Rechercher dans ce blog

  Comédies et comédiens à La Réole du 18 au 21 e siècles Ce  panorama du théâtre à la Réole s’attachera davantage à la pratique du théâtre ...

Comédies et comédiens à La Réole du 18 au 21e siècles (Michel Balans)

 Comédies et comédiens à La Réole
du 18 au 21e siècles


Ce  panorama du théâtre à la Réole s’attachera davantage à la pratique du théâtre amateur plus qu’à une activité professionnelle. 

Seul le théâtre ambulant au 19e répondait à des critères professionnels. 

Au 20e et 21e quelques troupes professionnelles, rares, de passage à La Réole, représentent cette catégorie.   

Surtout, comédies et comédiens passent de l’état du pur divertissement à l’état du service public, de l’éducation.
Au 21e siècle, les comédiens devenus «intermittents», sont organisés pour  défendre leurs droits et assurer leur formation. Les communes pilotent la culture municipale, y compris l’activité théâtrale.

    Aucune indication sur la présence de comédiens à La Réole durant les 18e et 19e siècles. Les parvis d’église accueillaient des mystères du Moyen-âge. Est-ce que la paroisse
Saint-Michel avait un parvis ? Il semble que non. 
    
    Par «
 l’Agenda de Jean », nous apprenons que le Café Gallaud du Turon accueillait des artistes, des saltimbanques ambulants et des séances musicales.    
    On peut imaginer les spectacles de cirque en plein air sur les quais ou place des Jougadoux. Jean, dans son Agenda, signale le passage des cirques Bazola et Rolla avec leurs numéros équestres. La troupe équestre Farina fera également un passage.

    Les informations sont plus précises pour le 19e et surtout le 20e siècle.
    Il s’agira de noter davantage les productions et les comédiens amateurs.


Au 19e siècle : 

    Dès 1865, à l’Eden-théâtre (futur Casino) on peut voir des pantomimes et au Café Gallaud plus tard on peut entendre des chanteurs, chanteuses, (du Grand-Théâtre de Bordeaux), des opéras (?) Lucrèce Borgia ! ?
    En 1870 on refait le buffet de l’orgue Stoltz, installé en 1843 à St-Pierre.
    Les sociétés de musique (l’Orphéon et la Philharmonie) receuillent des prix dans des concours régionaux.

Au 20e siècle : 

    Dès 1920 la Salle de la Phalange réolaise, (patronage paroissial) dans l’ancienne École libre, les groupes de la paroisse se produisent. Les garçons, avec la «Phalange Réolaise» jouent des comédies, burlesques, style comiques troupiers avec Marius Balans, Peres, Duranthon, etc.. Les jeunes-filles, «Enfants-de-Marie», jouent des classiques avec Molière (les Femmes Savantes) ou «le Flibustier». de Jean Richepin.
    Un professionnel parisien à la retraite, habitant Fontet, Jean Harlet (Saujeon) met-en-scène Madeleine Penelle (future Balans), Geneviève Giresse, (future Darvand), Rose Cocut (future Labrousse) ...etc. Mes parents, chacun jouant de son côté, se rencontrent dans les coulisses ou dans la cour d’entrée. Quelques mois après le traquenard d’une jalouse, ils se marient.  Avec ma sœur, je suis né de ces rencontres théâtrales. . . !

    En 1946 avec ma voix de soprano je monte, à mon tour, sur les planches de cette salle avec mes camarades Vidal, Descos, Lanoire, Barbe, de St-Denis, Darvand, Filleau, Grisel, Lanoire, etc. Je chante des opérettes écrites par les parents bordelais de l’abbé André Grenié.     La salle fera aussi Cinéma. Edouard Molinaro y présente ses premiers courts métrages (disparus).
  
    En  1952, le théâtre amateur fait partie de la politique culturelle d'État depuis la Libération. La décentralisation théâtrale est une préoccupation importante.
    Dès 1959, un Ministère de la Culture pilote l’organisation de cette décentralisation avec l’Éducation Nationale et le Ministère de la Jeunesse et des Sports.
    Le théâtre fait partie de l’éducation. Chaque région est dotée d’une structure, un Centre Régional Art Dramatique (CRAD) qui consiste à former, aider les troupes amateurs.

En 1950 c’est Jean Lagénie qui préfigure le poste d’instructeur et directeur du Crad d’Aquitaine à Bordeaux.     En 1952 il vient à La Réole jouer « Numance » de Cervantès, adapté par Marrast, avec Raymond Paquet, en plein air, au cloître du Prieuré. La venue de ce spectacle est un événement artistique et politique majeur.     En 1964 Raymond Paquet qui le remplace viendra faire la mise en scène des Jeunes du théâtre réolais et jouer la «Foire aux farces».      En 1984 Jacques de Berne succède à Paquet et dirigera un stage où à cette occasion j’écris une adaptation d’une pièce de Tirso-de-Molina  «Mais qu‘est-ce qui fait courir les filles, le soir, sur les bords de la Garonne ?» Jean de la Réoule en est le héros.  Ce spectacle sera joué en plein air au cloître et à St Macaire. 

    Un deuxième stage en 1989 ramène Jacques de Berne, CTP de jeunesse et Sports sur le bord des quais pour jouer un texte de Marie Dulac : «le Pavillon de la Marie-Jeanne». Quatrième stage de Jeunesse et Sports à la Réole dont je suis un peu à l’origine.

    Dans les années 1946-47, en plein air, place des Jougadoux,  le théâtre Ferranti et la famille Durozier donnent des spectacles. (ce sont  des théâtres privés).  Toute la semaine, chaque soir, une pièce est présentée : drames, comédies alternent devant un public attentif. (il n’y a pas encore de télé !). C’est une famille entière qui joue tous les rôles. « Les deux orphelines, Ces dames au chapeau vert, le Cheminot, les Misérables, les Trois mousquetaires, etc.».     Au 20e siècle à La Réole, il y avait trois salles qui accueillent des spectacles réguliers. Dans la salle du Casino, un grand bâtiment en deux parties : une grande salle avec balcon, deux issues rue des Tilleuls et une petite salle en rez-de-chaussée, entrée rue Armand Caduc. L’ensemble est séparé par un petit café et son logement, rue des Tilleuls. L’ensemble a été détruit pour faire un parking.  Des tournées et des spectacles du Collège voisin trouvent place.       Dans la salle de l’Amicale Laïque, place des Justices, le Gymnase, des tournées, des spectacles scolaires, des productions locales trouvent une scène. Et des spectateurs.     En 1946, sur la scène du Patronage paroissial, les Ames Vaillantes (groupe féminin, adulte : Yvette Noël, Simone Jude, Monique Rapin, etc.) jouent : ces “Dames au chapeau vert”, et des extraits de “La maison de Bernada Alba” de Garcia Lorca : mise en scène collective.     En 1948 sur la scène du Patro, mon père joue ”Gardien-de-phare” avec un fils Gaboriaud. Ils font leur propre mise-en-scène.     En 1968, la Compagnie-Universitaire-de-Bordeaux joue “Electre”, de Giraudoux, à l’occasion du Mois de l’Amitié au premier étage de la vieille Halle. Mise en scène de Jacques Albert-Canque. J’ai réalisé les costumes et le décor.      Au Casino, en 1946, le Collège présente son spectacle de fin d'année.      Michèle Barbe, future Michèle Perrein (surtout connue pour ses romans, elle écrira deux pièces de théâtre) et Edouard Molinaro (Doudou) (futur réalisateur qui fera plus de 58 mises-en-scène de films). ils jouent «la Paix-chez-soi» de Courteline. Grand Succès.  Ils deviennent des professionnels à Paris, chacun dans sa spécialité.     En 1947 à l’Amicale Laïque, le Cours Complémentaire de Filles présente son gala de fin d’année, un des meilleurs. Mme Laborde, directrice et son équipe, avec Marcelle Cabane, prof-de-gym, chorégraphe, présente des spectacles remarquables, celui de 47 est particulièrement réussi spécialement les ballets.     Ma sœur Suzy joue Dandin dans les “Plaideurs” de Racine.      L’orchestre « l’Union Musicale » se produit également.      En 1947, Germaine de St-Denis, pour l’Association des familles, à l’occasion de la Fête-des-mères, met en scène une pièce de Berhe Bernage, dans laquelle avec d’autres (J.Pierre Bonnac, etc.)  je joue un enfant de “mon paternel” qui lui joue un père de retour de captivité avec Mlle Jandel, sa femme     Le Casino, et la salle du Gymnase feront cinéma pendant longtemps.

    En 1949 viendra le Rex, où s'installera l’Écran réolais et son complexe de deux salles.

   
    Le Théâtre des Jeunes, en 1963-65 avait joué en plein air des montages de Jean Pérot, Simone Artins, Guy Rapin, Michel Balans. Sur la place de la Halle, au Cloître, devant le mur de ville des Jacobins. (J. Avadjian, J. Pauly, R. Vanetelle, Jean Virepinte, Pierre Falloux, etc.)
    En 1970, le Théâtre-des-Jeunes de La Réole qui s’est créé à la suite des trois représentations de 1963-65 présentera ses propres productions avec les frères Jacques et Christian Laroque, Max Labadens, Pierre Carasset, Michel Terracher, Jean Virepinte, Oris Braga, sa femme Jacqueline, etc.     Oris et Jacqueline, créeront un atelier café-théâtre à Loubens.
    En 1989, à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française le Conseil Général subventionne une pièce écrite par un bordelais vivant : Max-Henry Gonthié pour évoquer la Révolution française par la troupe du Petit Atelier de Bordeaux. Les réolais étaient invités à faire de la figuration en costume à l'Amicale Laïque. La scénographie et la mise-en-scène des 40 acteurs sont assurés par Michel Balans.     Cette pièce fut jouée au château de Cazeneuve à Préchac, en plein air, et dans la cour de l'Hôtel Saige à Bordeaux 
    De 1985 à 1995, un professeur de lettres du Collège, Paul Esquinance, fait des mise en scène d'abord avec la création de l'Atelier-Théâtre des élèves (1985), puis de la Troupe Adulte du Collège (1986), de la Compagnie iCoragi (1991), du festival VivaCité (1993).
    Après la disparition prématurée de Paul Esquinance en 1995, Daniel Cazenave-Gassiot prend en charge la troupe d'iCoragi, puis le festival VivaCité avec l'aide de Bernard Lasserre et Bernadette CousinClaudine Vern créé la troupe iCoragi Juniors pour les lycéens et étudiants.
La troupe iCoragi n'a jamais demandé de subventions, mais a toujours bénéficié de l'aide des Services Techniques de la ville de La Réole. 
Le collège de La Réole porte désormais le nom de 
Paul Esquinance.
    De cette troupe amateur sortira Frédéric Vern, qui créera en 2001 avec des camarades la Compagnie professionnelle, L’Aurore, un temps basée à Lamothe-Landerron, où l’association La Grange a accueilli pendant des années des résidences artistiques, stages, ateliers et spectacles. L’Aurore a créé La Fabrique, école de théâtre. 
     Vivacité, présente plusieurs productions. Ils joueront avec le théâtre de la ville jumelée, italienne : Sacile, la pièce de Goldoni : « Barouffe a Cogghia ».
    On y rencontre : Michel Collin, Olivier Bayle-Videau, Bernard Lasserre, Isabelle Maille, Frédéric Vern, d’autres. En 2010 ils montent : Le Malade Imaginaire  mis-en-scène par Jean Louis Vern.
Vivacité bénéficie du label Scènes d'été en Gironde. 

    En 2000, une strasbourgeoise, la fille d’un architecte réolais, conseiller municipal, Antonia de Rendinger, joue avec succès les humoristes solos à Paris. Sous le nom d'Antonia.

    Les grands cirques ne tournent plus. Finies les parades de Pinder, de Bouglione dans les rues réolaises.

    Le Conseil Général de la Gironde installe à la Réole (dans l’ancienne usine de caoutchouc, rue des Menuts) une antenne de l’IDDAC (structure culturelle du Conseil Départemental) avec du matériel scénographique de prêt.


    La danse avec Art et Santé, en 1938-39 présente des spectacles au Cloître.     En 1946 Marcelle Larrieu fait danser les adolescentes avec le Cours complémentaire de filles.

    Le groupe  Lous Réoulès, infatigable, danse les rondes du folklore depuis 1927.     Dans les années 70 des Écoles de danse (Arrouays-Hass) présentent leurs galas à l’Amicale.
    Au 21e siècle, l'École de danse “Élodie-St-Martin” présente son travail au Prieuré.  Aujourd’hui « A corps-danse » présente son gala aux Bénédictins. Ses cours se donnent au Studio-Lévite. 

    Une agence de spectacles, rue Jean Moulin, les Givrés-du-Plumeau, fédère le spectacle vivant.  

    Maintenant les mairies, les Communautés de Communes subventionnent davantage la culture et apportent leur soutien financier au théâtre amateur et pro. de la ville et autres activités artistiques.  

    En 2002, le Conseil Départemental de la Gironde lance chaque été un programme de spectacles itinérants : Scènes d'été.
    Certains passent par La Réole, en plein air ou à la salle de l'Amicale Laïque. Cela dure jusqu'en 2021.   

    Des spectacles équestres se présentent dans l’église et devant le porche ou au pied du château. Les jardins de l’Espace Jean-Bosco accueillent des groupes de théâtre de rue, de danse et de musique électro. 

    Durant l’été 2021, ”Chemin-des-Arts” (soutenu par la mairie) invite un spectacle parisien sur « Jeanne d’Arc » par les « Ateliers-d’Amélie ». Spectacle professionnel. 


    Dans les années 2020 la pratique théâtrale amateur (et professionnelle) se dilue dans l’air du temps. Des scolaires s’y frottent timidement. La décentralisation a fait long feu. Le Conseil Départemental apporte son aide avec les ”Scènes d’été” qui coordonne entre les productions et les communes.      Mais la flambée des années 40 / 90 s’éteint doucement. D’autres activités apparaissent, timides, orientées marionnettes ou images projetées. Les publics se dispersent. Les Pouvoirs publics aident un navire qui coule. La société mute.  

Les divertissements se multiplient sous des formes différentes et variées. L’éducation n’est pas sûre d’y trouver toujours son compte. 

Avec patience, les comédies et les comédiens attendent en coulisse. . . 




    Cité remarquable, avec courage et ténacité, La Réole reste une terre d’artistes.

    Au fil du temps femmes et hommes ont partagés leur art inspirés par la garonne 

et les pierres ouvragées.

    Ville d’art et d'histoire, elle offre au futur matières à créer encore.


Michel Balans (2021)

Jean Louis Vern (Paul Esquinance et successeurs)


0 comments:

  Vieux Noëls du Sud Ouest L' HUMEUR D' ANDRÉ ELCÉ Le Républicain 23-12-2021 C'ÉTAIT AVANT...      Le soir de Noël à La Réole ...

Vieux Noëls du Sud Ouest et de La Réole

 Vieux Noëls du Sud Ouest

L' HUMEUR D' ANDRÉ ELCÉ
Le Républicain 23-12-2021

C'ÉTAIT AVANT...
    Le soir de Noël à La Réole dans les années d'insouciance qu'on nomme les Trente Glorieuses, on voyait les habitants un peu originaux se distinguer dans les rues...     Laure Touzet, la serveuse du Café-Restaurant Duranthon, changeait le bonnet rituel qui cachait son chignon et (soi-disant) ses économies ! Renée Sirven entonnait à pleine voix un cantique dans la rue Général Leclerc, tandis que son fils Popaul descendait au Turon en costume de Davy Crockett ! Le Niaounié remontait la rue Armand Caduc en criant qu' avec le gouvernement c'était «la faillite» ! L'inoubliable Jean-Claude Dihars courait dans toute la ville pour rappeler le réveillon avec sa bonne humeur et sa gentillesse débonnaires....Ils étaient nos artistes, ceux qu'on ne peut pas oublier...
    Dans les chaumières aux cuisinières rougeoyantes, on disposait les brioches, recette Pédeboscq « à chapeau », qu'on tremperait à minuit dans le bol de chocolat chaud en allumant les vraies bougies sur le sapin pour découvrir les cadeaux...On s'embrasserait alors sans masque et sans risque… Après ce petit déjeuner nocturne traditionnel, les adultes remplissaient des « petits verres » de Barricot, la liqueur de la distillerie Perrein ! Et la chaleur aidant, certains se mettaient à fredonner, mi-patois, mi-réoulès, pour ne pas que les enfants comprennent :
«Es bazut lou pétit nanot, saùce de patates, ragout de mojettes,
Es bazut lou pétit nanot, qu'as le c.. pélat coume ùn esquillot .. !»
    Les mémés rougissaient un peu, les pépés riaient de l'innocent blasphème de la chanson, puis tout le monde se glissait sous les édredons de plume...Le voyage de douceur qui suivait nous transportait alors vers les délices du repas annuel où le chapon trônerait avec fierté dans son plat d'argent, sur la nappe brodée de deux ou trois générations ! Nous aurions des larmes de bonheur et nous penserions naïvement que nous allions vers les beaux jours ...

 Christian Laroque

Journal Sud-Ouest 20-12-1964


Noël : la plus vieille, la plus importante fête de l'année... Les Anciens, Hindous, Persans, Chinois, Celtes, Phéniciens, Romains, ne le célébraient-ils pas déjà  le 25 décembre, le feu, annonciateur du retour de la lumière ?     Ce jour-là marquait du dieu Mithra la victoire sur les puissances infernales de la nuit.     Selon une vue plus moderne, c'était la fin de la course du soleil, qui atteignait le Capricorne et allait reprendre sa marche ascensionnelle, le solstice d'hiver, qui tombe vers le 21. 

Le christianisme s'efforça de sanctifier les cérémonies païennes qui avaient lieu, ainsi, au début de chaque grand cycle de la nature, en leur donnant une signification spirituelle. Mais l’ Église des premiers âges ne commémorait pas la naissance de Jésus, elle fêtait sa mort et sa résurrection, sur quoi elle fondait sa croyance. Quand elle s'en avisa, à défaut de précisions dans les Evangiles sur le jour où avait eu lieu l'événement, les dates les plus diverses furent choisies, selon les lieux et les époques : 6 janvier, 23 mars, 19 avril 20 mai. Au IIIe siècle, le pape Jules Ier imposa à toute la chrétienté le 25 décembre. De cette manière, les païens saluaient la renaissance de la nature le même jour que les chrétiens l'éveil de la grâce

Des siècles et des siècles de traditions populaires ne pouvaient être abolis d'un coup. Les charivaris moyenâgeux furent les burlesques et remuants héritiers des saturnales. Telle cette fête des Fous qui se célébrait, la veille de Noël, dans la cathédrale de Dax. L'intrusion de réjouissances plus que profanes dans cette cérémonie religieuse était destinée, à l'origine, à exalter les humbles par une vivante interprétation du Deporit potentes de sede. Une interprétation ouvre la porte à toutes les fantaisies aussi bien, une verve rabelaisienne avant la lettre devait-elle animer bientôt ces clercs, ces prêtres et ces fidèles travestis, dansant et chantant dans le lieu saint. A l'odeur nauséabonde de vieux cuirs, brûlés en guise d'encens, se mêlait le fumet des viandes et des charcuteries consommées sur la nappe de l'autel, où l’on jouait aussi aux dés et aux cartes. - On vit, raconte un chroniqueur, de misérables héros habillés en évêques, mitre en tête et crosse en main, distribuent à la populace hurlante de gaieté des bénédictions des dérisoires.

Dans les campagnes de jadis, la foi. qui n'avait pas été semée sur de la pierre mais dans la bonne terre, avait levé plus droit. Cependant, aux approches de la Noël, subsistaient des époques ténébreuses où l'on tremblait dans la crainte de la mort du soleil, une vague inquiétude, un trouble mystérieux. Les travaux des champs étant suspendus, on se retrouvait seul avec soi-même. à écouter tes murmures de la terre et du ciel. Ces frôlements dehors, le long des murs, des tuiles qui glissaient sans raison sur le toit, quand la nuit tombait, c'était à n'en pas douter les amettes, les âmes du purgatoire, qui se pressaient autour de la maison.
    Elles se rapprochaient des humains, pressentant l’instant tout proche de leur délivrance.

Dans cette portion de la Dordogne qui était autrefois limousine, une tradition conseillait d'aller moudre le grain

au besare de Nadau (Noël) le blaet, le mauvais œil, ne viendra surement pas.

Mais, “si par malheur, il nous opprime cela le fera partir

    Toutes craintes se dissipaient avec l'angélus, que suivaient les cibetios, ces petites aubes gasconnes, ce joyeux carillon qui se répétait au long du jour, doux comme un appel d'enfant.

     Elles annonçaient Nau, Nadaou, ou Nadal, selon l'appellation patoise de chaque région du Sud Ouest : Noël, en un mot.

Alors, une fièvre joyeuse parcourait les paysages de froidure et souvent de neige. C'était elle qui portait les drolles de ferme en ferme :

Nadaou Sente Nadaou ! 

Donnez-moi le guiroudeou. 

Vite ! Vite !

On leur donnait là des noix et des châtaignes; ici, des épis de maïs parfois, aussi, des nèfles.     Dans la Chalosse, on se montrait généreux : des saucisses, de la meture et des michea de Nadau, un pain de millet parfumé à l'anis, s’entassaient dans leur sac.

    En Armagnac. ils étaient trois, quatre enfants, rarement cinq, qui allaient dans quelques villages du coin, costumés en rois mages, avec leur suite. Bien qu'en avance sur la tradition, ils n'en étaient pas moins guidés par une étoile une  étoile à cinq branches, s'il vous plaît, que simulait une lanterne portée par l'un d'eux.

Du produit de leur quête, ils faisaient deux parts. Avec l'une, ils organisaient un festin : charité bien ordonnée... Avec l'autre, Ils confectionnaient de ces pains à l'anis qu'ils distribuaient à leurs donateurs durant la messe de minuit.

Au début de ce siècle, se perpétuait, en  Armagnac, la tradition de ces quêtes dont le but était, avant tout, de ramasser de quoi festoyer. Mais elles étaient faltes alors par des conscrits coiffés du béret bleu, brodé de laines rouges, jaunes, vertes et blanches, sur lequel caracolait un pompon multicolore. Ils visitent foires et marchés du temps de l'Avent, recueillant farine, oeufs. et châtaignes, et chantant;

Trois compagnons sont arrivés 

Devant la porte d'un chevalier. 

Gentil seigneur, l'eguilloné !

il faut donner aux compagnons…

 

Un refus était sanctionné aussitôt par :

Dieu vous conserve la santé 

Comme l'eau dans un panier percé ! 

Dans le Gers, par groupes de huit à dix lurons, chaussés de souliers ferrés, ils couraient hameaux et métairies. Le plus solide qui devait être aussi le plus leste, portait le sac contenant les dons car les bandes des divers villages, qui allaient quêter le jour dans le leur, puis la nuit, dans les autres, se rencontraient inévitablement. Et l'on récoltait "force plaies et bosses" au cours des joyeuses bagarres qui s'en suivaient. 

    Si l'on ne voulait pas faire l'omelette dans le sac ou, plus simplement bre de la bande rivale, il fallait le mettre prestement à l'abri ! Tout ragaillardi par les coups qu'on avait donnés. et par ceux qu'on avait reçus, on se remettait en route, chacun de son côté, en entonnant la chanson rituelle

Bien le bonsoir, braves gens 

Et, pour ce soir, et pour longtemps, 

Nous sommes les aguillounès 

Venez écouter nos souhaits ! 


Dans le canton de Mirande, le sac était chargé sur un âne. Par manque de gars solides ? Parce qu'on s'y montrait plus généreux que partout ailleurs en pays aquitain ? Peut-être, tout bonnement, pour ne pas se fatiguer inutilement ! 

Dans l'Angoumois et la Saintonge, un vieux fonds de verte galanterie réapparaissait au cours de ces quêtes du temps de la Noël :

Donnez  votre fille, 

Qui est à la maison, 

Ou seulement la servante : 

Nous nous en contenterons !


Chez les Basques, les compagnons de l'Aguilloné ne frappaient, selon la coutume, qu'aux maisons dans lesquelles un enfant était né depuis le précédent Noel. Mais, Ia comme ici, dans tout le Sud-Ouest en ces heures qui précédaient la messe de minuit, c'étaient, les mêmes préparatifs; c'étaient les mêmes coutumes auxquelles on se devait, jadie, de sacrifier  sous peine des plus graves désagréments dans le cours de l'année qui allait commencer.

 Allègre Allègre !  Ton couvert est mis à notre table, Viens prendre ta part du pain d'allégresse ! 

Le pauvre ainsi abordé dans la rue ou sur la place du Béarn, du Pays Basque et des contrées de l'Adour, ramené triomphalement au logis, installé face au bouquet de gui placé en son honneur, était le convive de la nuit de Noël, celui qui apportait le bonheur dans ses vêtements en loque..

Chez les Anglais protestants de Bordeaux, l'arbre de Noël était un énorme pied de gui. Les fiancés, s'il s'en trouvait dans la société, en faisaient plusieurs fois le tour et en fleurissaient leur boutonnière ou leur corsage : c'était également un porte-bonheur très apprécié au début de notre siècle. Et quand, le 24 décembre, un jeune homme, Britannique ou non, offrait du gui à une jeune fille, leur mariage était certain dans les douze prochains mois. Aux tenants du célibat, un conseil n'approchez pas de la plante maléfique !


Donc, la nuit descend, la nuit la plus extraordinaire, la nuit la plus longue de l'année avec celle de la Saint-Sylvestre. Avant le coucher du soleil, tous les feux ont été éteints. Un seul dans tout le village, brûle : la lampe du tabernacle, C'est celui-là, le feu sacré, qui va servir à rallumer tous les autres. En foule, on se rend à l'église et l'on en sort avec un brandon qui sera promené à travers champs, jusque sur les hauteurs ou, simplement, devant les maisons en plat pays. Des grands brasiers joyeux vont bientôt illuminer les ténèbres.

En tenant au bout d'une pique des bottes de paille ou des gerbes d'épis de maïs, trempées dans la résine enflammée, on danse, on chante autour du feu nouveau la lumière renaissante des joies retrouvées:

Voici le feu, le feu de Noël 

La tripe à la broche, 

Le porc as salin 

Courage, voisin !


De maison en maison, de village en village, de colline en colline, les feux et les chants se répondent en pays. gascon comme en ces temps très lointains d'avant Jésus, où l'on fêtait le dieu du feu. 

    Et c'est le brandon allumé à la lampe sacrée qui va servir à rallumer la chandelle. 

Oh. mais pas n'importe laquelle ! Celle qui ne luit que ce soir-là mise en réserve depuis le dernier Noël. 

L'aïeul se signe, l'éteint et la remet à celui qui le suit en âge. La même cérémonie est répétée par tous les membres de la famille jusqu'au dernier, faut-il encore au berceau. Guidé par sa mère, il serre la chandelle dans sa petite main et va la poser sur Ia table du repas qu'elle éclairera jusqu'à la fin.

Une autre flamme, non moins rituelle, brille dans la cheminée. Elle court sur l'escale gasconne, le mouchos de l'Argoumois, la cosse de l'Aunis le capdares des Landes, le tragao du Gers le castaou du Béarn : notre bûche de Noël enfin, On l'a posée sur les restes de la bûche de Noël passé, qu'on a rallumée avec le feu nouveau, la famille entière est à genoux devant elle et prie avec l'aïeul :

Au nom du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint : que de mort, angoisse et déshonneur soit gardée cette maison !Que ceux qui l'habitent y vivent en paix et santé et, si Dieu ne permet pas qu'on y soit plus nombreux l'an qui vient, qu'il veuille bien qu'on n'y soit pas moins !

Le papi a versé sur la bûche un verre de vin - nous sommes en Gascogne, on s'en douterait ! Partout, dans le Sud Ouest, c'est également la plus belle souche provenant d'un arbre fruitier, qu'on ait trouvée, aussi longue que la cheminée est large et plus grosse possible. 

    Hé elle doit brûler pas moins de huit jours ! Mais il y a des accommodements avec la tradition et, pour qu'elle fasse le temps, on peut retirer la bûche de la cheminée chaque soir, en se couchant. Le dernier soir, on passe une laine dessous, pour l'enlever. Si la laine casse, on boit un coup. Et l'on recommence jusqu'à ce que le tison soit enlevé au consumé !  Assoiffantes coutumes girondines.


Mais il ne s'agit pas de plaisanter dans l’Angoumois, l'Aunis, la Saintonge et le Périgord, avec cette souche sacrée ! Défense de s'asseoir dessus. Sinon, gare aux furoncles mal placés ! La tradition. bonne fille, fournit cependant le remèdes. aux fortes têtes et aux derrières intrépides passer neuf fois sur une tige de ronce que le hasard a fait pousser par les deux bouts..

    Avant de se mettre en route pour assister à la messe de minuit, il y a certains rites à observer encore. Couvrir la bûche de cendres, par exemple. Et aussi couper une large tranche dans le gros pain du repas, que les femmes disposeront bien en vue sar un linge blanc. En pays gascon, on raconte que, quelquefois, la tranche a été entamée par Celui qui se nourrit du pain dur d'un modeste charpentier. La nuit de Noël n'était-elle pas la nuit du Miracle, de tous les miracles !

Mais il ne faut pas abandonner pour autant le pitchoun, seul, dans son berceau, pendant que la famille est à l'église. Cette nuit, la breycho rôde autour des fermes solitaires et abandonnées. Elle pourrait se glisser près du berceau, souffler dessus et prononcer les mots terribles, ceux qui donnent le mal. Aussi l'aïeul veillera sur le nen-nen.  Partez tranquilles, mes enfants, à l'appel des cloches ! Non, le vieux ne bougera pas. Oh ! Ce n'est pas lui qui irait, à minuit, voir ce qui se passe et écouter ce qui se dit dans l'étable ! Il sait ce qu'il en coûte aux curieux - à ce bouvier, qui, dit-on, n'y croyait pas. Dans les Landes, chacun connaît son aventure. L'aventure de l'incrédule qui alla écouter parler ses bœufs et ses ânes... Or, ces bêtes, point sottes, qui le savaient derrière la porte, se demandèrent tout haut:

- Que ferons-nous demain matin ?

Et l'une, de répondre, malicieuse 

- Nous allons enterrer notre maître.

Pour avoir voulu vérifier le miracle, le bouvier mourut, comme de bien entendu. Il n'est pas bon pour la santé d'entendre s'entretenir, comme des humains, le bœuf et l'âne chaque année, de par la grâce de Jésus, à l'heure même où Il vint au monde, réchauffé par leur souffle !


MINUIT. Toutes les légendes, toutes les pensées, tous les pas tendent vers une étable, dans une grotte... C'est le moment d'interroger le ciel gaston :

- La lune se montrera-t-elle ce soir ?

- Dieu nous assiste ! 

Malheur ! Si elle n'est pas au rendez-vous de la nuit de Noël, l'agnelée ne réussira pas, dix brebis pourront se réduire à une seule et l'hiver sera long, long.

Voici enfin l'église. Elle est l'étoile de ces campagnes, qui brille de l'éclat des dizaines et des dizaines de bougies collées par leur bout sur le dossier des chaises. qui brille de tous les ors de l'autel, qui brille de tous les regards fixés sur la. crèche.

La plus ancienne crèche du Sud-Ouest est sans doute celle, tout de bois sculptée. de Sainte-Marie d'Oloron. Les pastoures sont en jupe et en sabots. Les bergers, chaussés de guêtres ou vêtus de la pelisse courte, évoquent le Béarn champêtre de l'époque de Louis XIII. Depuis, nombreuses furent les réalisations au goût du jour, qui ne valent pas celles qu'inspira la poésie simple du terroir. Mme Mazel, de Domme (Dordogne), a mis dans la sienne bêtes et gens du Périgord : bouviers piquant leurs bœufs roux, pastoureaux malins, vieilles cassées par les ans. et le poids d'un sac sur l'épaule, la tête prise dans leur fichu noir... En Périgord Noir, un enfant Jésus tournant la tête et vagissant falsait crier au miracle vers 1815. Elles n'ont pas toutes disparu, ces crèches, dont une horlogerie réglait les mouvements, du son d'un orgue de Barbarie…

Un véritable mystère de la Nativité joué par des êtres humains et non par des poupées, était représenté jadis dans les églises du Sud-Ouest. Voici le Béarnais méfiant comme pas un ! il ne veut pas croire à la Bonne Nouvelle, “léchem droumi” 

En Gascogne :

Quand les pâtres l'ont su.

Qu'il était un, qu'il était nu, 

Touto la neït, n'un courrut. 

Toute la nuit, ils ont couru !


Dans la partie limousine de la Dordogne, réveillés par les anges, ils hésitent à quitter leur lit ! La nuit est noire, les ruisseaux débordent... Seul un berger se décide. “Le cœur bondissant d'amour, fait sauter son corps par-dessus buissons, fourrés et wallons”!
- Pendant ce temps, notre Béarnais se demande toujours :

Et qué quaou lic” ? Voyons, mon brave, ce qu'il faut faire ! Mais vous mettre en route, vous aussi Écoutez le clip-clap des sabots qui martèlent gaiement le sol durci par le froid. Ce sont les caravanes paysannes qui vont, empressées et bruyantes, vers le nouveau-né...

Marchons de ce pas.

Ne nous arrêtons pas

Enguirlandons nos houlettes 

De fleurettes

Les musettes

Siffleront toute la nuit en l'honneur 

De l'Infant !

Certains, cependant, s'étonnent. N'aurait-il pas été plus simple, plus normal qui vienne au monde au coin d'un louca béarnais ? Et le berger Landais va dire à Jésus :

Qui l’aurait jamais dit,

Puisque Vous deviez naître, 

Que Vous n'auriez pas choisi 

Lou castet de Bidache ?

.

En Bigorre, en Béarn, la jeune mère la plus édifiante de la paroisse représentait la Sainte Vierge. Elle allait se placer dans le chœur avec son tout-petit: un rôle de tout repos à côté de celui de l'ange annonciateur de la Bonne Nouvelle. C'était un garçonnet en surplis, avec des ailes de toile plissée. A l'aide d'une corde et d'une poulie, on l'élevait dans les airs, assis sur une chaise ou un tonneau, glissant du chœur jusqu'à la tribune où chantaient les bergers !

Dans la partie poitevine des Charentes, longtemps dévastée par le léopard britannique, certain curé adressa à Jésus cette prière :

Fais-nous avoir victoire aux Anglais, 

Garde de mal le noble roi François...

En Limousin, on était plus pratique : 

Chassez les percepteurs qui sont tous farcis de rèles. 

Faites qu'ils en perdent le moule pour cette année et pour toujours

On ne saurait trouver prière plus d'actualité…

La messe de minuit s'achevait dans la pompe des grandes fêtes. Sous le porche. les caravanes de paysans se reformaient à la lueur des lanternes. Bientôt, on allait dégager la bûche de ses cendres. Bientôt, on allait s'attabler devant le repas, jadis maigre en cette veille de Noël, au cours duquel il était de rigueur de manger la merluscado, la morue à l'ail et à la persillade. Et, sur le chemin de la ferme, on entonnait les vieux chants:

Neït de felicitat, 

Nuit de félicité,

Qui était tant attendue, 

Pour ta bonne venue,

Que le Ciel soit loué !


Claude Terral 

Journal Sud-Ouest 20-12-1964


0 comments:

Anciens articles

Recevoir les nouveaux articles

Nom

E-mail *

Message *