols et de l'étal, ainsi que la disposition des légumes nécessitent beaucoup de temps. Bernadette, à La Réole, a la même exigence.
Désormais, l'achat de serres larges de 6 mètres s'avère nécessaire pour faciliter la confection de nos plants en mottes et la production de tomates plus précoces. Nous avons longtemps résisté, nous contentant de notre tunnel de 4,2 mètres qui suivait la rotation.
Cette même année, je suis sollicité pour évoquer l'agriculture biologique à l'Enita de Bordeaux. Ma présence sur Bordeaux chaque semaine me fait connaître plus facilement qu'un agriculteur continuellement confiné sur sa ferme !
Nos enfants commencent à donner des coups de main, que ce soit sur la ferme pour planter du poireau (par exemple) ou sur les marchés pour nous seconder, ce dernier travail étant généralement préféré. Dans les deux cas, ils sont gratifiés.

    1989 est une année plutôt orientée sur les céréales. Le maïs blanc d'Astarac étant particulièrement sensible au charbon (maladie due à un champignon), je décide de satisfaire plutôt la demande en maïs « jaune » pour de petits élevages de volailles. Notre ami Michel Badie devient un gros client, car il a lancé un atelier de poules pondeuses.
    Le maïs n'étant pas une culture de climat tempéré à l’origine (il vient du Mexique), il n'est jamais ramassé sec à l'automne et doit donc être séché pour qu'il puisse se conserver.
    Le père de Bernadette ayant construit un crib à maïs, je continue à utiliser ce moyen "solaire" de séchage.
    Après avoir passé tout l'hiver dans le crib, les épis de maïs sont secs et peuvent être égrenés. Ce travail long et pénible (bruit, poussière, mise en sac) nécessite toutefois d'être amélioré, et je décide de ne plus effectuer la mise en sac. À cet effet, j’achète une vis sans fin qui va directement remplir une benne à céréales achetée d'occasion, spécialement étudiée pour faire une mise en sac à la demande.
    Je privilégie à la mention Nature et Progrès la marque Biofranc, qui vient d’être créée. Les années suivantes, la certification nationale AB devenant obligatoire, je ne ressens plus le besoin d'une marque, et me satisfais de ce logo qui va désormais fédérer tous les acteurs de l'agriculture biologique. Biofranc et Nature et Progrès se distingueront par encore plus de rigueur et d'écologie.
    La fumure des terres me vaut une belle humiliation en 1990. Comme je l’ai expliqué, les épandages de fumier se font sur les futures terres à légumes et Guy, mon voisin éleveur, épand jusqu'à ce que sa stabulation soit vide... Autant dire que je n'ai jamais compté les tonnages de matière organique, qui même compostés en surface, représentent sans nul doute d’importants apports en azote. Après un contrôle inopiné de la répression des fraudes, laquelle effectue une prise d'échantillon sur place et sur le stand du marché, je dois me rendre à l'évidence : je vends des carottes dont les teneurs en nitrates dépassent légèrement la norme autorisée ! Quelle gifle pour un maraîcher bio qui se veut sérieux et honnête... 
    Je signe le procès-verbal et limite désormais les épandages de fumier, quitte à rajouter des
engrais azotés pour les cultures gourmandes - comme les poireaux. C'est certain que je ne m'en vanterai pas lors des conférences à l'Enita de Bordeaux, ni lors des nombreuses portes ouvertes de ces années 1980-1990 (cf. annexe 5 : du journal Sud-Ouest de 1991, du journal local du Réolais du 24 mai 1991 et photo sur le document Cabso de 1994 ) ! Néanmoins, j’en informerai la Comac, organisme institué par la Fnab pour la transparence des contrôles avec les consommateurs (voir plus haut) .
    Pour soulager le travail de ramassage des pommes de terre, j’achète d'occasion une machine qui ne nécessite plus de gratter la terre à genoux et de faire suivre un panier, etc.
La machine ramasse, secoue 
le maximum de terre et pose les tubercules sur un tapis pour qu'ils soient triés par du personnel debout.
    J’ai enfin réussi à donner du travail à la chaîne à nos salariés ! Dans les faits, ces derniers sont bien contents de découvrir moins de pénibilité et, bienveillance oblige, sans que le chauffeur du véhicule ne les entraîne pour autant dans des cadences infernales.
    Mais un nouveau fléau va nous obliger à repenser les assolements : le lapin
Près des haies et des endroits préservés des cultures, il s’est découvert des lieux de villégiature. Quand on sait combien cet animal est prolifique, on imagine rapidement les dégâts qu'il peut causer. Un enfant qui regarde Bugs Bunny aura lui aussi vite compris ! 
En fait, on croit qu'il mange la racine de la carotte, mais il n'attend pas qu'elle grossisse, il broute la fane au fur et à mesure qu'elle pousse. Ainsi le lundi, vous plantez vos 2 000 choux et le mardi matin, il n'y a plus que les tiges... et de petites crottes rondes,indices incontestables d’un festin nocturne. Vous me rétorquerez qu’il existe bien des légumes qu'il n'aime pas ; c'est vrai, d'où la nécessité de repenser la répartition des légumes dans l'espace qui lui est consacré. Néanmoins, le lapin sait ce qu'il veut et il ira loin pour trouver ses légumes préférés ! C'est pourquoi, et bien qu’a priori « anti-plastiques », nous allons devoir couvrir les légumes vulnérables en déroulant des voiles anti-insectes, voiles que nous utilisons déjà pour lutter contre les insectes volants : je pense aux altises (petites puces friandes de crucifères, principalement), mais aussi aux mouches qui viennent pondre leurs œufs sur les fanes de carottes, afin que leurs petits aient de quoi manger dès l'éclosion et pendant toute leur croissance, pour descendre ensuite dans la racine et y creuses de vilaines galeries sur la racine ! Je pense que sans cette barrière mécanique, à l'image des si actuels masques antivirus, aucun maraîcher bio ne pourrait vivre de sa production.

    Ah si ! Nous avons bien essayé la clôture électrique à 15 centimètres du sol, mais entre les chiens errants, les herbes qui poussent dessous et diminuent - voire annulent - l'intensité du courant en rentrant en contact avec le fil électrique, le résultat est plus qu’aléatoire. 
    Sans rire, nous avons même tenté de faire fuir le trouble-fête avec des cheveux d'humains, récoltés chez des coiffeurs... Mais non.
Vraiment, rien ne vaut le voile plastique (c’est fantastique), en attendant avec impatience
l'hypothétique pandémie de myxomatose... Pardon pour les âmes sensibles !

    En 1991, je continue à monter à Paris pour les réunions de la Cnab, de la Fnab ou encore de Biofranc. Mais cette fois, fini les trains de nuit, grâce au TGV qui vous amène en plein cœur de la capitale en 3 petites heures depuis Bordeaux !
    En juin de cette même année se crée le marché bio de Pessac. C'est au tour du maire de cette ville de vouloir son marché bio, auquel on réserve un endroit privilégié : la place de la mairie. Mais attention à ne pas salir le revêtement par des taches d'huile fuyant de vieux fourgons! Nous sommes priés de glisser un carton sous le véhicule. Normal. 
    Ce marché sera tenu par nos salariés. Mais pourquoi un marché supplémentaire sur la Cub (5) ? Nous ne sommes pas encore très nombreux à pratiquer le maraîchage bio, en Gironde tout au moins, et par manque de candidats, les responsables de Pessac ont insisté pour que les marchands du marché bio de Bordeaux se déplacent le mardi dans leur ville.
    Ce choix, un peu contraint au départ, nous amène à produire encore plus de légumes, plus diversifiés, et à moins privilégier la vente en gros - à la rigueur la vente en demi-gros dans des magasins spécialisés, qui sont aussi très demandeurs. Côté diversité d’ailleurs, le pissenlit, le salsifis s'exposent désormais sur l'étal, suivis un peu plus tard par le panais et le topinambour.     Ces légumes d'un autre temps trouvent acquéreur chez les plus nostalgiques d'abord, puis dans l'ensemble de la clientèle : « Quand c'est bon, on achète ! »
    Et si nos légumes sont bons, garantissant ainsi notre succès commercial, nous le devons à la texture de nos terres, à la douceur de ces limons et sables très fins, à leur qualité filtrante et sans doute aussi à leur teneur en potasse. Je suis persuadé qu'un légume qui pousse sans difficulté, dans une terre qui amortit les conséquences des stress hydriques (manque ou excès d'eau), transforme plus lentement ses sucres (cellulose) en des éléments plus amers et plus durs, tels que l’hémicellulose et les lignines.
    Il sera donc meilleur au goût... pas forcément pour la santé ! Je parle là indépendamment du caractère bio ou conventionnel de l’agriculteur.
    Pour prévenir d’éventuels soucis, je prends l'initiative de faire analyser la teneur en nitrates de mes carottes. J’en profite aussi pour m'assurer que le cadmium6 contenu dans les eaux d’irrigation, puisées dans la Garonne, ne se concentre pas dans ce légume ni dans les poireaux, tous les deux étant très irrigués. Du coup, la faculté de Bordeaux nous demande de prendre des échantillons d'eau de la Garonne de façon régulière, mais par manque de temps, je délègue très vite ce travail à un écologiste local. Les analyses se révèlent négatives dans nos légumes. Ouf !

    1992 : c’est une révolution... Nous achetons un Minitel. Quel scoop ! Plus sérieusement, nous signons notre premier CDI avec une ouvrière qui travaillait déjà chez nous depuis quelques années, en CDD saisonnier. Nous avons longtemps été frileux pour nous engager dans le temps, sachant que peu d'agriculteurs locaux embauchaient avec ce statut, si ce n'est dans les vignes, bien sûr. Il s’agit d’un temps partiel à 30 heures par semaine, afin de garder un peu de souplesse... Prudence !
    Au mois de mai, les anciens élèves de Purpan décident de se retrouver à l'école et, bien timidement car n'étant pas ingénieur, je fais le déplacement à Toulouse. C’est un réel plaisir que de retrouver, 20 ans plus tard, des amis et surtout de savoir ce qu'ils sont devenus.     Quand le tour de table arrive à ma place, je ne sais pas comment mon engagement dans l'agriculture biologique va être accueilli. Finalement, aucune réaction négative, et même quelques encouragements à suivre cette voie.
Je suis rassuré. Bernadette m'avait bien dit de ne pas complexer !
(5) - Communauté urbaine de Bordeaux.
(6) -Métal lourd, sous-produit de l’activité minière (zinc) sur le site de Decazeville, baigné par le Riou-Mort, sous-affluent de la Garonne par le Lot. L’estuaire de la Gironde est toujours interdit au ramassage des coquillages, qui concentrent la pollution.

    J’en profite pour parler d’elle. Depuis notre installation, elle a le statut de « conjointe d'exploitant participant aux travaux », et cette situation ne peut plus durer. C’est notre première motivation pour envisager la création d'une société où elle aura le statut plus que mérité d'exploitante agricole, au même titre que son mari ! 
    Autre raison, notre entreprise n'a pas changé de statut au niveau de la MSA : nous sommes toujours au forfait. Il est donc plus que temps de mettre de l'ordre dans tout ça.                            Nous contactons le responsable juridique d'un centre de gestion, la Cogefa, et sur ses conseils nous choisissons l'Earl (entreprise agricole à responsabilité limitée) comme type de société, avec notre couple comme gérants, tous les deux sur le même pied d'égalité. Nous voici tous deux associés exploitants, et nous avons l'idée de proposer l'admission de trois autres associés : nos enfants ! En effet, vu les nombreux coups de main qu’ils nous donnent, nous caressons l'idée qu'ils pourraient, un jour, continuer l'aventure de notre petite entreprise, et souhaitons donc les intéresser tant financièrement par les bénéfices de l’entreprise que socialement par la lecture et signature des procès-verbaux de nos assemblées générales.             Avec le recul, heureusement que c'était sans illusion!

    1993 : la société est créée ! Cela ne change pas grand-chose au quotidien, si ce n'est une tenue plus rigoureuse des comptes et de la gestion en général. À ces fins, j’installe un bureau digne de ce nom, secondé par un fax qui se révèle être un outil polyvalent remarquable ! Nous décidons d'appeler la société Earl Biocousinat, pour corriger le nom de notre lieu-dit « Maucousinat », qui signifie « mal cuisiné ». Un comble ! Je choisis l'emblème du coquelicot, très présent dans les céréales au printemps, mais aussi en souvenir de l’émission télévisée «     Adieu coquelicots » qui avait créé la polémique à l'époque où j’étais étudiant à Purpan. 
    Là encore, au regard de l’actuel mouvement « Nous voulons des coquelicots », nous étions des précurseurs ! (cf. annexe 6 : tampon de l’Earl Biocousinat)
    Le 8 mai, je suis invité pour parler des produits biologiques dans l'émission « Français, si vous parliez », animée par André Berkoff sur FR3 national. J’y côtoie la très médiatique Maïté, car le sujet tourne autour de la saveur et de la qualité des aliments. Pas évident de parler en direct devant une caméra ! Autre évènement, sinon médiatique, mais révélateur de l'ouverture de la profession agricole girondine à cette agriculture encore marginale, tout au moins dans ce département : il s'agit de la venue de membres de la chambre d'agriculture sur le marché bio, place Saint-Pierre. Nous n'aurons pas de retour, mais l'idée fait sans doute son chemin !
    L’année compte peu de nouveautés techniques, si ce n'est l'utilisation de tourteaux de ricin en fumure azotée des pommes de terre, pour « éloigner » les taupins. Bien que les résultats ne soient pas significatifs, ce produit sera utilisé plusieurs années. S’il n’est malheureusement pas possible de ramasser les taupins, nous extirpons assez facilement les oseilles grâce à la lame souleveuse.
    L'entretien des terres reste malgré tout une corvée pour les salariés, de plus non lucrative à court terme pour les gérants ! Et puisque j’évoque les salariés, nous embauchons notre deuxième CDI, un an après le premier.

    1994. Avec la reconnaissance officielle de l'agriculture biologique, le ministère aide financièrement les agriculteurs qui veulent se convertir à ce type d'agriculture. Evidemment, cela crée des vocations, surtout que les acteurs de l'agriculture biologique ne font plus pitié depuis déjà plusieurs années.
    Certains militants de la première heure craignent que l'on évolue vers une agriculture biologique industrielle et opportuniste, et portent plusieurs revendications : absence de produits bio issus de serres chauffées, ferme devant être en bio dans sa totalité, assolement varié, plantation de haies, etc.
    Ce sont quelques points du cahier des charges proposé pour obtenir la marque « Produits fermiers bio du Sud-Ouest », qui soulève peu d'adhésions : en raison d’une envergure trop locale, elle ne résistera pas longtemps, mais bien des points sont intégrés dans le cahier des charges de Nature et Progrès.
    Aujourd’hui, certains font même l’objet de discussions pour la marque nationale AB, comme par exemple l’autorisation donnée à partir de 2025, sous conditions, de produire sous une serre chauffée.
    À Barie, pas question de serres chauffées, mais on utilise quand même de l'énergie fossile ! La surface grandissante de carottes, betteraves, fenouil, épinards et bientôt panais me conduit à acheter un brûleur à propane attelé au tracteur, pouvant ainsi brûler toute la largeur d'une planche : la technique du faux semis est devenue incontournable pour la culture de ces légumes, dont les semences sont petites et nécessitent un long temps de germination.
    De même, en raison d’une production abondante et variée, les moyens de stockage au frais dans la grange ne suffisent plus et l'achat d'une petite chambre froide s'avère indispensable. Mais cela nécessite l'agrandissement du « paillé », pour rapprocher l'aire de lavage, de tri et de mise en cagettes, de l'aire de stockage au frais, avant le chargement dans le fourgon. 
    Les salades, radis et herbes condimentaires sont ravis ; les autres légumes ne disent rien, mais n'en pensent pas moins !
    Du point de vue médiatique, M6 vient faire un reportage sur la haie variée (qui a déjà 8 ans). FR3 régional nous rencontre également pour un reportage sur la ferme, et la bio en général.

    1995. C'est la routine, l’entreprise tourne bien ! Toujours inquiet quant à la rentabilité des travaux commandés aux salariés, je cherche des solutions pour diminuer le temps de ces taches. Évidemment, le poste le plus chronophage est le désherbage. 
    Déjà équipé de deux bineuses qu'on pourrait qualifier de passives, je relève sur les revues spécialisées auxquelles je suis abonné qu'il existe des bineuses « animées » par la prise de force du tracteur. Quelle différence, me direz-vous ? Les bineuses passives n'agissent que par le travail des dents sur le sol, grâce à la vitesse d'avancement du tracteur ; elles ne sont efficaces que si les plantules indésirables (j'hésite à employer le terme de « mauvaises herbes », car dans les milieux bien-pensants de l'agriculture bio, c'est un gros mot, la nature ne pouvant engendrer que de bonnes créatures) sont encore jeunes et donc sensibles au moindre bouleversement de leur milieu de croissance. Mais il arrive que vos multiples activités vous fassent retarder l'intervention au moment optimum, par surcroît de travail, oubli d'aller vérifier régulièrement vos cultures ou encore, et c'est souvent le cas, installation de conditions climatiques pluvieuses vous empêchant de biner au moment favorable. Vos cultures sont alors envahies et même étouffées par ces herbes « concurrentes » (hi, hi !), désormais bien trop grandes et résistantes pour qu'une bineuse passive soit efficiente. 
    La bineuse animée, elle, est une machine munie de plusieurs motobineuses animées par la prise de force du tracteur : le travail agressif du sol par les dents qui tournent multiplie les chances de destruction des grandes herbes adventices ! Il restera néanmoins le fastidieux passage à la main sur le rang de la culture, avec ou sans binette. 
    Parfois même, si l'enherbement concurrent est trop abondant, il vaut mieux détruire la culture plutôt que d’effectuer un travail qui n’est pas rentable, et de toutes façons fort peu apprécié par le personnel !
    Le groupe d'échanges de légumes se dissout en 1996, Michel Badie se concentrant sur son activité de traiteur et Mario prenant une retraite méritée. Cela entraîne plusieurs changements importants dans notre organisation. La conséquence évidente est que nous allons devoir compenser en quantité et diversité le déficit de productions mises en vente sur les marchés, car il n'est pas question de diminuer le nombre de ces derniers ou l'offre sur nos étals. L’idée ne nous vient même pas à l'esprit ! Dans un premier temps, nous diminuons les contrats de vente en gros à la Cabso, ce qui constitue la meilleure solution à court terme. 
    Puis nous augmentons les temps partiels des salariés qui le désirent. Bernadette, qui doit gérer le surplus de travail au niveau des semis, est confortée par la création d'un tunnel réservé à cet effet. Je veux aussi rationaliser le travail de l'arrosage. Certes, le réseau d'irrigation le soulage beaucoup, mais je constate encore trop de déplacements de lignes d'arrosage... et que dire de tous ces tuyaux d'arrivée d'eau qu'il faut déplacer à chaque intervention au tracteur dans les cultures ! La bio nécessite en effet beaucoup plus de passages dans les cultures, à cause des binages et des traitements qu'il faut répéter. Je décide donc d'enterrer 600 mètres de lignes d'amenée d'eau, et de multiplier ainsi les prises d'eau au plus près des cultures.
    Mais cela ne résout pas le déplacement des lignes d'arrosage et de leurs asperseurs. J’investis alors dans un petit canon enrouleur, qui me permet d'arroser des surfaces beaucoup plus larges sur des cultures importantes de plein champ (pommes de terre, carottes, poireaux, betteraves, fenouil, toutes les variétés de choux, etc.). Je suis tellement satisfait de ce choix que l’Earl se dotera d'un autre enrouleur quelques années plus tard.
    L'arrêt des productions de Mario Gallon, notre producteur de tomates, nous conduit à innover dans la diversité de notre offre de légumes - principalement des tomates. 
    Depuis longtemps, la ferme de Sainte-Marthe, tenue par Philippe Desbrosses, autre figure emblématique de l'aventure bio, propose des variétés anciennes de semences de légumes. Bernadette, toujours à l'affût de diversité et de maintien du patrimoine vivant, avait déjà commencé à se fournir chez lui, même si Mario avait la priorité - et nous en étions très satisfaits.

    Désormais responsable du choix des cultures que pratiquait Mario, Bernadette décide de privilégier la production de tomates de variétés anciennes. Tout y est en effet : le goût, le charnu, la couleur, la faible présence de pépins et même l'exotisme. 
    Nos clients sont rapidement conquis par tant de qualités, et le succès commercial est assuré. C'est peu de le dire : quel engouement ! En fait, nous avons de l’avance, car ces tomates ne sont pas encore très présentes sur les marchés. Néanmoins, et nul n'est parfait, leur sensibilité à l'éclatement et leur conservation réduite dans le temps obligent Bernadette à continuer de semer des tomates « actuelles » en complément.
    La météo fait encore des siennes : des vents violents démontent nos petits tunnels. Pourtant, je reste attaché à leur souplesse d'utilisation, qui apporte de la précocité sur les cultures en rotation. J’avais déjà noté qu'au-delà de 80 kilomètres par heure, les dégâts « éoliens » étaient certains ! En prévision, nous pouvons assez rapidement sortir les ficelles et abaisser les plastiques, mais nous ne le faisons que très rarement, préférant croire que le météorologiste se montre volontairement alarmiste... La vulnérabilité de ces tunnels vient du fait que le plastique n'est pas enterré dans le sol, certes, mais cet inconvénient devient un avantage - très important en agriculture bio - pour l'aération des serres car nous pouvons ainsi soulever le plastique sur le côté. (cf. annexe 7 : photos de tunnels 4,20 m sur les articles Sud-Ouest du 24 mai 2005 avec notre fille Lévinia, et de 2012)
    Puisqu’on parle de vent, 1997 nous voit opérer un grand changement. Imaginez un peu, quand la tempête s’abat sur le marché ! On a beau haubaner les parasols (en l’occurrence, les parapluies), un coin plus fragile finit toujours par emporter le reste, avec par-dessus tout la crainte d'un accident sur notre clientèle. Nous investissons donc dans le confort et la sécurité : la « remorque étalage » est la solution ! Un achat d'occasion, bien sûr, chez un poissonnier.         Un peu de peinture suffit pour cacher la couleur bleue rappelant l'activité de son ancien propriétaire. Heureusement, l'odeur de la marée a disparu !
    En octobre, je me rends dans les locaux de la répression des fraudes, à sa demande, pour animer une conférence sur l'agriculture biologique nationale, régionale et locale. Comme quoi, c’est bien sans rancune d'un côté comme de l'autre ! Le brouillon de cet exposé, retrouvé dans mes archives, m’a d’ailleurs bien servi pour écrire ces lignes. Je remercie encore monsieur Papi qui a été, sans le savoir, à l'origine de cette initiative.

    1998 : il est devenu impossible de continuer cette entreprise sans l'embauche d'une salariée supplémentaire à temps plein. Nous voici donc partis pour notre troisième CDI !
    Après la répression des fraudes, c'est au tour de l'inspection du travail de venir nous visiter.     D’un air relativement sévère au premier abord, la personne ne relève pas de graves manquements aux différents articles du Code du travail... même si bien sûr des améliorations sont possibles ! Parmi les choses à revoir, et nous lui en savons gré finalement, nous devons « normaliser » nos installations électriques avec bouton-poussoir, et sécuriser nos échelles et greniers en installant des rampes et garde-fous.

    En février et en octobre, je participe à deux manifestations contre le maïs transgénique dans le Lot-et-Garonne ; j’y rencontre le très médiatique José Bové, qui est déjà venu nous voir à Barie au tout début de notre installation. En octobre également, le personnel de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt (DDAF) choisit notre entreprise pour sa traditionnelle visite annuelle de ferme. Nous ne sommes pas peu fiers ! (cf. annexe 8 : lettre de remerciements de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt)
    Investir constitue le leitmotiv de l’année 1999, sur les conseils de notre comptable qui trouve nos cotisations à la Mutualité sociale agricole (MSA) élevées. Nous optons donc pour un tracteur de 90 chevaux équipé d'une frontale ; celle-ci peut soulever palettes et palox (7)
, et transporter facilement les arceaux de nos petits tunnels – obligés de suivre la rotation dans les terres. Ce tracteur puissant me permet également d’utiliser les nouveaux outils de la Cuma, car elle aussi investit grâce à sa bonne gestion. 
    À noter que ce tracteur n'est ni neuf, ni cher : il vient de Russie ! Sa technicité n’est pas à la pointe du progrès ; cela tombe bien, car ce n'est pas non plus ce que je lui demande... Autre achat : un fourgon Master Frigo.
(7) Grande caisse dont la base est une palette, servant à contenir fruits et légumes.

    Certes, le frigo n’est pas indispensable pour vendre des légumes, mais c’est tellement satisfaisant pour l'esprit de pouvoir conserver la chaîne du froid jusqu'au consommateur !             Enfin, le désherbeur thermique prend une retraite bien méritée. Nous le remplaçons par un tout nouveau modèle marchant au gaz propane liquide, plus performant !
    Après le matériel, nous investissons de nouveau dans l’humain et embauchons une quatrième salariée en CDI à temps partiel. Elle s'occupe surtout du lavage, du tri, du conditionnement et de la mise en frigo. Mais en même temps, nous devons déplorer le départ de notre salarié embauché en 1993.
    Gros souci fin décembre : après Lothar qui balaye le nord de la France le 26, c’est au tour de Martin de s’acharner sur le Sud les 27 et 28. Deux tempêtes d’une ampleur inédite, qui sont de véritables cyclones. Plus de 200 kilomètres par heure à la pointe de Grave, dans le Nord-Médoc ! Les salariés étant en congé, nous commençons le remontage des petits tunnels avec l'aide des voisins.
    Heureusement qu’ils sont peu nombreux à être en place à cette saison ! Il nous faut tronçonner les arbres de la haie, rafistoler les toitures... Mauvais réveillon en perspective.
Heureusement, l’année 2000 s’avère moins marquante pour l’Earl Biocousinat. Même pas le fameux« bug » ! 
    À Bordeaux, le marché bio de Saint-Pierre déménage pour s'installer provisoirement sur le quai Louis-XVIII. Et nous quittons avec peine la petite place attachante et chargée d’innombrables souvenirs. Mais Bordeaux est en plein chantier de tramway et le quartier Saint-Pierre devient inaccessible.

    2001 : il faut encore investir, encore dans les tracteurs ! Mais comme on ne veut pas de jaloux, cette fois on va acheter américain : un 65 chevaux New Holland « juste pour moi », sans cabine mais avec arceau de sécurité, haut sur pattes et équipé de pneus étroits.                 L’objectif est de profiter d’une visibilité optimale, et de la possibilité de passer dans les cultures où la végétation est très développée – qu’il s’agisse de traiter, d’effectuer un dernier binage ou de dérouler le chariot du canon de l'enrouleur (la culture a besoin d'eau à ce stade).     Avec le recul, je peux vous dire qu’il a été mon tracteur préféré !
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? »     C'est de Lamartine, mais mon tracteur bleu – qui en l'occurrence était animé - méritait bien cet illustre poète.
    Et j'ai remercié longtemps le commercial de cette maison qui a su me trouver, en Italie, le modèle que je voulais...
    Mais un autre 65 chevaux s’avère déjà nécessaire : nous voulons améliorer le confort de celles et ceux qui empruntent les chemins cabossés pour aller récolter les légumes... et aussi leur épargner, les matins d'hiver, la corvée du « start pilote » nécessaire au démarrage du David Brown. Ce tracteur avait été acheté par le père de Bernadette en 1968 quand même
autant dire que ce n'est pas du luxe d’en changer !
(cf. annexe 5 : document Cabso de 1994)
    De plus, je souhaite respecter la parité dans les critères « ergonomiques » de l'entreprise : gérants et salariés logés à la même enseigne !
En mai, nous recevons les élèves ingénieurs de l’Enita de Bordeaux, pour une visite de la ferme.
    J’accepterai par la suite certains de ces élèves en stage, tout en étant conscient, néanmoins, que la diversité des cultures sur notre exploitation ne permet pas - ou mal – d’approfondir des itinéraires technico-économiques à la hauteur de ce niveau d'études. Plus tard, à la demande de l'école, j’essaierai de récolter suffisamment de données sur la culture de la carotte pour permettre d'en analyser finement les résultats économiques. Avec l’aide d’une élève ingénieur, je réaliserai mon premier profil cultural : quelle surprise de constater l’incroyable quantité de galeries creusées par les vers de terre, dans lesquelles s’insèrent les radicelles des plantes qui vont chercher l’humidité jusqu’à un mètre de profondeur... Tous les moyens sont bons pour s’en sortir !
    Un seul souvenir en 2002, mais d'importance : l'embauche de Lévinia, notre fille aînée, en CDI à temps plein. Elle va se révéler la copie conforme de sa mère : rapidité, grande flexibilité, souci permanent du travail à assurer en priorité... en un mot, efficacité ! 
    En plus, elle a cette petite pointe d'humour, utile parfois pour détendre l'atmosphère. 
    Je ne dis pas ça parce que c'est ma fille, mais quand même, je suis fier d’elle.
    2003 est une année faste pour les embauches avec 3 contrats, tous en CDI dont 2 à temps plein. Mais jusqu’où s’arrêteront-ils...

    J’ai notamment besoin d'un tractoriste pour me remplacer quand je suis au marché, en livraison ou déplacement. La surface travaillée étant désormais de 7 hectares en légumes et de 6 hectares en céréales, nous ne pouvons plus nous permettre de manquer des binages, arrosages et désherbages thermiques certains jours de la semaine.
    L'achat d'un second enrouleur d'occasion complète nos besoins de couverture en arrosage des cultures légumières, et celui d'une bineuse de précision (d'occasion elle aussi) pour des planches de 4 rangs s’avère fort utile : fini les petites binettes entre les rangs étroits de carottes, betteraves, oignons, épinards, navets et même salades ! Le dos et les bras des salariés sont soulagés.
    Quelques légumes nouveaux sont introduits, comme les topinambours, le cresson ou les salsifis.
    Bernadette entreprend le semis de plusieurs variétés de salade, qu'elle ramasse en tout-venant ; les clients sont friands de la grande diversité proposée, qui de plus permet de réaliser des mescluns... presque du quatrième gamme !
    Cela va peut-être vous sembler inconcevable, mais en 2004, nous n’avons toujours pas d’ordinateur.
    Il faut bien avouer que les nouvelles technologies ne passionnent pas vraiment les gérants !     Pour autant, l'achat devient cette fois indispensable, pour remplacer le fax et surtout faciliter l'établissement des bulletins de salaire. Par la suite, il sera bien utile aussi pour établir nos mercuriales (8) et facturer aux nouveaux clients que seront les magasins. L’aide de ma seconde fille, Suzie, est précieuse pour me familiariser à ce nouvel outil.
    Technologie toujours, les revues agricoles spécialisées nous font découvrir des outils bien plus performants. Nous avons déjà pu constater l'amélioration qu'apporte l'animation d'un outil passif (la bineuse), c’est au tour désormais de la lame souleveuse vibrante, qui facilite encore plus le ramassage des légumes et l'arrachage des oseilles, liserons ou chardons, ces adventices « vivaces » qui nous causent le plus de soucis dans l'entretien des terres. Rien d'étonnant si les agriculteurs conventionnels ne veulent pas se séparer du glyphosate - malgré les autres problèmes qu’il pose par ailleurs!
    Encore un nouveau tracteur en cette année 2005 ! Nettement moins encombrant toutefois, ce qui nous permet de travailler dans les petits tunnels, et ainsi de mettre au placard le motoculteur bruyant, fatiguant et polluant.
    Entre les départs et arrivées, nous comptons maintenant 6 salariés en CDI, dont 3 à temps plein (soit un total de 180 heures par semaine), ainsi que 2 salariés en CDD à 30 heures par semaine.
    Le tout équivaut environ à 6 « UTH » (c’est-à-dire des « unités de travailleur humain » ou d’ « équivalents temps plein »). Et n’oublions pas bien sûr les 2 gérants, Bernadette et moi-même, également à temps plein, « très plein » même puisque nous oscillons entre 50 et 60 heures chacun par semaine. Occasionnellement, nous sommes épaulés par des stagiaires. Cela peut sembler paradoxal au premier abord, mais les résultats de l'entreprise ne sont pas trop impactés par cette importante masse salariale. 
(cf. annexe 7 : Sud-Ouest du 24 mai 2005 avec la présence de ma fille Lévinia)
    Parallèlement, l'Earl prend en fermage 2,5 hectares qui touchent nos terres et notre borne d'irrigation.
    Si cette parcelle porte 10 ares de vigne bienvenus pour continuer la production de vin et de jus de raisin en « autoconsommation », les 2,4 hectares restants sont semés en luzerne, bien sûr !
    Durant l'année 2006 et celles qui suivent, nous recevons les responsables de la Chambre d'Agriculture,
    Philippe Bourdens, puis Philippe Mouquot, chargés du développement de l'agriculture biologique dans notre département. Ils organisent des visites de ferme auxquelles je m'associe avec beaucoup de plaisir (voir annexe 12)
    Voyant les plantations d'arbres fruitiers à coque se multiplier sur la commune, l'Earl décide en 2007 d'implanter une trentaine de noyers dans une parcelle difficile à travailler. 
    J’y vois déjà un possible petit supplément de retraite ! Mais je ne profiterai que 3 années seulement de récoltes saines, l'apparition ultérieure de la « mouche du brou de noix » entraînant des dégâts sur la quasi-totalité des fruits.
    Pour ce qui est de l'assolement sur les terres, il est le suivant : 8 hectares de légumes, 3,8 de maïs, 3,5 de blé ou pois fourrager, 0,5 de triticale, 0,2 de noyers et 0,1 de vigne. 
(8) Relevé des prix des marchandises proposés aux clients

    La présence de maïs et de blé dans la rotation contribue, semble-t-il, à entretenir la présence du taupin dans les terres, car un des  moyens de lutte contre ce parasite consiste à éviter la présence de déchets organiques non décomposés dans le sol.
    En septembre, les chambres d'agriculture organisent le premier salon « Tech et Bio » à Valence, chef-lieu de département où l'agriculture biologique est très implantée. Plutôt satisfaits que la chambre d'agriculture de la Gironde y participe, nous sommes une dizaine de collègues à faire le voyage. Bernadette et moi-même, encouragés par la bonne ambiance qui règne au sein de l'entreprise, pensons pouvoir intéresser les trois salariés les plus jeunes en leur proposant de rentrer dans le capital de la société, afin qu’à terme ils en deviennent les gérants. Nous essuyons malheureusement un « non » catégorique de leur part, l'un disant qu'il aimerait plutôt s'orienter vers l'arboriculture, l'autre qu'il n'a pas vocation à gérer une entreprise et la dernière, notre fille, qu’elle n'envisage pas en conséquence de se retrouver toute seule. Par la même occasion, nous apprenons avec beaucoup de peine qu’elle va
nous quitter pour un autre travail en ville. Bref, échec sur toute la ligne ! 
    Nous savions bien sûr qu'il ne serait sans doute pas facile de céder l'entreprise, et l'avenir allait nous le confirmer ; pourtant, nous pensions évidemment accompagner les repreneurs sur plusieurs années. Tant pis ! Mais c'est d'autant plus navrant que les résultats sont au beau fixe : le chiffre d'affaires atteint 256 000 euros, pour un bénéfice net de 32 500 euros. Nous essayons de chercher la cause de ces refus, et nous imaginons que la somme de travail que les gérants doivent assumer refroidit les ambitions de reprise. En effet, dans la production d'abord, le besoin de diversité fait que nous ne pouvons pas rationaliser le travail ; cette « dispersion » nous fait perdre des économies d'échelle, et la gestion du personnel demande d'être partout et de penser à tout. Quant à la vente sur les marchés, elle demande de la rigueur dans les    horaires et des qualités commerciales, tout en occasionnant de la fatigue dans le maniement des cageots de légumes. Aurait-il fallu réfléchir plus tôt à revoir le fonctionnement complet de l'entreprise ? Je ne le crois pas cependant. Mais ce refus a néanmoins précipité la décision de remettre en cause notre type de vente. Nous abandonnons en premier le marché de Pessac, car le salarié en ayant la charge concrétise son souhait de quitter l'entreprise pour travailler dans l'arboriculture, et aucun autre salarié ne désire le remplacer.
    Pour compenser le manque à gagner, je contacte les magasins Biocoop de la Cub et leur propose nos prix et légumes par une mercuriale hebdomadaire, avec livraison le mardi. 
Pour ce premier rendez-vous, je me fais accompagner d'Yvon Ducos, qui lui met en avant ses kiwis. Nous sommes très bien accueillis et la distribution commence en décembre.
    Malgré ces grands changements, les résultats économiques de 2008 ne sont pas décevants. Loin de là! La mise en culture étant faite (semis, plantation), nous profitons d'une grande diversité de légumes: 52 espèces, de plus sans compter que certains, comme la tomate, se déclinent en plusieurs variétés (cf. annexe 3). 
    Cette abondance de produits et leur mise en marché permettent à l'Earl de battre tous ses records économiques : le chiffre d'affaires grimpe à 280 000 euros, et les bénéfices nets à pas moins de 57 000 euros, grâce aux efforts des 5 salariés permanents, des 3 saisonniers et des nôtres, bien sûr ! Le départ de 2 salariés explique également le résultat exceptionnel de cette année « historique ».
    Bernadette part à la retraite en 2009. L'Earl se pose alors la question du devenir du marché de La Réole. L'activité « magasin » se révélant prometteuse, nous décidons de ne pas embaucher et d'arrêter ce marché. Dans le but de ne pas se disperser dans la diversification des cultures maraîchères pour fournir un seul marché, nous abandonnons également le marché de Bordeaux, que j'assumais jusqu’à présent. C'est le 26 mars à Bordeaux et le 28 mars 2009à La Réole que nous « fêtons » la fin de cette aventure commerciale, moment qui n’est pas sans nostalgie pour les vendeurs, certes, mais aussi pour les clients, qui sont invités à lever le verre et le boire.
    Lentement, nous reprenons la vente en gros auprès de la Cabso, mais la quasi-totalité de nos produits part à la vente aux magasins. Nous effectuons deux tournées par semaine, assurées le mardi par Yvon et le jeudi par moi-même. J'en profite pour faire une livraison de légumes à la personne du Lot-et-Garonne qui me remplace sur le marché bio de Bordeaux, installé quai des Chartrons depuis quelques années.

    J’apprécie cette nouvelle activité, presque une préretraite, même si les résultats économiques sont en baisse : 190 000 euros de chiffre d’affaires et 12 000 euros de bénéfice net. Le nombre de légumes produits chute à 30, mais la surface dans l'assolement reste identique (8 hectares).
    En février, la chambre d'agriculture de la Gironde m’invite à participer au stand qu'elle doit tenir au salon de l'agriculture de Paris. L'Earl est chargée de fournir les produits destinés à la réalisation d'une soupe de légumes ! (cf. annexe 9 : article de Sud-Ouest, du journal libournais « Le Résistant », et du journal réolais « Le Républicain »). 
    Une expérience intéressante, mais surtout, c'est le début d'une reconnaissance de l'agriculture biologique par les instances départementales.
    En 2010, je continue de recevoir des visites sur la ferme. Je ne les repousse pas, bien au contraire, et ce pour deux raisons : les groupements de consommateurs se multiplient et nous sommes ouverts aux débouchés locaux ; et surtout, pour me permettre de prendre ma retraite en 2013, nous recevons d'éventuels candidats à la reprise que nous envoient le Cnasea9 et le Civam bio 33 (cf. annexe 10 : document de présentation de l’entreprise diffusé par cet organisme). 
    Malheureusement, les personnes qui se présentent trouvent notre entreprise trop conséquente de par sa surface, le nombre d’outils et de salariés. Un jeune professeur d’agriculture, Ginès Maldonado, ne semble par contre pas impressionné. Il souhaite même l’intégrer rapidement ! Afin de ne rien précipiter, l’Earl consent à lui laisser 60 ares de terre maraîchère, déjà certifiée « AB » et irrigable à volonté. En tant que propriétaires, nous (Bernadette et moi-même), mettons cette parcelle à disposition de la Safer10, laquelle la loue à notre candidat. Durant ce temps de location, nous apprenons ainsi à nous connaître,
et surtout Ginès Maldonado peut apprécier la qualité du travail effectué dans l’entreprise.
    Personnellement, je suis sollicité pour m'associer au jury des écoles d'agriculture locales, sachant que de nombreux jeunes veulent s'orienter versl'agriculture biologique, et particulièrement en maraîchage.
    Je prends conscience que beaucoup ne mesurent pas toujours les difficultés d'installation et la charge le travail que représente l'entretien des cultures en agriculture biologique. J'insiste aussi auprès d’eux sur la nécessité qu’ils prévoient avant tout la disponibilité en eau d'arrosage. (cf. annexe 11 : Sud-Ouest de juin 2009)

    Les choses se concrétisent en 2011 pour l’Earl : Ginès Maldonado rentre dans la société. 
Le 8 août, en rachetant les parts de nos enfants soit 12 % du capital réévalué, il devient cogérant. Fin 2012, il devient l’associé majoritaire et prend la direction de l’entreprise. 
J’arrête dès lors mon activité professionnelle le 31 décembre. (cf. annexe 7 : article de Sud-Ouest du 18 avril 2012)
    Malgré tous les écueils, nous gardons un excellent souvenir de notre expérience dans l’agriculture biologique. Tout en maintenant une petite activité maraîchère de retraités, nous pouvons affirmer que c’est un beau métier de cultiver l’environnement pour nourrir ceux qui y vivent !

(9) Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles.
(10) Société d'aménagement foncier et d’établissement rural, société anonyme ayant pour mission d’assurer la transparence du marché foncier rural.



HISTORIQUE NATIONAL ET REGIONAL

Historique national
Afin de relater l'histoire de l'agriculture biologique en France, quatre grandes périodes peuvent être mises en avant :
Avant 1968 : les prêcheurs dans le désert
Un certain Raoul Lemaire, agronome généticien, prend son bâton de pèlerin pour « convertir » des agriculteurs à sa méthode d'agriculture. Il préconise, entre autres, le non-retournement du sol, l'emploi de l’algue lithothamne (Phymatolithon calcareum), ainsi que le semis de son blé sélectionné pour lancer la fabrication de farine et sa transformation en « Pain Lemaire ».
Le courant médical « La Santé par le terrain » appuie rapidement ce type d'agriculture par la diffusion de brochures sur les médecines douces. Déjà, certains agriculteurs commencent à remettre en cause l'emploi - de plus en plus important - de produits chimiques.
Cette période permet à la France d'être pionnière dans ce nouveau système de culture qu'est
l'agriculture biologique.
La décennie 1970 : l'émergence des idées écologistes et le refus de l'intégration
La candidature de René Dumont aux élections présidentielles de 1974, la première sous l’étiquette écologiste, fait suite au choc pétrolier de 1973. De plus en plus de communautés contestataires se créent ; elles s’installent souvent dans des zones agricoles à préserver.
Fondée en 1964, l'association Nature et Progrès élabore son propre cahier des charges en 1972 ; il se veut être l'alternative à la méthode Lemaire – Boucher, jugée trop commerciale aux yeux de nombreux producteurs qui découvrent ainsi la possibilité de cultiver selon les principes de l'agriculture biologique, sans être intégrés en amont.
Si les intrants d'« amont » sont trouvés par l'importation de phosphates naturels, de guano, etc., il reste à résoudre l'appui technique et commercial (« aval »). Les Gab (groupements d'agriculteurs biologistes) régionaux se développent et rassemblent toutes les familles d'agriculteurs biologiques.
Ils assurent un appui technique, juridique, syndical et commercial.
La décennie 1980 : la reconnaissance officielle de l'agriculture biologique
En 1980 puis en 1981, la loi définit le terme « agriculture biologique », ce qui permet d’aboutir à la création d'un cahier des charges national et fédérateur. Tout acteur faisant référence à l’agriculture biologique doit désormais être contrôlé par des organismes certificateurs ; les agriculteurs reçoivent une aide financière pour ce contrôle.
Le ministère de l'agriculture encourage l'organisation de la filière sans pour autant empêcher,
paradoxalement, la création de nombreux cahiers des charges et donc de « marques » et « mentions » (comme la marque Lemaire-Boucher ou la mention Nature et Progrès), par lesquelles certains agriculteurs cherchent à se distinguer. C'est la période du « Plus bio que moi tu meurs ! » Si le label « AB » est créé en 1985, on peut compter jusqu'à 10 labels différents en 1989 (cf. annexe 1).
Depuis la décennie 1990 : l'essor commercial et international
Devant l'embellie de la demande en produits bio, l'Europe s'organise. Certains pays comme la France octroient une aide à la conversion des terres. En 1992, la création d'un cahier des charges européen a pour ambition de fédérer toute la bio européenne. Les critères du label « AB » s’aligneront dessus en 2009. De nombreux organismes de transformation et de distribution de produits bio se développent.
Face à la pénurie, ils recourent à l’importation en provenance d’Europe... mais pas seulement!
C'est en même temps le déclin du syndicalisme, au profit de formules plus commerciales comme les OP (organisations de producteurs). Conséquence directe de plusieurs scandales sanitaires (« maladie de la vache folle » notamment), les consommateurs deviennent une force de pression incontournable.
Le vingt-et-unième siècle sera celui qui devra confirmer le succès de cette « entreprise » et réconcilier l'écologie et l'économie, termes trop souvent opposés...

Historique en région Aquitaine

Avant 1968
L'agriculture biologique fait son apparition en Aquitaine, très majoritairement influencée par Raoul Lemaire. Néanmoins, certains producteurs commencent à douter de sa méthode, particulièrement ceux qui emploient de l’algue lithothamne en terre alcaline. En effet, pourquoi rajouter du calcaire sur des terres qui en sont pourvues? D'autres, situés dans un environnement favorable, en sont au contraire très satisfaits !

La décennie 1970
Elle coïncide avec l'arrivée d’une génération de nouveaux agriculteurs très motivés par l'écologie. De plus en plus d’agriculteurs remettent en cause la méthode « Lemaire-Boucher », voire l'abandonnent pour se regrouper et créer un réseau d'entraide très diversifié :
- visites entre producteurs pour comparer les techniques de production, et création du GVA
(groupement de vulgarisation agricole ) bio sous l’impulsion de Georges Boulin;
- achats groupés de phosphates naturels de Tunisie, de soies de porc, de poudre de roche, de guano qui apportent les éléments minéraux et organiques indispensables à la croissance des plantes : azote, phosphore, potasse;
- organisation pour la vente : sous l'impulsion de Paul Bouron, Pierre Barron et Gilbert Pozzer, la recherche de meunier et de boulanger aboutit à la fabrication d'un pain. Marcel et Josée Verbruggen s’occupent de trouver des distributeurs et transformateurs pour les légumes. Dès 1972, ces initiatives de rapprochement conduisent à la création du Gabso (groupement des agriculteurs biologistes du Sud-Ouest). Le Gabso attire de nombreux producteurs du Gers, de Gironde, de Dordogne et du Lot-et-Garonne. Toutes les méthodes d’agriculture biologique sont autorisées, et le type de commercialisation séduit les plus avant-gardistes. Néanmoins, le besoin d'aide technique et de contrôle se fait peu à peu sentir et le Gabso évolue vers une structure syndicale, sans pour autant abandonner l'aile commerciale. En 1978, le regroupement au niveau national de tous les Gab de France se concrétise par la création de la Fnab (Fédération nationale de l'agriculture biologique), qui dès lors devient l'interlocuteur privilégié du ministère de l'agriculture.

La décennie 1980
Le Gabso embauche Hervé Delmas, ingénieur conseiller ACAB (association des conseillers en agriculture biologique) pour assurer l'aide technique aux producteurs, ainsi que le contrôle de ses adhérents. La qualité des produits du Gabso peut ainsi être vérifiée et promue ! Pour financer ce service, un pourcentage sur le chiffre d’affaires des adhérents est retenu. Devançant la critique d'un autocontrôle, la Fnab préconise la création des Comac (commission mixte d'agrément et de contrôle), qui étudient le dossier de chaque producteur en présence de consommateurs. C'est le début de la quête de transparence pour garantir la qualité bio.
Sans interdire la multiplicité des marques bio, qui disposent chacune de leur propre cahier des charges (cf. annexe 1 : document Nature et Progrès : les onze cahiers des charges homologués), le ministère de l'agriculture envisage un contrôle indépendant et obligatoire pour tous les producteurs, quelle que soit la marque choisie. Les agriculteurs du Gabso sont ainsi nombreux à garantir leurs produits sous la marque Biofranc, proposée par la Fnab.
Peu à peu, des structures commerciales privées et coopératives remplacent l'entraide qui avait prévalu jusqu'alors entre producteurs du Gabso. On peut citer les sociétés Arcada et Viver (cette dernière fondée par Marcel et Josée Verbruggen), ainsi que la coopérative Cabso (avec un « C ») créée par les producteurs du Gabso.
Enfin, pour faire face à un besoin de plus en plus criant d'aide technique, apparaissent les Civam (Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) bio 33 et 47, qui assurent le développement et la vulgarisation de l'agriculture biologique dans les départements.

Depuis la décennie 1990
La réglementation de l'agriculture biologique par le ministère de l'agriculture réduit l'importance des marques au profit du logo AB, certifié par des organismes indépendants comme Ecocert ou Qualité France.
Le Gabso maintient son activité syndicale grâce à la volonté de quelques adhérents, mais il perd la motivation et donc l'engagement de la base. Le groupement reste néanmoins indispensable pour continuer à représenter la profession à Paris et au sein de nouvelles structures nationales, comme la Cnab (Commission nationale de l’agriculture biologique) et la Commission nationale des labels et des certifications des produits alimentaires. En effet, l'élaboration du cahier des charges de l'agriculture biologique aux niveaux national et européen relève d’un travail de longue haleine, qui nécessite la présence des premiers intéressés : les producteurs.
Inévitable corollaire de l'essor commercial de la bio, s’ensuit l'essor du faux bio... logique ! Le Gabso, grâce à la reconnaissance officielle de l'agriculture biologique, se porte partie civile et gagne plusieurs procès contre des fraudeurs.
Les organismes commerciaux se développent : la société Arcada augmente ses ventes en grandes et moyennes surfaces (« GMS » pour les initiés), ainsi que ses exportations (notamment vers l’Allemagne). Manquant de certains produits, elle en importe de pays comme l’Espagne et opte pour la commercialisation de fruits en bio « partielle ». Le terme peut étonner, mais il fait allusion à des agricultures en phase de transition vers la bio, du type Anog, Covapi (Comité de valorisation pour la production fruitière intégrée) ou encore Orgafruit. La Cabso, quant à elle, garde la rigueur du « cent pour cent bio » afin d'éviter l'amalgame avec la marque « Zéro résidu » (de pesticides), et s'oriente de plus en plus vers la distribution dans le réseau Biocoop, créé en 1986.
Malgré le développement du logo AB, certains producteurs maintiennent leur adhésion à une marque réputée pour être plus restrictive dans l'application du cahier des charges national. On peut citer Nature et Progrès, Demeter (agriculture biodynamique) et « Produits fermiers bio du Sud-Ouest ».
Très localement, à Barie notre village girondin, peu de conversions à l'agriculture biologique ont été observées, si ce n'est un producteur de kiwis : Yvon Ducos et votre serviteur, qui pratiquera une conversion des terres, étant déjà lui même « converti » lors de son installation.

LES DIFFERENTS TYPES DE VENTE

Nous avons déjà cité les débouchés de nos produits. Pour compléter, voici quelques avis personnels sur chacun d’eux.
Vente directe au consommateur
Sur la ferme
Nous n’avons jamais privilégié ce type de vente, car nous craignions d’être dérangés constamment. Depuis peu et après réflexion, nous le pensons possible et même souhaitable à condition d’être organisé, c’est-à-dire avec des horaires stricts et sous forme de paniers (pas de vente au détail). C’est même le moyen à privilégier pour les clients locaux (du village par exemple).
La vente aux Amap (11) locales (sous forme de paniers)
Nous avons démarré ce type de vente en fin d’activité, et avons pu apprécier cette démarche tout à la fois « militante » et conviviale. Néanmoins, j’insiste sur la proximité de ces Amap, sinon les frais et le temps de transport obèrent la rentabilité économique et écologique de ce débouché.
La vente au détail sur les marchés
C’est ce débouché que nous avons adopté dès le début de notre installation et que nous avons gardé jusqu’en 2009.
Il offre de nombreux atouts pour le consommateur : fraîcheur des produits et leur suivi ; présence du producteur (ou du salarié) qui permet de répondre à de nombreuses questions des clients, relatives par exemple aux recettes culinaires, à la durée de l’offre de tel ou tel légume et au prochain arrivage d’un autre, à la raison de la présence de quelques défauts sur les produits, etc. De plus, le producteur peut faire bénéficier de remises importantes quand la nature est généreuse, sur des prix « conserves, confitures », et même sur des légumes de seconde catégorie (trop gros, trop petits...). Enfin, le marché est un lieu de rencontre au cœur de la cité, qui continue à être plébiscité et donc entretenu par les municipalités. Malgré tout, il présente quelques inconvénients pour les clients : les places de parking sont souvent insuffisantes, la météo peut être capricieuse, et surtout il est difficile de combler tous
leurs besoins de consommateurs.
Pour le producteur, il permet de réduire les frais de conditionnement et d’emballage, et offre une rentrée d’argent « frais ». C’est aussi très satisfaisant de connaître sa clientèle, de tout faire pour la fidéliser. En général, on est récompensé ! Mais il ne faut pas nier tous les problèmes causés par ce type de vente. Il demande de lourds investissements, en fourgon, en parasols ou en remorque étalage, en balance électronique. Il implique la nécessité de cultiver une large gamme de légumes, ce qui rend, souvent, peu rationnelle l’organisation du travail de production (les fameuses « économies d’échelle»). La recette du marché est très variable suivant la météo, et la gestion des invendus donne un surcroît de travail au retour à la ferme. Enfin, la présence importante d’espèces (sonnantes et trébuchantes) dans la recette des ventes demande de la rigueur et de l’ordre. Elle peut même créer des convoitises...
Vente en demi-gros, au magasin
Pour satisfaire le gérant d’un magasin, il faut considérer cette vente comme une vente au détail mais « en quantité » ! Je veux surtout parler de la régularité et du suivi des produits. Il n’est pas question de proposer de la marchandise aux magasins seulement en situation de surproduction ! Nous avons apprécié ce type de vente, particulièrement avec le réseau Biocoop où régnait l’esprit coopératif. Les prix restent intéressants, même si les frais d’emballage sont inévitables.

(11) Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, partenariat de proximité entre un groupe de consommateurs et une exploitation locale (ferme en général), débouchant sur un partage régulier de la récolte des produits de la ferme. Il s’agit d’un contrat solidaire, basé sur un engagement financier des consommateurs, qui paient à l’avance la totalité de leur
consommation sur une période défini

Vente en gros
C’est une vente que nous n’avons jamais complètement abandonnée, malgré la priorité donnée à nos marchés. Bernadette était très attirée par la diversité et avait le génie pour l’assumer pleinement ; j’en reconnaissais la nécessité écologique et commerciale. Mais la production de gros était plus facile à gérer : j’avais ainsi l’impression de mieux maîtriser les coûts de production et la qualité des produits obtenus. L’asperge fut le produit phare de ce type de vente, puis la carotte, le poireau, le navet, l’épinard, le fenouil, le panais, le radis noir, le topinambour et bien sûr, la betterave rouge. Cette dernière était en effet une production particulièrement adaptée à notre sol, ainsi qu’aux outils présents sur la ferme et à la Cuma locale de Barie.
Cette vente nécessite une présentation irréprochable, donc de la rigueur dans le tri, le calibre,
l’emballage. De plus, la planification est devenue indispensable, car là non plus, il n’est pas question de proposer des produits en surproduction. Nous avions deux débouchés principaux : tout d’abord la plateforme des Biocoop du Sud-Ouest, située à Port-Sainte-Marie (Lot-et-Garonne) et dont l’histoire est très liée avec le Gabso du départ. C’était très pratique pour nous, car les camions venaient chercher les palettes à la ferme. Ultérieurement, la Sica12 bio Pays landais, implantée à Saint-Geours-de-Maremne (Landes). Nous portions nos légumes à Marmande pour qu’ils leur soient ensuite acheminés par transporteur. Enfin, quelques années avant la fin de notre activité, la Gironde s’est dotée d’un organisme coopératif d’achat en gros de produits biologiques, situé au marché d’intérêt national (Min) de Bordeaux-Brienne : Loc Hall Bio.

(12) Société d'intérêt collectif agricole, coopérative visant à protéger prioritairement les intérêts des agriculteurs.

TECHNIQUES UTILISEES SUR LA FERME

J’évoque ces techniques (connues ou non) dans le contexte pédoclimatique de la vallée de la Garonne.
Les semis 
En annexe 3, j’ai cité les légumes que nous cultivions avec le mode de semis, la saison de plantation et de récolte. Tous les livres de maraîchage précisent ces données et je ne suis donc pas rentré dans les détails. Ce tableau permet de constater :
- la prédominance des légumes de plein champ ;
- que nous faisions la totalité de nos plants sans être très équipés, maisle soin qu’apportaient Bernadette et les salariés à ce travail permettait d’être autonome dans la fourniture programmée des plants ;
- la diversité de nos productions légumières avec plus de 50 légumes, dont les semis et plantations étaient échelonnés afin d’obtenir une continuité et une qualité optimales dans les récoltes ;
- la diversité dans les espèces, certes, mais aussi dans les variétés. L’exemple type en est la tomate.
Pour le plaisir, je vous détaille toutes les variétés semées, plantées et récoltées : potiron écarlate, rose de Berne, ananas, noire de Crimée, poivron jaune, andine cornue, russe, cœur de bœuf et chair de bœuf, délice du jardinier, brandywine jaune, rose et rouge, banana, evergreen et green zebra. Rien que leurs noms font envie !
- la présence des herbes aromatiques (Bernadette ne serait pas contente si je les oubliais), que je détaille également : le persil bien sûr, la sarriette pour les petits pois, l’aneth, l’origan, le basilic, la sauge, le thym, la ciboulette, l’estragon, le cerfeuil, l’oseille, les menthes, le cresson alénois. Parmi toutes ces plantes que nous cultivions, je ne dois pas oublier la coriandre, seul produit de la ferme que je n’aime pas.
Je ne saurais trop insister sur le fractionnement des semis. Que ce soit pour n’importe quel type de vente, les semis différés permettent de récolter un légume à son stade de développement optimal : il sera d’autant plus beau et tendre. De la même façon que l’on n’imagine pas faire un seul semis annuel de petit radis (qui finirait par être immangeable !), on appliquera cette méthode à la quasi-totalité des légumes. Ce principe est valable principalement pour les semis de printemps, d’été et à la rigueur d’automne ; il est inutile en plein hiver, où la croissance est ralentie. Je pense donc particulièrement aux betteraves, carottes (tous les 15 jours du 15 mai au 31 juillet), courgettes, épinards (tous les 15 jours de fin août au 15 octobre), haricots, navets (il est particulièrement important pour éviter
d’avoir un produit dur et amer, impossible à faire avaler à un enfant !), radis roses (mais aussi noirs, lesquels semés tôt et récoltés tard sont beaucoup trop piquants), au fenouil et au panais, ainsi qu’à la mâche.
Je ne reviendrai pas sur la technique des faux semis, qui est très connue. Néanmoins, je n’hésitais pas à bien tasser la terre et à arroser pour permettre la germination des graines d’adventices. Surtout, il ne faut pas retravailler la terre sur plus de 7 à 8 centimètres pour refaire le lit de semences, sinon tout le bénéfice de la technique est perdu ! Pour les semis de plantes à germination lente (carottes, mâche, panais par exemple), le brûlage thermique de prélevée doit être envisagé afin d’améliorer encore la propreté de la terre à la levée des plantules. Quand c’est réussi, quelle joie de se baisser et de distinguer la ligne de carottes ! Par contre, quand les « mauvaises herbes » (si je puis me permettre) passent au-dessus des carottes, il vaut mieux, le plus souvent, refaire le semis...

Quant au semis en lui-même, j’ai beaucoup apprécié la logique du semoir Nibex qui sème et aussitôt tasse la ligne de semis avant de la recouvrir. Cette technique est d’autant plus valable que les semences sont petites : les racines naissantes doivent trouver aussitôt de la terre et non de l’air ! À noter que la levée de la mâche peut être améliorée par la pose d’un voile qui permet de garder l’humidité du lit de semences.
Pour éviter ou diminuer la fonte des semis, il est impératif d’arroser le matin, jamais le soir quand la terre est bouillante; ce serait créer un bouillon de culture propice au développement du champignon.

Le désherbage
Par ordre croissant de nuisance due à la difficulté d’entretenir les cultures, voici les adventices à détruire, sinon à maintenir dans une densité « tolérable » : les dicotylédones annuelles sont les moins gênantes, car assez faciles à détruire au moment de la germination. Je ferai personnellement exception avec le datura officinal (Datura stramonium), qui est une plante épaisse qui se réenracine vite après hersage, d’autant plus dans les terres sableuses. Les monocotylédones annuelles, comme la folle avoine, sont difficiles à détruire, car le sommet apical reste à la base de la plante et s’avère donc difficile à gêner et brûler. Quant aux monocotylédones vivaces, qui sont la grande majorité, autant dire qu’il est quasiment impossible de s’en débarrasser sans un travail du sol sous les pleines chaleurs d’été ! Je pense au sorgho d’Alep, à l’avoine en chapelet, au chiendent, etc. Mais les dicotylédones
vivaces sont tout aussi redoutables : le liseron s’extirpe difficilement sans que l’on multiplie au
passage ses rhizomes très fragiles ; on croit faire du bon travail, mais c’est peine perdue ! En
comparaison, je n’ai pas eu de difficultés à me débarrasser du chiendent, alors que le liseron aura toujours eu raison de nos techniques culturales. Il faut citer aussi, bien sûr, le chardon dont les rhizomes sont très profonds et quasiment impossibles à extirper. Enfin (façon de parler, car la liste serait trop longue...), j’ai souvenir des heures passées à soulever et arracher les oseilles, puis à les déposer dans la haie - seul endroit où je ne les voyais plus. Mais cette plante a une capacité de reprise à toute épreuve : une racine posée sur un mur exposé plein sud peut endurer le martyre pendant un jour puis, remise en terre, s’épanouir à nouveau alors que le liseron, lui, se dessèche sous la chaleur ; par contre, il est plus difficile à extirper en totalité. Si une luzerne ou une prairie temporaire de trois ans, bien entretenues, peuvent arriver à détruire un grand nombre de vivaces, ce ne sera pas le cas des
oseilles, qui elles ne seront jamais étouffées.
Le désherbage du maïs a toujours été un « challenge » vis-à-vis de mes collègues, gros maïsiculteurs.
Je ne voulais pas seulement prouver la faisabilité et la rentabilité du maraîchage bio, mais aussi pouvoir produire des céréales dans le même esprit. La fumure n’est pas un souci, malgré sans doute une carence en acide phosphorique en début de végétation ; par contre, le désherbage demeure le gros problème... Je ne reviendrai pas sur les vivaces qu’il est impossible de détruire quand la culture est implantée. Les dicotylédones (amarantes, chénopodes...) germent à peu près en même temps que le maïs ; le faux semis n’est guère efficace, et il vaut mieux envisager un ou plusieurs passages d’écrouteuse sur la culture implantée. Le maïs résiste bien au passage répété de cet outil, à condition de ne pas le semer superficiellement et de surveiller la profondeur de l’outil pour ne pas trop déraciner de pieds. Puis un passage de la bineuse équipée de buttoirs terminait le chantier. J’ai longtemps pu résoudre le désherbage du maïs par cette technique, jusqu’à l’apparition sournoise du datura qui s’est
avéré résistant. Le jour où l’entrepreneur du corn picker15 est venu m’annoncer que si je ne résolvais pas la destruction de cette plante, il ne reviendrait pas l’année prochaine pour ramasser mon maïs, mon ego a été atteint... Il fallait que je profite de l’aptitude de cette monocotylédone qu’est le maïs à croître facilement, même à profondeur importante. L’idée m’est alors venue de chausser légèrement le maïs 5 à 6 jours après l’avoir semé, lorsque celui-ci montrait sa pointe hors du sol. J’utilisai pour ça ma bineuse équipée de légers buttoirs. Ainsi je couvrais le maïs certes, mais aussi toutes les plantules des herbes concurrentes (dicotylédones surtout). J’eus la bonne surprise de voir le maïs pointer à nouveau un jour plus tard, débarrassé de la presque totalité des mauvaises herbes. Je crois n’avoir jamais convaincu quiconque de l’efficacité de cette astuce... mis à part les salariés, bien
contents de ne pas avoir à passer dans les rangs de maïs pour couper les daturas sous la chaleur de juillet !
À noter que cette technique pouvait être adaptée à certaines cultures maraîchères, comme le haricot.
Pourquoi pas aussi à une grande culture comme le soja ?
Ceci dit, je dois insister sur la chance que nous avons de connaître des prévisions météo à plus de 5 jours, car sans période de beau temps toutes les techniques de désherbage mécanique sont inefficaces ou gravement affectées ! Ceci me ramène aux prévisions à 3 jours (prévisions dites« foin ») que j’étais fier d’annoncer aux agriculteurs auvergnats sur le répondeur téléphonique de l’association climatologique. C’était en 1971. Nostalgie, nostalgie...

(15) Machine agricole destinée à ramasser le maïs en épis, inventée par les Américains à la fin du XIXe siècle.

Je dois reconnaître enfin que mon désir de prouver la faisabilité de l'agriculture biologique, en
cultivant des céréales, n'était pas le meilleur moyen de rendre encore plus performants les résultats économiques de la ferme. Heureusement que leur prix de vente élevé permettait ce challenge !
Autre piste: la présence d’éleveurs locaux ou d’une usine de déshydratation aurait sans doute permis d’allonger la rotation avec de la luzerne, excellent nettoyeur et fournisseur d’azote... et de bon nombre d’autres éléments que cette plante à enracinement profond pouvait remonter dans la partie supérieure arable.
Un petit mot sur la technique du paillage, très utilisée en agriculture : Nous avons vite abandonné la paille car les rongeurs y trouvaient le gîte et couvert; et nous avons opté pour une utilisation modérée du plastique. Cette technique était utilisée surtout dans les tunnels avec arrosage au goutte-à-goutte (notamment pour les légumes dits « ratatouille »), et aussi pour accélérer la précocité des légumes de printemps. Le paillage papier puis les films biodégradables nous ont incités à couvrir les courges et potirons.
La lutte contre les ennemis des cultures
Je ne vais pas citer les produits autorisés, car je ne les connais pas tous ! Nos soucis sont les mêmes que ceux rencontrés par les collègues en conventionnel. En effet, nous voyons apparaître de nouvelles maladies ou ravageurs sur les cultures, qui nécessitent dès lors plus d’interventions. Par exemple, l’asperge n’a pas eu le moindre besoin de traitement pendant des années, puis le champignon Stemphylium est apparu, desséchant prématurément la végétation. Autre exemple déjà évoqué, la mouche du brou sur les noix. On pourrait en citer beaucoup d’autres qui nécessitent plusieurs interventions avec des produits homologués, certes, mais de plus en plus difficiles à appliquer avec un pulvérisateur ordinaire. Il faut savoir aussi que la roténone était autorisée jusqu’en 2009 : bien que naturel, cet insecticide n'était pas du tout sélectif et les insectes auxiliaires étaient détruits. Petit à petit, nous avons limité son emploi pour détruire les pucerons, faute de trouver un autre moyen efficace.
De plus, le produit prenait à la gorge lors des traitements... car évidemment, il était inimaginable qu'un agriculteur bio porte un masque, nous aurions été discrédités !
Si nous étions plutôt réticents à utiliser des plastiques, nous avons été contraints de dérouler des kilomètres de voiles tissés anti-insectes, qui n’étaient pas issus de matières naturelles. Mais avec cette technique, nous avons résolu la quasi-totalité des attaques d’insectes volants (surtout les mouches de la carotte et du navet, les altises sur de nombreux légumes, etc.). Néanmoins, j’en prenais grand soin afin de conserver ces voiles plusieurs années, densifiant par exemple la pose de sacs de terre pour les plaquer au sol et éviter ainsi leur envol et leur déchirure. De plus, Guy et Francis, des collègues de la Cuma, avaient fabriqué une enrouleuse pour les plastiques que j’utilisais pour mes voiles, ce qui permettait de les ramasser rapidement, dès que le danger d’attaque de parasites était moindre (nous
recevions pour cela un avertissement de la protection des végétaux, émanation de la direction
régionale de l’agriculture et de la forêt), puis de les stocker à l’abri.


QUE PENSER DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE ?

A la lecture de cette aventure, il semblerait que je n’ai pas assez insisté sur les difficultés que nous avons pu rencontrer.
D’un tempérament à préférer « faire envie que pitié », j’ai inconsciemment balayé tous les moments de questionnement, de découragement et de « conflits » qui dominaient lors de certaines périodes critiques.
De plus, le choix des chiffres prouvant la réussite commerciale et comptable amplifie encore
l’impression que ce fut facile!
Cette remarque pour dire que nous avons bénéficié d’atouts exceptionnels: terre riche et facile à travailler, environnement socio-économique (Cuma, Gabso, Cabso, proximité de Bordeaux) et soutien familial.
Ce cadre favorable ne sera sans doute pas celui que trouveront toutes les personnes qui se lancent dans cette aventure aujourd’hui.
Néanmoins, l’engouement actuel pour l’agriculture biologique (aidé en cela par des medias, à mon avis, trop idylliques sur la question) vient du constat que celle-ci a fait ses preuves au niveau technique, économique et commercial.
En effet, si je devais conclure sur la capacité de l’agriculture biologique à résoudre les problèmes de production, je ne serais pas négatif, à condition que ses acteurs apportent tous les soins nécessaires sans attendre : l’agriculture biologique nécessite en effet de l’anticipation et de la réactivité, en raison notamment de la faible efficacité de certains produits ou techniques. Le point noir de cette agriculture respectueuse de l’environnement est qu’elle nécessite plus de consommation de carburant: les passages indispensables pour désherber et traiter sont plus nombreux.
Sur le plan économique et commercial, il ne faut pas occulter le fait que les produits issus de
l’agriculture biologique reviendront toujours plus chers que les autres, et que les prix de vente seront donc toujours plus élevés, même si la généralisation de cette pratique constituerait un levier important de diminution de ces prix.
Dans tous les cas, le respect de l’environnement impliquera, pour toutes les techniques de production de biens, des coûts plus élevés avec la même conséquence sur les prix. Il en sera, à mon avis, de même pour tous les produits de consommation ou autres, dès lors qu’ils ne proviendront plus de pays étrangers à faible coût de production (et où le respect de l’environnement n’est pas la priorité). C’est pourquoi il faut se préparer à supporter une augmentation du coût de la vie, et imaginer lacération de richesses sans forte croissance.
Les espoirs pourront venir d’innovations technologiques dans l’agriculture et l’industrie, mais
aussi d’une baisse progressive des « coûts cachés » dus à la pollution.
Ces propos peuvent paraître pessimistes, sauf s’ils sont compris par tous les habitants de cette belle planète qui nous fait vivre.


ANNEXES

Annexe 1 : document "Nature et Progrès" : les onze cahiers des charges homologués
Annexe 2 : la photo de cette bineuse équipée des brûleurs sur l’article du "Sud-Ouest" du 1er
décembre 1992
Annexe 3 : semis des légumes
Annexe 4 : article de "Sud-Ouest" du 26 avril 1984
Annexe 5 : journal "Sud-Ouest" de 1991, journal local du "Réolais " du 24 mai 1991 et photo sur le document "Cabso" de 1994
Annexe 6 : tampon de l’Earl Biocousinat
Annexe 7 : photos de tunnels 4,20 m sur articles "Sud-Ouest" du 24 mai 2005 avec la présence de ma fille Lévinia, et de 2012
Annexe 8 : lettre de remerciements de la direction départementale de l’agriculture et de la forêt
Annexe 9 : article du "Sud-Ouest", du journal libournais " Le Résistant ", et du journal réolais "Le Républicain"
Annexe 10 : document de présentation de l’entreprise diffusé par le "Civam bio 33"
Annexe 11 : "Sud-Ouest" de juin 2009
Annexe 12: Photos des visites des responsables de la Chambre d'Agriculture






Annexe 1 : document "Nature et Progrès" : les onze cahiers des charges homologués


Annexe 2 : la photo de cette bineuse équipée des brûleurs sur l’article du "Sud-Ouest" du 1er
décembre 1992





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