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Une parisienne à La ...Réole

Sommaire général

Sommaire Cahiers du Réolais

Une parisienne à La ...Réole !


        En cet été 2023, lors d’un "mercredi en musique" à La Réole, une rencontre inopinée avec M. Pourrat (que nous prononcions "Pourratt") fit remonter des souvenirs de mon enfance, lorsque nous venions, mes sœurs et moi, en vacances chez ma grand-mère et ma tante, à Pâques et aux vacances d’été qui se prolongeaient, à l’époque, jusqu’aux vendanges en octobre. 


     Souvenir du foulage aux pieds du raisin, effectué par Pierre (parent de JC Pourrat), "domestique",  terme désignant autrefois les ouvriers agricoles. Ce vin était (heureusement) pour sa propre consommation lors des repas qu’il prenait chez ma grand-mère ; au dîner, il faisait chabrot – curieuse coutume à mes yeux de petite fille de la ville. La seule phrase en patois que je connaisse encore est « Baïté o litt », qu’il nous criait quand il passait sous les fenêtres de nos chambres, le soir, en retournant à son logis.

   Après presque trois mois d’Entre-deux-Mers, je revenais chez mes parents "avé" un léger accent et des mots, tels que : la côte prononcée "cotte", les eh bé !, qué calou !, bouzic, (mémorables courses de vers de pommes) singalette, bourrier, clotte, pigne de pin, piple, panouille – transformée en poupée aux longs cheveux -, ou encore caleilh, gaspuraille (sans doute d’origine gavache), etc... dont il me fallait quelques secondes de réflexion pour traduire, devant l’air interrogatif de mes amies banlieusardes. 

   Il y avait encore les "saïe saïe saïe" de ma tante appelant ses moutons, qui les ramenaient aussitôt vers elle. 

   Monique, la fille des métayers m’apprit d’autres mots : esclop, lou capet, bouffiole, la clouque, œuf barloque, clapot, pégnon, mounac... et parlait de l’heure solaire. Je me souviens avoir gardé les vaches avec elle. Elle portait de petites boucles d’oreille dorées. C’était la mode d’alors à la campagne et ce, dès tout bébé. Cette coutume "barbare" à mes yeux, a fait que ma fille, de haute lutte à l’adolescence, eut enfin l’autorisation de se percer les oreilles.

  N’ayant pas de télévision, on nous permettait de suivre la "Piste aux étoiles" chez Monique, dont la maison était distante de plusieurs centaines de mètres. Le retour m’effrayait toujours, par ce ciel très sombre et ses milliers d’étoiles, que je ne percevais en ville. Par contre, j’étais fascinée par les vers luisants, le long du chemin.

  Mon premier été en Pologne fit renaître des images oubliées à la vue des coquelicots et des bleuets  sauvages fleurissant les près, ces derniers ayant depuis fort longtemps disparu de la campagne réolaise.


        Enfants, nous n’allions guère à La Réole, cependant je captais, dans les conversations des adultes, des noms restés gravés dans ma mémoire de commerçants, artisans ou amis réolais.

        M. POURRAT, plombier chez M. TEYNIÉ (chauffage, sanitaire, plomberie, électricité), rue Armand Caduc, qui m’évoqua ses nombreuses interventions, notamment lors de la transformation de la métairie, attenante à la demeure familiale, en maison de location.     Je me suis souvenue de son nom lorsqu’il se présenta, ce mercredi soir-là. Tous les deux, issus de vieilles familles réolaises ; on retrouve leurs noms dans l’Almanach Annuaire de La Réole de 1903.

  

        Le photographe ROBERT, rue Armand Caduc, avait tiré et collé sur un panneau de 80 x160 cm, une photo de peupliers - ceux plantés par mon aïeul le long du Pinpin, dont il avait rectifié le cours. La reproduction trône encore dans le vestibule ; le bel alignement de ces arbres n’existe plus, certains, depuis, victimes du vent ou de vieillesse. 

  Aux pieds de ces peupliers poussaient d’excellents champignons, révélés par Raymond, "domestique" landais - il avait un tel accent que je le comprenais difficilement -, champignons que nous dégustions avec plaisir jusqu’au jour où mon oncle eut une intoxication (je penche plutôt pour une indigestion). Point final définitif à la cueillette...


        Il y avait aussi M. PREIGNAC, pâtissier, rue Armand Caduc. Parfois le dimanche, nous était offerte sa "tarte", comme nous la nommions. Beaucoup plus tard seulement, je devais apprendre que ce gâteau s’appelait Frangipane. Elle reste ma "madeleine de Proust"

   Ma tante lui apportait régulièrement des œufs frais.

   J’aimais, un petit panier en vime au bras, les ramasser dans les pondoirs ; mais aussi dans la grange, lorsque soudain j’entendais le "cot cot cadett" - me semblait-il courroucé - d’une poule ayant dédaigné le poulailler ; je me transformais alors en Sherlock Holmes à la recherche du trésor caché.                                                                                                                                                                                

        Le boulanger DARBLADE, rue du Gal Leclerc, lors de sa virée dans la campagne, déposait notre pain à 300 mètres de la maison, dans une caisse en bois montée sur pilotis. À l’époque, on pouvait en toute confiance déposer la monnaie la veille et récupérer le pain le lendemain matin. J’aimai aller le chercher à bicyclette. Ma tante faisait avec son couteau une croix sur le pain de 2 kg avant de l’entamer. Souvenir de tartines grillées (grill en amiante!!, posé sur la cuisinière en fonte) ; je grignotais la croûte pour finir par la mie inhibée de beurre fondu : un délice !

   De même, le bidon de lait, déposé la veille au soir le long de la route au bout de notre allée, était ramassé aux aurores par la coopérative. Je me rappelle encore Pierre et Raymond, assis sur un petit tabouret trépied en bois, trayant les vaches. J’aimais l’odeur et le bruit du lait frais giclant contre la paroi du seau en ferraille. Le lait était ensuite filtré par une gaze posée sur le goulot du bidon.      

   Me revient à l’esprit le "baptême" d’un veau, derrière les coulandres de l’étable. Ma grand-mère nous avait déguisées, mes sœurs et moi, de vieux rideaux recyclés en merveilleux voiles de dentelle tombant jusqu’aux pieds. Quelle était la cérémonie imaginée par elle, je n’en ai plus aucun souvenir ! Ce qui importait, à nos yeux, était d’être costumées !  

                 

        Il y avait aussi l’épicerie JEANESSON qui se trouvait près du Turon, à côté de l’ancienne poste. Un incendie ne laissa qu’une carcasse de la façade de la maison - qui depuis a laissé place à une agence d’assurance.

   Sans doute, venait-on y acheter des oranges au moment des Rameaux, fruits rares sur les tables dans les années cinquante. Elles servaient de joints entre les deux bouts de tige de laurier qui allaient devenir des rameaux avec sa ribambelle de bonbons et noix recouvertes de papier Alu. Souvenir de cette cérémonie, sous un soleil radieux, où la foule était assemblée autour du bel escalier à double révolution du prieuré bénédictin, d’où le prêtre bénissait nos véritables petits sapins de Noël. 


        Le boucher MAIXANT, place Georges Chaigne, venait acheter de temps à autre des animaux à la propriété. Je n’ai oublié ni son visage rubicond, ni sa silhouette imposante, enveloppée d’un grand tablier blanc. Petite fille, il m’impressionnait. Son nom de famille apparaît aussi dans l’almanach de 1903.

                                                           


   Je n’ai aucun souvenir de l’anecdote suivante, où je devais avoir deux ans et demi : assistant à la sortie du troupeau de la bergerie, le bélier fonça soudain sur moi, me projetant en l’air. Le lendemain, il était parti pour la boucherie… Cette dernière, depuis, a été remplacée par une boulangerie.  

  Ma grand-mère allait aussi, parfois, chez MERLIN, autre boucher de La Réole, au 2 rue Armand Caduc.


        BUFFANDEAU, boucher-épicier, est un nom enfoui dans ma mémoire. D’abord boucher, il fut le premier à La Réole à adjoindre une épicerie dans son magasin, formant ainsi la première petite supérette – me précisa Suzy Labadens.

   Une anecdote était racontée dans notre famille : d’un régime de bananes, pendu à un crochet, tomba un jour un petit serpent ; l'épicier en fut terrorisé, car il resta introuvable. Cela se passait-il chez Buffandeau ? (épisode datant d’avant guerre). 

   La famille Buffandeau, en effet, était établie depuis fort longtemps, comme le montre cet extrait des Cahiers du Réolais (n° 81), évoquant les monnaies de nécessité :

   « Dès le début de la Première Guerre mondiale, le manque de petite monnaie se fit sentir et créa une gêne énorme pour le petit commerce. Le ministre des Finances autorisa les Chambres de Commerce à émettre des coupures au porteur au-dessous de cinq francs. Ainsi, à La Réole, des tickets-monnaies furent proposés par l'Union des Commerçants, le Casino Réolais, le café du centre (rue des Tilleuls) et la boucherie Buffandeau. Cela pris fin en 1926. »


        Le glacier apportait un gros pain de glace reposant sur son épaule couverte d’un sac de jute, servant à ensacher le blé du dépiquage. Notre fox, Tobby, aboyait de toute sa force quand il débarquait de sa voiture (verte - me précisa Alain Lamaison). Chez ma grand-mère n’existait pas encore de réfrigérateur, mais une glacière, petit meuble dont l’intérieur était recouvert de zinc, un récipient récupérant, au dessous, la glace fondue. 

   De même, pas de machine à laver. La lessive s’effectuait dans la basse-cour : une grande lessiveuse en zinc, posée sur un trépied, était chauffée au feu de bois. Ma tante manipulait de longues pinces en bois pour en extraire, tissés par nos ancêtres, les gros draps en chanvre. Ceux-ci comportaient une couture dans le sens de la longueur, en cas d’usure : après avoir coupé l’étoffe en deux, les bords externes se retrouvaient cousus au milieu. Je n’aimais pas ces vieux draps râpeux inconfortables.

                                            

        Tobby, nous prévenait aussi de l’arrivée à bicyclette du facteur. Il voulait toujours lui mordiller les chevilles ou mollets. Passant de maisons en maisons, il apportait sans doute leurs odeurs, ce qui l’excitait. (« Le facteur réolais se déplaça jusqu'en 1940 avec le cheval des postes, orné de grelots » se souvient ma tante).

   Ce chien, débarquant un jour chez nous et décidant de nous adopter, avait une curieuse habitude : il disparaissait le week-end !! L’explication fut donnée lorsqu’un jour, ma grand-mère vit son chien entrer chez l’antiquaire, qui s’exclama : « Alors, te voilà revenu à la maison !». Tobby avait deux maîtres ! Il resta avec nous.


        De la fabrique artisanale de M. BERGEGÈRE - dont se souvient ma sœur aînée -, sortaient des camions remplis de balais de sorgho. Maman raconte qu’une dame Bergegère avait des vues sur ma tante et elle, adolescentes, pour ses deux petits-fils !

  Vers 1960, dans la vallée de la Garonne, était encore cultivé le sorgho; cette culture permettait, autrefois, aux paysans de faire les balais le soir à la veillée, puis de les vendre sur les marchés. 


        Le nom du grainetier LARROZE, dont le magasin se trouvait sur les quais, évoque pour moi, une très grande pièce sombre avec un haut comptoir (je devais être toute jeune) où ma tante venait acheter des semis ou de l’engrais. Il semble que cette belle maison du XVIII° siècle, dont il ne reste malheureusement que les murs - l’un étant l’ancien rempart - doit être un jour... réhabilitée par la commune. 

  Extrait d’une lettre datant de 1943, prouvant que la famille Larroze était réolaise de longue date : « Larroze n'est pas encore venu chercher le blé et les souris font un de ces ravages dans le grenier à grains! ». 


        La Quincaillerie GRILLON existe toujours avenue de la Victoire. Je ne sais pas si la même famille tient toujours ce commerce, mais je continue à le nommer Grillon. 

   Ma tante s’y approvisionnait en tout bricolage ; elle m’apprit à poser les olives de lampes de chevet, à mastiquer les vitres, à remettre des plombs (d’alors) quand ils avaient fondu, et autres petites réparations.

   La famille Grillon est d’une vieille souche réolaise ; j’ai retrouvé dans le journal de mon grand-père, cet événement : « Le 11 décembre 1919, la maison des Grillon s’est effondrée. Je suis appelé en urgence. Le 14/01/1920: je travaille pour le chantier Grillon (magasin des Nouvelles Galeries – rue Sainte-Colombe à La Réole). 


Pub dans l’Almanach Annuaire

       de La Réole de 1903


        Le cordonnier AVADIAN, seul Arménien réolais, que des amis arméniens libanais, en visite quelques jours à La Réole, découvrirent lors d’une balade en ville. Je n’en avais jamais entendu parler.

   Michel Balans, "la mémoire de La Réole" comme le nomme Alain Lamaison, me précisa son nom et les lieux successifs de sa boutique « en bas de la rue Camille Baylens, puis impasse des Galants, derrière le fronton du patro ».


        Mme Juliette BARBE, modiste, rue Armand Caduc est aussi une vieille famille réolaise, ma grand-mère note dans son agenda, l’achat d’un chapeau en avril 1920.

    J’ai connu cette souriante dame, qui accompagnait, même à un âge très avancé, sa fille Jacqueline (amie de maman et cousine germaine de Michèle Perrein) dans tous ses déplacements en voiture. Elle décéda à 100 ans passés.


        Madame RAPIN tenait une mercerie, rue Sainte Colombe. C’est là que ma tante achetait de la laine pour nous apprendre à tricoter.  Ancienne famille réolaise.                                      

  

  Almanach 1903


    Guy Rapin, professeur au "collège", était le grand ami de mon oncle. Ils firent de la spéléo dans les Pyrénées, puis dans les Alpes. Je l’ai souvent rencontré chez mon oncle à Grenoble. Petite fille, j’étais charmée par son visage souriant et bronzé de Gascon, son accent chantant (nous parlions pointu, ma grand-mère étant originaire des confins de la Lorraine, mon grand-père réolais décédé juste avant guerre, ma mère n’a pas l’accent du Sud-Ouest).


    Mlle TAYLOR, modiste à domicile, vieille Anglaise, logeait au Tunnel. Sa cuisine comportait un "potager" typique des vieilles maisons, avec son carrelage en faïence Bleu de Delft.

   « L'après midi de l’Ascension : courses de chevaux. Tout le monde se mettait sur son trente et un. Mlle Taylor se réjouissait quand éclatait un orage impromptu : elle revoyait les chapeaux de ces dames qui étaient à refaire! En fin de journée, le café du Turon dressait des tables sur la place, comptant sur l'arrêt obligatoire des Réolais rentrant chez eux » (Extrait d’une lettre de ma tante).

      Les chapeliers étaient encore nombreux en France au milieu du XX° siècle. Je les avais complètement oubliés jusqu’à mon premier voyage en Pologne, lors de l’état de guerre sous Jaruzelski. Les anciens métiers existaient encore dans ce pays. De nombreuses images me sont revenues à la mémoire lors de ce séjour : murs des bâtiments noircis de crasse - comme à Paris autrefois ; tombereaux dans les campagnes tirés par des chevaux ; très peu de tracteurs et de voitures, de même dans le Réolais, les années 1950-60. Petites filles, nous pouvions sans danger nous balader à bicyclette sur les routes. Grande frayeur, lors d’une descente folle vers Saint-Sève, mon pied s’étant coincé entre le garde-bout et le cadre du vélo. Je réussis à éviter la chute !


    "Madame La France" (mère du docteur Henry), libraire, dont le commerce se situait rue Armand Caduc, nous achetait, elle aussi, des œufs. J’attendais avec impatience le jour de la sortie de "Lisette", journal hebdomadaire pour fillettes. Sans doute aussi y étaient achetés les cahiers de vacances, tant redoutés ! Ma fille y échappa contre le récit illustré quotidien de ses journées estivales. *

    Un jour, ma tante fut interviewée, à son corps défendant, dans la librairie par la télévision, alors qu’elle était venue acheter "Le buveur de Garonne", de Michèle Perrein. Ma tante disait que les Réolais tremblaient de se voir dépeints, chaque nouvelle sortie de ses romans. 


        RIBÉRA, magasin de vêtements, était situé, non loin de la librairie, dans une belle maison Renaissance avec ses fenêtres à meneaux. Nous allions parfois y faire des emplettes. Ma grand-mère y acheta « une robe (en tergal rêche) sans manche, genre tablier boutonnée devant », pour ma sœur aînée, adolescente. Elle n’apprécia pas le cadeau… 

  À l’époque, les femmes portaient souvent ce genre de robes-tabliers pour économiser leurs habits. Elles arboraient aussi fréquemment un petit chapeau de paille. 

  Souvenir, au marché de Monségur du vendredi matin, d’une dame âgée au visage buriné, chapeautée de noir, haute comme trois pommes, vêtue tout de noir, assise sur une petite chaise au bord du trottoir ; à ses pieds, un panier avec quelques légumes de son jardin, une poule, les pattes liées. Elle m’avait paru très pauvre. 

  À Monségur, on y entendait souvent le patois. J’ai découvert, plus tard, qu’outre le gascon, la langue gavache s’y parlait encore à cette époque. Je pense avoir retrouvé l’origine de mes ancêtres gavaches, grâce au mot caleilh (lampe à huile en cuivre) que je croyais gascon, mais qui est d’origine périgourdine (ou limousine).


      Au marché de La Réole, les volailles avec ses poussins et canetons m’attiraient le plus. Le foirail se trouvait de l’autre côté de la route, contre les remparts. Il y avait surtout des bœufs – me semble-t-il.

        La bijouterie ROQUEFLOT existait rue Gambetta.

   Un incident douloureux me fit pousser, un jour, la porte de la boutique, suite à une piqûre de guêpe. Mon doigt avait rapidement doublé et, seul le cisaillement de ma bague apporta un soulagement immédiat. 


    Le potier, M. VALLADE, habitant une maison en brique rouge, route du cimetière, était nôtre fournisseur en poterie. Je me souviens d’une pièce profonde et sombre remplie de pots.


Il y avait aussi :

        ABRIBAT, magasin d’électroménager, rue Armand Caduc ;


        SAUBAT, peintre (prononcé par nous SAUBATT). Il tenait aussi une droguerie. Ancienne famille réolaise.

Pub de l’Almanach Annuaire de 1903

   N’existaient pas encore de grandes surfaces, mais de nombreux magasins de toutes sortes dans chaque quartier de la ville, d’où le nombre élevé des bouchers, épiciers, boulangers réolais... 


        Les docteurs CHAVOIX : lui, médecin de ma grand-mère ; sa jeune femme pédiatre m’a soignée vers l’âge de 5 ans, pendant mes vacances réolaises. Quand elle pénétra dans ma chambre, j’eus l’impression qu’elle avançait sans toucher le sol. Souvenir douloureux des piqûres de Pénicilline !!


        Ce fut M. CAZAUBON, vitrier, (rue des Écoles), qui remplaça le carreau d’une porte vitrée, brisé sous le choc (accidentel) du coude gauche de ma sœur. Le nerf cubital fut sectionné, entraînant la paralysie de ses annulaire et auriculaire. Il paraît que je me suis évanouie devant le spectacle sanguinolent !  

                 

        Le docteur QUEYROI, jeune chirurgien, l’opéra, après avoir potassé le sujet toute une nuit. Opération très délicate, mais réussie.


        Plus tard, M. QUEYRENS, directeur de l’hôpital de la Réole ayant donné son autorisation, le docteur Queyroi accepta ma présence en salle d’opération dans le bâtiment récemment construit ; c’était au mois de juillet, dès le début de mes études. 


        Lors de la première intervention à laquelle j’assistais, Mlle FISHER, infirmière-chef, aperçut ma pâleur et les gouttelettes de sueur perlant de mon front. Elle me fit sortir précipitamment de la salle : la longue station debout, le masque devant le nez, la ventilation en panne en plein été en furent la cause - le sang giclant dans les films à sensation est loin de la réalité !! Un sucre me remit d’aplomb. 


        Alain PÉTROVITCH, alors interne, m’apprit à faire les sutures, les nœuds chirurgicaux d’une seule main, à poser les plâtres et à les découper, à mettre des bandages. Il était patient et pédagogue, comme Queyroi. Je les suivais lors des visites médicales. Le grand dortoir, dans l’ancien hôpital, existait toujours en 1971. Je me croyais retourner au XIX° siècle ; on y mourrait encore de tuberculose (un patient venu trop tardivement se faire soigner) ! Quel contraste avec le nouveau bâtiment claire et moderne.


        Les trois religieuses infirmières furent aussi très accueillantes. Grâce à elles, je devins une experte en toutes sortes de piqûres. 


        De "l’autre côté de l’eau", se trouvait la pharmacie du Rouergue de M. MARTY, chez qui se fournissait ma tante, pour les traitements de ses moutons. Petites filles, nous ne connaissions guère ce quartier, la Garonne l’isolant du reste du bourg.

 

        C’est au garage ARROUAYS, route de Monségur, qu’on effectuait le plein d’essence de la Deux-Chevaux, au bruit de moteur si caractéristique. J’en garde un souvenir ému chaque fois que je l’entends encore de nos jours.

   Ma tante nous emmenait parfois lors de ses déplacements en auto. Sur la route descendant de Blasimon, je l’avais interrogée sur le faîte d’un bâtiment émergeant de la cime d’un bosquet touffu. Les édifices remarquables, telle que l’abbaye, n’étaient, alors, ni restaurés, ni mis en valeur et laissés à l’abandon !  

       

        Mlle QUEYRENS, sœur du directeur de l’hôpital, s’occupa du groupe folklorique Lous Réoulès, dont firent partie maman et ma tante.(un Maixant était le cavalier de maman et un Ithier celui de ma tante).      La Maristingo, la messe de minuit, le chant Jean de la Réoule… sont des airs que j’ai entendus dans mon enfance. Mlle Queyrens était assistante sociale

Les Queyrens sont mentionnés dans l’Almanach de 1903.


   Et tant d’autres noms oubliés par moi…

   Parmi les connaissances et les amis de la famille de longue date, se trouvaient :


           La famille ESTÈVE :

   Mes arrière-grands-parents étaient déjà amis avec le pharmacien, créateur de l’alambic Estève.   

Almanach Annuaire 1903



   Ma grand-mère était très liée à sa belle-fille Anne Marie, nommée Juste parmi les Nations. Il me reste une image étonnante d’elle : je ne l’ai pas vue vieillir, gardant toujours la même silhouette, le même visage souriant. 

   Son époux et mon grand-père siégèrent, avant-guerre, ensemble au conseil municipal de La Réole.

   Jeanne (amie de maman depuis l’enfance) habita, à la retraite, la maison familiale, le "Point du Jour", dominant de 100 m la plaine de la Garonne, avec son magnifique panorama.     Je la considérais comme une tante, j’adorais l’écouter évoquer ses souvenirs. 


           La famille BECQUET habitait, face à la croix de Sqirs, la villa Bagatelle. Michel Balans ajoute « qu’il a connu un petit jardin et la maison du fond, où Ernest Becquet avait son agence d’assurance. À l’arrière de la villa, sur la route du Pigeonnier, un terrain de foot servait à la Phalange Réolaise. L’abbé Grenié y jouait avec les garçons du Centre Saint-Jean de Bosco ».

    Les Becquet étaient réolais depuis plusieurs générations. Le premier fut Victor, au début du XIX° siècle, compagnon chapelier, parti du Nord de la France. Il arrêta son Tour de France pour les beaux yeux d’une Réolaise. Le 31 mars 1870, un incendie de tout le stock de chapeaux mit un terme à cette entreprise, remplacée par l’assurance "La Paternelle" – me précisa Monique Berland (Becquet).

Almanach 1903
1930

    Ernest deviendra assureur à sa retraite de l’armée. Homme très distingué avec son parapluie très british quand il voyageait – il était passionné de courses de chevaux.

    Son épouse Gabrielle dut passer le permis, car il refusait de conduire tout moyen de locomotion autre qu’hippomobile.  Une rue de La Réole porte son nom : il fut très impliqué dans la vie de la cité. Ma tante était amie de Monique, leur fille.


         Les LABROUSSE demeuraient à Saint-Hilaire-de-la-Noaille ; j’étais impressionnée par la longueur des bras du monsieur. Ils étaient marchands de chaussures à La Réole, rue Sainte-Colombe, rue (depuis débaptisée) très commerçante alors… !

    Grand-mère et lui étaient passionnés de rugby. Il venait suivre avec elle les matches à la télévision, quand celle-ci fut enfin achetée. À Saint-Hilaire, nous assistions à la fête de l’Agneau, le jeune ovin bêlant parfois pendant l’office ! Il était décoré de petits rubans tricolores, ses parrain et marraine étaient costumés.                         

        Anecdote concernant madame Rose COCUT (mère de madame Labrousse). Mon oncle, enfant, eut mission, un jour, d’aller chercher des kakis chez elle. Tout au long du chemin, il répéta la phrase : « Bonjour Mme Cocut, je voudrai des kakis ». Or, sa langue fourcha : il se fit bien recevoir par la dame ! Je soupçonne mon oncle, très farceur, de ne pas avoir commis d’impair et d’avoir malicieusement inversé les noms ! En tout cas, quand il racontait cette histoire, il en riait encore !


        Mme FOLTZ, habitait "Le Séjour", propriété surplombant le bois de la Hoch, rachetée par une famille Poniatowski. Je me rappelle d’une petite dame toute en noir, d’une cour assombrie par les arbres qui y poussaient. Son mari, ingénieur, avait été à l’origine de la construction, au Pérou, d’une voie de chemin de fer en haute montagne. Il avait rapporté de ses voyages une flèche empoisonnée au curare qui était exposée dans une salle du "château". Ma tante raconte l’anecdote suivante :    « Monsieur Foltz était monté dans la locomotive avec le conducteur. Quand ils arrivèrent à destination, tous les membres de l’expédition ayant pris place dans les wagons avaient été tués par des indiens hostiles à la modernité et effrayés par cet engin diabolique ! »


        Jean MARTINESQUE, prof. de lettres classiques au "collège" de La Réole et son épouse Lucienne, à l’origine des Éclaireuses de La Réole pendant la guerre, devinrent plus tard de grands amis de mes parents. Et pourtant, maman n’avait guère apprécié son professeur, au lycée : il était sévère, car tout jeune (à peine plus âgé que ses élèves) et sans doute peu assuré face à toute une classe d’adolescents. C’était son premier poste. 

   Je me souviens d’un monsieur très cultivé et elle, souriante et adorable. 


        Monsieur KIRSCHBAUM fut directeur de l’École d’Agriculture de La Réole jusqu’à sa fermeture en 1934. Des liens d’amitiés persistèrent après leur départ de La Réole entre nos familles.

   Anecdote racontée par ma grand-mère : « Le fils aîné avait voulu ouvrir un bidon de goudron, laissé au bord de la route, près de chez ses parents. Pendant que sa mère lui frottait énergiquement la peau pour faire disparaître les traces de son forfait, le cantonnier s’époumonait, devant les fenêtres ouvertes de l’École, contre le chenapan qu’il soupçonnait du délit - le goudron, à l’ouverture du bidon, chauffé par le soleil, avait giclé et son contenu s’était répandu sur la chaussée… ».


        Madame DUCAU, « dame qui avait une grande allure. Elle était représentante d'une marque de vêtements. Elle avait une belle maison à la sortie de La Réole avec un grand jardin en pente sur le devant, côté route de Saint-Hilaire, et un autre jardin côté Chemin de Ronde », m’écrivit Michel Balans.

       Un de ses fils, Yannick, était artiste peintre. Son neveu vint un jour rendre visite à mes jeunes frères. Ayant allumé un feu, ils jouaient autour. Soudain, un cri perça. Philippe - l’invité - avait saisi à pleine main les ardillons d’une fourche chauffée à blanc. Brûlure au deuxième degré que madame LALANNE, habitant au Tunnel, agent immobilier et de surcroît guérisseuse, soigna ; elle avait reçu le don " d’ôter le feu " de sa grand-mère. Le gamin doutait beaucoup du résultat. Maman passa peu après prendre des nouvelles. Elle trouva le drôle en train de faire du vélo. La douleur et la brûlure avaient totalement disparu !


        Pierre LAVILLE, prof. de dessin au "collège" de La Réole, venait souvent peindre la maison ou les ormeaux plusieurs fois centenaires - depuis disparus, ayant succombé à une maladie cryptogamique, sévissant dans toute la France. Nous possédons une dizaine de tableaux, dont le portrait de ma sœur aînée à l’âge de 6 mois. Certaines de ses peintures se retrouvent dans le bel album sur Pierre Laville, édité en automne 2023, à l’initiative de son fils François.

   Pierre Laville venait parfois avec son fils Michel – que j’ai rencontré à La Réole lors de la sortie de cet album. La plus jeune de mes tantes, du même âge, l’instruisait sur la vie campagnarde (surtout sur les animaux de la ferme, m’a-t-il dit). 

« Le professeur de dessin est prisonnier. Quand il rentrera, je lui demanderai de donner des leçons à ma fille Irène, qui est vraiment douée » écrivait ma grand-mère en février 1942. Maman est sans doute l’une de ses premières élèves encore de ce monde en 2023. Elle a atteint l’âge de cent ans.


     Telles sont quelques brides de souvenirs d’enfance de mes formidables séjours réolais : 

la vie campagnarde d’autrefois avec tous ses animaux ; l’odeur caractéristique de maison ancienne et celle du feu de bois ; le sucre fondu entre les pinces chauffées dans la cheminée, l’entrecôte à la bordelaise cuite sur les ceps de vigne, la langue de bœuf à la sauce dépiquage, les pommes de terres sautées longuement sur la cuisinière à charbon (odeur soudain redécouverte lors d’une visite hivernale à Każimierz - village au bord de la Vistule) ; mais aussi le dépiquage et sa locomobile bruyante, engendrant un nuage de poussière ; la fragrance des orangers, citronniers ou figuiers; les stridulations des grillons au crépuscule (pas encore de cigales), les hannetons, les hirondelles (deux espèces disparues soudainement de nos prairies), le "HLM à moineaux" comme je baptisais les palmiers trônant devant la maison où piaillaient, alors, une multitude de ces oiseaux (volatilisés de la propriété ; maintenant réfugiés à la gare Montparnasse!!), la chasse aux papillons (presque disparus des prés) ; mais aussi la nuée de mouches venant se coller au ruban adhésif spiralé, pendant de l’abat-jour de la cuisine… Sous son éclairage, au crépuscule, ma grand-mère nous racontait les histoires de nos ancêtres, ce qui me ravissait.


     À La Réole, les rues y étaient animées grâce à tous ses commerçants et artisans. 

     C’était autrefois, il y a plus d’un demi-siècle !   

                                                                              Été – Novembre 2023 - B. Bulik    


Commentaire complémentaire de Jean Marc Patient :

    Quel bonheur d'entendre ces noms entendus maintes et maintes fois chez ma grand-mère Thérèse BEYLARD et chez mon oncle et ma tante Georges et Andrée LACLAVETINE (horticulteur et fleuriste rue des Frères Faucher) durant les années 1940-50 lors de mes vacances à La Réole et il y en aurait encore beaucoup à ajouter à cette liste, par exemple :
IZARY Raymonde lingerie, CHARDON Lucien électricien, CHARDON Valmy tenant la buvette de la gare, PETITEAU Marcel et son fils Pierre (dit Nino) taxi tous les 2 et son épouse épicière, VERGNE boulanger, BEÏS limonadier en gros, BOUTET expert immobilier, DAVANT plâtrier, FOURCADE tonnelier, VIREPINTE épicier, ARROUAYS armurier, BOE médecin, DARMUZEY pharmacien, Ferret libraire et journaux, SAUBAT Max bazar (le frère du peintre Jean aussi directeur du cinéma Casino), MALLET épicier (boutique restée figée dans son époque d'avant guerre), DUMUR bazar, TRENTY pharmacien, LAROUBINE pharmacien, JUBILY coiffeuse, FERRAND atelier mécanique, LACOMBE mécanicien vélos, COUSSIRAT Huissier, TOURNEPICHE herboriste, LESBAT boulanger, VIDAL Isnel mécanicien moto, JOUVION quincaillerie, FELON paniers et objets en bois, LADEVEZE transports, FORTIN matériaux construction, DELAS vins en gros, MARTIN Pierre et sa sœur Henriette épiciers, ROSYS papiers peints, GENTILLE menuisier, DUPIOL transporteur, GIRY marchand forain, DADER son gendre bazar quincaillerie, CAZAUBON coopérative au Turon, etc.... tous du "La Réole de ces années là", et j'en oublie beaucoup !...
    Pour moi, le patrimoine c'est le fixe (site, bâtiments) et l'éphémère (les personnes qui y ont vécu et animé ses rues et ses commerces). C'est un tout indissociable.

Jean-Marc Patient

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