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Jean de La Réoule


JEAN DE LA RÉOULE

Cahiers du Réolais n° 1

La Statue :

Faut-il voir dans le petit guerrier moustachu en uniforme de garde française, qui est de faction à l'angle du Turon et de Ia.rue des Frères Faucher, l’image d’un Réolais héroïque dont le nom exact et les exploits sont aujourd'hui perdus dans l'oubli ?  

C'est l'opinion de Dupin et Gauban ; les deux érudits historiens de La Réole.  Ils rapportent qu'en 1210, millésime gravé sur Ie socle de la statuette La Réole était en guerre avec Agen. Il se peut qu'un habitant de notre ville se soit rendu célèbre par son courage et ses faits d'armes au point que ses concitoyens reconnaissants, lui aient élevé une statue. 

Placée aux limites de la ville, sur la Porte du Turon, face au levant d'où pouvaient venir Ies ennemis,

Cette statuette, en bois, y serait restée jusqu'en 1764, année où la Porte fut démolie.

Comme elle tombait en vétusté, après cinq siècles d'existence, on la remplaça par une autre ; mais si l'on prit soin de reproduire la date de 1210 : et peut-être Ie socle lui même ; l'image nouvelle fut celle d'un soldat de l'époque sans que l’anachronisme parût choquant, 

    Depuis lors Jean de La Réoule, en son bel habit bleu, surveille la route d'Agen, pique en main et tricorne au chef.  


Je possède un petit pot en céramique :
réalisé par :
Denise Parouty :
Denise Parouty :

Aucune pièce de nos archives, aucune tradition locale qu’un chercheur comme Michel Dupin n'eut pas manqué de recueillir, n’a gardé le souvenir du soi-disant héros réolais.
Aussi est-on porté à se demander s'il ne s'agit pas d'un personnage imaginaire, comme semblerait indiquer par ailleurs son prénom sl commun, quelque cousin des légendaires Jean de Nivelle ou Jean de Ia Lune ? 

La vieille statue de bois primitive fut-elle placée sur la route du Turon en commémoration d’un fait d’armes ? Était-ce plus simplement une quelconque image, très antique, fixée sur la muraille lors de sa construction, et baptisée Jean de la Réoule par les habitants pour donner un visage et un corps au personnage de la chanson ?
On pense à la tête du Moyssac qui orne la façade de la vieille église de Moissac, et au buste de cette “Dame Carcas” si peu historique à l'entrée de la Cité de Carcassonne ... 

En l'absence de documents, il est impossible de choisir parmi des hypothèses diverses: Jean de La Réoule continue sa garde séculaire et ne se soucie point de savoir si le secret de son existence sera ou non percé un jour.

La  Chanson :

Réel ou imaginaire  nous retrouvons Jean de la Réoule dans une chanson très ancienne ...et très gaillarde.  Il ne s’agit plus cette fois d’un héros légendaire, statufié par ses concitoyens, mais plutôt d' un personnage un peu naïf, mari infortuné et dont chacun se gausse.

Jean de La Réoule” est ce qu’on appelle une “chanson de ville”, ou chanson particulière à une communauté urbaine, créée par ses habitants et complément habituel de toutes les manifestations collectives de la vie publique.

Elle rentre par certains côtés dans le cycle des compositions populaires portant sur des types un peu ridicules ou singuliers, mais sympathiques cependant. 

L’air est entraînant, les paroles alertes et légères tel qu'il nous a été transmis,

Le texte en est certainement incomplet. Le premier couplet, sans rapport avec les suivants, devait  appartenir à une version primitive, - chanson de marinier, très probablement - série de strophes où Jean de la Réoule faisait des réponses plaisantes ou grotesques aux questions saugrenues qui lui étaient posées. 

Dans cette version n’à été conservée qu'une strophe, la première sans doute, puisqu'on se rappelle toujours plus facilement le début d'une chanson, et l'on a brodé sur les autres strophes des variations qui ont complètement modifié l'ensemble Ia préférence pour cette deuxième version, l'oubli presque total de la première, dut être favorisé par un fait local, sans qu’on puisse aujourd'hui en trouver trace. 

Mais il est facile d’imaginer quelque personnage connu de tous, un peu “idiot-de-village”, que l’on prenait plaisir à faire enrager en lui serinant ces couplets moqueur ; peut-être un ménage, mari benêt, femme simplette, dont une aventure fit du bruit en son temps fût pour les réolais le prétexte de plaisanteries nombreuses. 

Que nous voilà loin du vaillant guerrier auteur d'exploits étourdissants !


La première strophe de Ia chanson est la suivante :

Jean de ta Réoule  moun amic, 

A quale hore soun les mareyes? Bis

À queste neyt; a mige-neyt,

A toute hore, à toute hore

À toute hore de la neyt.


Jean de Ia RéoIe, mon ami, 

A quelle heure sont les marées ? Bis

Cette nuit à minuit.

A toute heure, a toute heure

A toute heure de la nuit.

        On chantait, ensuite :

Jean de La Réoule, moun amic, 

Àh que ta femme est maou couhade  (Bis)

Mène-me la, te Ia couherey,

À l’oumbrette, à l’oumbrette,

Mène-me là, te Ia couherey 

A l‘oumbrette daou perseguey 


Jean de La Réole, mon ami,         )

Ah ! que ta femme est mal coiffée )Bis

Amène Ia moi, je te la coifferai

A I'ombrette a I'ombrette

Amène Ià moi, je te la coifferai

A l'ombrette du pêcher


La femme de Jean de la Réoule était ensuite déclarée "maou clntade" (mal attifée), "maou justade" (mal ajustée) "maou  jupade" et "maou caoussade" et on insistait toujours, dans les mêmes termes, auprès de son mari, pour lui faire confier à un autre Ie soin de mieux l’attifer, l'ajuster, lui arranger sa jupe ou ses chaussures. 


À Ia strophe :  “Ah I que ta femme est rnaou couhade” (mal coiffée) , la malice populaire eut vite fait, vers la fin du XVIe siècle vraisemblablement, de lui substituer une variable “maou couyade” (mal...besognée), d’où est sortie une troisième version, qui est la version actuelle 


Jean de La Réoule moun amic,
Ah ! que ta femme es maou couyade ! (Bis) 

Mène me la, te la couyerey,

A I'oumbrette, à l'oumbrette 

Mène-me la te la couyerey

A l'oumbrette daou perseguey.


Jean de La Réole mon ami,

Ahl que ta femme est rnal... besognée I

Amène la moi, je la besognerai,

A l’ombrette, à l’ombrette

Amène la moi, je la besognerai,

A l’ombrette du pêché



II

Puisque te trobes décidat,

en douman matin, a boune hore,

Te la couyerey a ton agrat

À toun plesi et à la mode  

En puy li baillerey lou plec

De Ia couyure, de la couyure,

En puy Ii baillerey lou plec

De Ia couÿure daous Réoules.


Puisque te voilà décidé

Viens demain matin de bonne beure,

Je te la besognerai à ton gré,

A ton plaisir et à la mode,

Et puis je lui donnerai le pll

De la besogne, de la besogne

Et puis je lui donnerai le pll

De la besogne des Réolais.


III

Tu quès un guerrier distinguat,

Counserbe lou fruyt de ta femme i

Hey tchaou que ne s'abortii pas

Qu'hares une perte bien grande I

Car ère te pourte, un gouyat,

Qu hara la glouare, qu'hara la glouare,

Car ère te pourte un gouyat

Quthara la glouare de la cioutat


Toi qui est un guerrier distingué 

Conserse le fruit de ta femme

Prends garde qu'eIle n'avorte pas

Tu ferais une bien grande perte.

Car elle porte un enfant

Qui fera la gloire, qui fera la gloire 

Car elle porte un enfant

Qui fera la gloire de la cité


IV

A Ia naissance de son fils,

Quand on célèbrera le baptême ,

Fais orner l'église de lys,

Marie le avec une reine

Et désormais la paix règnera

Dans La RéoIe, dans La RéoIe

Et désormais la paix règnera

Dans La RéoIe, tant qu'il vivra.



À la nechense de soun hill

Quand celebreran lou' bateyme,

Hey ourna Ia gleyze de Iis,

Maride Iou d'amb une reyne,

Et la peis per lors règnera

Deden La RéouLe, deden la Réoule,

Et la peis per iors règnera

Deden Ie Réoule tent quc bioura



Avec les mariniers qui la chantaient en manœuvrant leurs bateaux, cette chanson remonta La Garonne et fut transportée bien loin des limites de notre ville.

 Nous la retrouvons d'abord à Toulouse où, jusqu'à la Révolution on l'entendait couramment dans les rues, à la rentrée des étudiants et des magistrats vers la mi-octobre. On raconte qu'un membre de Ia famille Seguin, de La Réole, ayant acheté, au début du XVIII° Siècle une charge de Capitoul à Toulouse, fut accueilli, le jour de son entrée en fonction, par l'orchestre de Ia ville, jouant Jean de La Réoule - preuve que cet air était déjà connu et populaire en Languedoc à cette époque.

Plus on s'écarte de son point de départ, plus grandes sont les altérations que subit le texte. 

En languedocien, le premier couplet devient :

Jan de La Rioule es arribat

Amb' uno grosso troupo d'azes,

D'azes, Messlus, touts cargats

De canouyés et de meynades,

D'azes, Messius, touts cargats

De canouyés et d'abouecats.


Jean de Ia RéoIe est arrivé

Avec un grand troupeau d'ânes,

D’ânes, Messieurs, tous chargés

De chanoines et de filles

D’ânes, Messieurs, tous chargés

De chanoines et d'avocats.


Dans le Lodévois, ce couplet est devenu :

Jan de Ia Riula est arrivat 

Âmb’ una carga de balajas. 

- Quan les vendès ? - Quinze dignès 

- Soun trop cadas, soun trop cadas !

- Quan Ies verdès ? - Quinze dignes !

- soun trop cadas !  - Causissès.  


Jean de La Réole est arrivé

avec un chargement de balais.

Combien les vendez-vous ? Quinze deniers,

Ils sont trop chers, Ils sont trop chers 

Combien les vendez-vous ? Quinze deniers

Ils sont trop chers  - choisissez l


Peut-on voir là autre chose qu'un dialogue entre marchands de balais. 

La fabrication des balais fût toujours une importante industrie réolaise et un acheteur éventuel qui s'amuse, pour obtenir un prix meilleur, à déprécier ce qu'on lui offre ? Là encore, la déformation locale doit provenir de la présence d'un individu particulier qui a servi de cible à l'esprit satirique des populations.

Au contraire, Ie second couplet, concernent Ia femme du mari berné est conservé presque intégralement dans une version toulousaine, et reproduit même dans les vers 5 et 6 la version réolaise Ia plus ancienne :


Jean de Ia Rioule moun enfant,

Hae ta femo mal coufade 

Baillo-la mé, La coufereï, 

A touto ouro à touto ouro,

Baillo-la mé, la coufereï,

A touto ouro de la neït.


Jean de Ia RéoIe, mon enfant,

Tu as ta femme mal coiffée ;

Donne-la moi, je te la coifferai

A toute heure, a toute heure,

Donne-la moi, je te la coifferai

A toute heure, de la nuit,


De Toulouse, Ia chanson gagna les localités voisines, et traversa même tout le Bas-Languedoc, pour atteindre, par Castres la région de Lodève et de Clermont l'Hérault, 

Du Bas-Languedoc, par déformations successives, elle atteint le Roussillon : de nos jours encore à Perpignan, Céret, Prades et les villages d'alentour, on clôture les danses, les jours de fête, par une sorte de quadrille ; parmi les  morceaux exécutés à cette occasion, on peut entendre un En Jean del Riu qui n'est autre que notre Jean de La Réole la musique est là même, mais les paroles sont réduites aux huit vers suivants qui composent du reste  des variantes :

En Jan del Riu n‘es arrlbat 

Amb una carga de monines; 

En Jan del riu es arribat

Amb una carga d’escarbats. 

N’ha comprat un biolon 

Per fer balla : les ninetes, 

N’ha comprat un biolon, 

Per fer ballar les minyons. 


Jaa del Riu (Jean de ]a Réole) est arrivé

Avec  un chargement de singes ;

Jan del Riu est arrivé

Avec un chargement d'escargots 

il a acheté un violon

Pour faire danser les jeunes filles,

Il a acheté un violon

Pour faire danser les garçons.

Le second vers est parfois “Amb un pot de confitura*” ou “Amb una bota de vin rancit”  (une bouteille de vin rance) et au lieu du quatrième vers, on peut dire : “Amb lou pot de rasinat”  (Le pot ds raisiné) ou  “Amb una bota da muscat” (une bouteille de vin muscat) 

 (*) Elle est citée, dans les  chants populaires du Pays castrais d’Anacharsis Combes (Castres 1862),

Au cours de ses voyages en Guyenne, Henri IV remarqua ces couplets. populaires et voulut les apprendre. Il avait une prédilection pour cette chanson de Jean de la Réoule qu'il fredonnait souvent dans les veillées de camp, “Lou nouste Henric” qui aurait mérité pour bien des raisons le surnom de "père de son peuple" devait trouver une saveur particulière à ces paroles lestes et légères.
On raconte que Sully se permit un jour de lui adresser des reproches touchant ses aventures amoureuses. Le roi écouta gravement son ministre, d'un air plein de repentir, puis quand Sully eut terminé, Henri se leva d'un bond, pirouetta sur ses talons et sortit de la pièce en faisant claquer les doigts et en chantant :
Jean de la Réoule, moun amic, Ah ! Que ta femme es maou couyade...!
On dansait autrefois sur cet air des rondeaux populaires, surtout pour la fête des bateliers. Le fifre le jouait pendant la Procession sur l'eau, le jour de l'Ascension et il était assez piquant d'entendre cet air gaillard au cours d'une cérémonie religieuse, mais le clergé était censé ignorer les paroles ou ne pas comprendre le patois.
Lorsqu'en 1814 les Anglais occupèrent La Réole, la musique de l'un des régiments joua “Jean de la Réoule” en entrant dans la ville. Il est à supposer qu'ils avaient recueilli cet air au cours de leur marche depuis Toulouse et que, séduits par ses notes allègres ils l'avaient adopté et exécuté pour faire plaisir aux Réolais,
Nous trouvons "Jean de la Réoule" dans sa version locale (3e version) parmi les chansons populaires recueillies par Béranger (1833)
"Jean de La Réoule" est aujourd'hui délaissé dans le pays où cette chanson fut créée.
Orchestré au siècle dernier par Jeanty Lanoire, chef de la Philharmonie, on pouvait l'entendre à chaque fête de la ville avant la Grande Guerre, mais comme tant d'autres choses, les sociétés de musique ont disparu.....
Un fifre essaya bien de jouer cet "hymne national des Réolais" pendant la Procession sur l'eau, en 1948 et 1949 en vain, car ses notes furent presque aussitôt couvertes par un haut-parleur placé sur la rive. 

Fallait-il en cela une indication et le passé doit-il s'écarter entièrement pour faire place à un envahissant modernisme ?
Laissera-t-on se perdre dans un oubli total les paroles et la musique de cet air si populaire, qui cependant porta bien loin la renommée de La Réole et que ne dédaignait pas chanter le plus aimé de nos rois. 

. Lucien Jamet 1950


Cahier numérisé par Jean Pierre Morineau (GAHMS), transcodé par Alain Lamaison (VP2R), corrections Alain Lamaison


Commentaires de Michel Balans

    Dans le film de Jean Saubat (hélas muet)  sur
la procession de l'Ascension sur la Garonne, on voit la félibrée, le
curé Pierre Grenié et un trio de flûtistes dont je fais partie avec
Alain Barbe, Dany de St-Denis. Nous avions répété chez Jeanne Barbe prof
de piano à côté du presbytère. Nous jouons Jean de la Réoule en continu
de l'église au bateau et sur le bateau.

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