( Cahiers du Réolais n° 3)
Vers 1845, Lamarque de Plaisance, correspondant pour la Gironde de la commission des Monuments Historiques, notait en un petit recueil : " Usages populaires de l’Ancien Bazadais ", le cérémonial en usage autrefois à l’occasion des diverses fêtes de famille telles que fiançailles, mariages, baptêmes, etc. L’ancien Bazadais comprenait autrefois à peu près l’arrondissement de La Réole, notre Bulletin paraît tout indiqué pour perpétuer le souvenir de ces vieilles traditions presque entièrement disparues de nos jours.
Avec le lit, quelques aunes de toiles, un bacherey (vaisselier) orné de douze fourchettes en fer, douze en laiton, douze d’étain, douze assiettes de faïence à fleur, une armoire en cerisier ou un coffre, la jeune fille se mettait en ménage. Parfois, elle apportait moins encore.
La fortune du futur n’était pas plus considérable. Souvent, il n’avait que ses bras.
Il semble qu’en présence d’une dot aussi modeste, un contrat de mariage devenait complètement inutile, cependant l'usage était de s’y conformer. Le jour des fiançailles précédait de peu celui des noces. Au jour fixé, les futurs époux, accompagnés de la famille et quelques amis, arrivaient chez le Notaire.
Les conventions étant rédigées, ainsi que l'inventaire détaillé des meubles et objets composant la dot, au moment où le Notaire va apposer sa signature, il est arrêté par les chants qui commencent, de la part des amis de la fiancée :
Boute noutari sou papey blu Mets Notaire sur le papier bleu
Que ne la batti pas cop ségu Qu'il ne la batte à coup sûr
Boute noutari sou lou papey Mets notaire sur le papier
Que ne la batti pas jamey Qu'il ne la batte jamais
Cette observation a excité la susceptibilité des amis de l’époux qui s’empressent de répliquer
Lou noutari qu’à bien manquat Le notaire a bien manqué
De naougé sou contrat De n'avoir pas marqué sur le contrat
Ce que lou bouc porte sou cap Ce que le bouc porte sur la tête
La cérémonie des fiançailles se terminait sur ces couplets
( à suivre ) A. TOUZET
Folklore réolais (suite) : le Mariage
( Cahiers du Réolais n°6 )
Le lit
Quelques jours s'écouleront entre la signature du contrat et la cérémonie du mariage. On en profitera pour transporter le lit de la fiancée chez le futur époux, ce qui donnera lieu à des réjouissances auxquelles prendront part tous les jeunes gens et jeunes filles du voisinage, amis des fiancés.
On devine que le jour du mariage n'est plus éloigné à certaines familiarités que se permet le jeune homme: ne l'a-t-on pas surpris, en effet, défaisant le cordon du tablier de sa belle ou tirant sur les pans de son foulard de tête. Il est temps d'accomplir les cérémonies rituelles.
Vers la fin de la journée, quand les travaux des champs sont terminés, on amène une charrette à bœufs devant la maison de la fiancée. Elle est recouverte d'un drap blanc, supporté par des cerceaux et décoré de feuilles de laurier épinglées en croix, de fleurs, de branches de buis et de myrte. Sous ce dais, on dispose la literie. Le meuble lui-même est fourni par l’époux. L'aiguille de la charrette, ornée d'une quenouille aux rubans de vives couleurs, témoigne du talent de fileuse de la future et de ses qualités de bonne ménagère.
Les jeunes filles s'installent dans la charrette sur le devant, les jeunes gens l'escortent à pied, et dès que le cortège s’est mis en marche, un chant plaintif s’élève :
Nobi, diourès bien ploura : Fiancée, tu devrais bien pleurer
Quas lou toun leyt que li s’en bay Voilà ton lit qui s'en va
Après avoir répété ces vers sept ou huit fois, on enchaîne :
Lou leyt de la nobi à l’air bay Le lit de la fiancée va à l'air
Lou ben des mounts lou eyt ana Le vent des monts le pousse ( le fait aller )
Lou leyt de la nobi à l’air bay qu’ès Le lit de la fiancée est à l'air
Puis, s’adressant à chacun des objets qu’elles accompagnent, les jeunes filles ( les garçons n’ont d’autre rôle que de conduire l’attelage ) :
Broyes courtines, broy matelas Belles courtines, beau matelas
Es bien doumatge qu’anguis ount bas Quel dommage d'aller où tu vas
Broye perpunte, broy matelas Belle couverture ( couvre-pied ), beau matelas
Es bien doumatge qu’anguis ount bas Quel dommage d'aller où tu vas ...
La couette, la paillasse, les draps de lit rejoignent ainsi tour à tour cette apostrophe. En arrivant près de la maison, avec une intention plus marquée : la présence du jeune homme paraît exciter la verve des chanteurs :
Oubritz la porte nobi d’engan Ouvrez la porte, époux de cette année
Aqui lou leyt que bous portan Voici le lit que nous portons
D’aous linçous blancs coumo papey Des draps de lit blanc comme du papier
Poten en d’aquet gardouley Nous portons à ce dégoûtant
Malgré cette apostrophe peu courtoise, l'époux vient sans rancune ouvrir lui-même la porte et préside à la réception et à l’installation de la dot dans la chambre nuptiale, dont il a eu le soin d'aplanir le sol en terre battue, car il n'y a ni carrelage, ni plancher.
Le bois du lit est déjà en place, un double rang de sarments va servir de support à la paillasse, sur laquelle les jeunes filles disposent le matelas, la couette, les draps et enfin la couverture en chantant:
Lou linçous de Fleurtette Les draps de Fleurette
Lou tour dou leyt Le tour du lit
Nobi, tes amourettes Épouse, tes amourettes
Perdes aneyt Tu les perds aujourd'hui
Les amis de l’époux sont venus assister à l'arrivée du lit. La cérémonie terminée, garçons et filles se mettent à table. On répète les chansons déjà citées, puis les jeunes filles remercient leurs hôtes en ces termes :
De bounes gens nous an troublat nous an baillat De bonnes gens, nous avons trouvé,
Boun pan, boun bin, ….. Bon pain, bon vin, ils nous ont donné
Sous complimens que nous an eyt Les compliments qu'ils nous ont faits
Nous an boutades à la neyt Nous ont mené jusqu'à la nuit
Les jeunes gens chantent à leur tour:
Aqui ya pan, aqui ay bin Ici il y a du pain, ici il y a du vin
Faou damoura dinca"ou matin Il faut demeurer jusqu'au matin
Aqui ya pan, aqui ay bin Ici il y a du pain, ici il y a du vin
Faou damoura dinca douman Il faut demeurer jusqu'à demain
Peu de chose suffit pour les contenter, le repas est frugal, mais le vin réchauffe. Ils se retirent assez tard dans la nuit et vont faire le tour du village ou des métairies du voisinage. Arrivés devant les maisons, ils interpellent ainsi les habitants :
Sortis dahors lous de l’oustaou Sortez gens de la maison
L’ombre dous tioules bous ara maou L'ombre des tuiles vous ferait mal
Point de réponse, les habitants se tiennent enfermés chez eux. Seconde invitation de la part des jeunes gens :
Sourtis dahors lous de deden Sortez gens de dedans
Si nous aout"aren sourtiren Si nous y étions, nous sortirions
Toujours même silence, troisième attaque :
Sourtis dahors lous ahumats Sortez, les enfumés
Beyrats passa lou bien couhats Vous verrez passer les bien coiffés
Les " enfumés " prennent cette épithète pour une injure et ils se décident à sortir et répliquent en ces termes :
De ma cahute suy sourtit De ma cahute, je suis sorti
Ey bis passa p… et bandits ! J'ai vu passer p... et bandits !
Après échange de quolibets, voire d'injures, le calme se rétablit et chacun regagne son logis.
(à suivre )
Folklore local : le Mariage (suite)
( Cahiers du Réolais n° 7)
La couronne
La veille de la noce, la nuit venue, les jeunes filles vêtues de blanc décorent avec soin une petite corbeille; elles la garnissent de rubans, de boutons de rose, de myrte, de buis, de laurier. Contre les parois sont symétriquement rangées une douzaine de bougies; au milieu reste une place vide pour la couronne. Bleue, verte ou rouge, blanche presque jamais, elle est ornée de petits brillants d'acier fixés par une tige mobile qu'agite le souffle le plus léger. Elles vont la porter en grande pompe pour faire hommage à leur amie. Mais cet honneur n’est pas accordé à toutes les épouses : il faut en être digne et l'avoir méritée. On chante en se rendant chez la fiancée :
Disen que soun naou mille On dit que nous sommes neuf mille
Pr’accompagna couroune Pour accompagner la couronne
Aouen, aouen, aouen cabalerie Nous avons, nous avons nous avons de la cavalerie
La daouan Elle est devant nous
En effet, les cavaliers revêtus de leurs plus beaux habits, ouvrent la marche, d’ailleurs assez bruyamment, car la gaieté déborde : au deuxième couplet, ils ne sont plus que huit mille. Au troisième sept mille, puis six mille, au neuvième et dernier couplet mille seulement, tandis qu’en réalité, elle se grossit sans cesse de nouveaux arrivants qui veulent assister à la remise de la couronne et prendre part au modeste repas qui suivra.
Devant la porte de l’épouse, le cortège s'arrête et chante en cœur, mais en les modifiant, les paroles qu’on a déjà adressées à l’époux en lui apportant le lit :
Oubrits la porte nobi d’engan Ouvrez la porte, épouse de cette année
Qui la couroune que bous pourtan Voici la couronne que nous vous portons
L'épouse ouvre la porte. Elle est vêtue de blanc et s’attend à l’honneur qui lui est fait, toute heureuse d’en être l’objet. Elle-même a précédemment participé à la même cérémonie envers quelque compagne. Les chants continuent :
Broye couroune nous aout’ pourtan Belle couronne, nous vous portons
Si Broye floura nous baillen pas Si un beau bouquet, on ne vous donne pas
Broye couroune nous ban tourna Belle couronne, nous allons remporter
Et l’épouse qui tient à avoir la couronne promet de donner " broye flour ", c’est à dire un brin de buis ou un bouquet attaché avec un long ruban. Plus tard, les fleurs artificielles détrôneront les fleurs des champs.
Après ce préambule, le couronnement commence : les douze petites bougies sont allumées, l'épouse s'assied sur une chaise. La couronnelle ( c’est à dire que l’on nomme la jeune fille qui portait la corbeille, place la couronne sur la coiffe de l’épouse et chante en attachant la première épingle :
Boutan l’y couroune Mettons lui la couronne
La que suon pay l’y doune Que son père lui donne
Tap bien l’y esta Elle lui va si bien
Lous eils de la noubiette Les yeux de la petite épouse
Diouren ploura Doivent pleurer
Après quoi, chaque jeune fille met son épingle, puis les garçons ensuite. Tous chantent le même refrain. L’époux lui, ne chante pas, arrivé en cachette, pour jouir du bonheur de sa prétendue, il attache la dernière épingle, mais ne peut vraiment pas l’inviter à pleurer à cause de lui.
Si l'épouse a les larmes faciles et le cœur sensible, elle verse quelques pleurs. Si non, elle se tamponne les yeux avec un mouchoir et cela suffit. La cérémonie est terminée, on lui ôte la couronne et le souper peut commencer.
( à suivre ) A. TOUZET
Folklore Réolais (suite)
( Cahiers du Réolais n°
La Réole
Jour de la noce - toilette de la mariée
La toilette qu’elle revêtira le jour de sa noce est pour chaque mariée l’objet de la plus grande attention. On la prépare longtemps à l'avance. À la campagne, une ou plusieurs chemises, une coiffe , un mouchoir donné par la marraine, une paire de souliers, cadeau du parrain, voilà le trousseau. Ce dernier, du reste, sera conservé avec un respect quasi religieux : devenue mère de famille, l’épouse ne se servira de ses vêtements de noce que les jours de grande solennité et marchera le plus souvent nu-pieds, en portant ses souliers à la main, pour les faire durer plus longtemps.
L'époux ne se ruine pas en cadeaux. Il ne fournit que l'anneau nuptial, de cuivre jaune ou d'argent si ses moyens le permettent. Quant au reste de l’habillement ( " de cap à pé " selon la formule ) les parents de l’épouse sont tenus de lui en faire hommage.
Quoique simple, la toilette de la mariée est assez longue. Ses compagnes viennent y présider et lui servent de dames d'atours. On commence en chantant :
Habillan la nobi, habillan la bien Habillons l'épouse…...
Habillan la nobi, questi tan bien Habillons l'épouse qu'elle soit bien
Un jupon de laine rouge est recouvert d'une jupe indienne. Une brassière aux formes collantes " lou juste ", un tablier d'escot ou de staff vert ou gros bleu; autour du cou, un mouchoir rouge éclatant, jaune serin ou écarlate et une collerette de gase ( gaze ? ), une coiffe de mousseline fortement empesée, étroite dans le bas et s’élargissant en montant à une hauteur prodigieuse et dont le sommet s’arrondit en volute comme un cimier de casque de dragon, complètent cet ajustement qui a demandé tant de soins.
Ces vêtements sont confectionnés par un tailleur. Lorsqu’il vient remettre à la mariée les chefs d’œuvre de son art, on chante :
Habille la nobi, taillur leougé Habille l'épouse, tailleur léger
Habille la nobi, de cap à pé Habille l'épouse de la tête aux pieds
Le parrain met la dernière main à la toilette de sa filleule en lui attachant la boucle de sa ceinture. Pendant l’opération, les jeunes filles chantent en riant :
Boucle la nobi, peyrin joulit Ceint l'épouse, beau parrain
Boucle la nobi, daou bout daou dit Du bout des doigts
Boucle la nobi, leougé
Boucle la nobi, daou bout daou pé etc.... etc...
Et si le parrain s’acquitte gauchement de cette tâche, les assistants ne lui épargnent pas les lazzi.
La couronne seule manque à la toilette. La couronelle qui, la veille, l’avait placée sur la tête de l’épouse, l'attache maintenant sur la coiffe, en répétant les couplets déjà cités :
Boutan li la couroune, etc...
Puis vient la description de la couronne :
Aqueste couroune qu’a naou brillans Cette couronne a neuf brillants
Cade brillan qu’a soun peou rous Qui ont chacun un fil d'or
Aney la nobi a sous amous Aujourd'hui l'épouse a ses amours
C'est le moment des larmes. Tout le monde doit pleurer. Le père d’abord :
Nobi, toun paï te ploure, Épouse, ton père pleure,
Tan per et ere boune Tant pour lui tu étais bonne
Adare t’en bas ! Maintenant tu pars
Et ploura, nobi, ploura, Et pleurer, épouse, pleurer
Ne podes pas Tu ne peux pas
La mère, les frères et les sœurs pleurent à leur tour. L’épouse seule n’a pas versé de larmes. Elles viendront seulement, quand elle donnera à sa famille la " liougère ", le bouquet orné de rubans. Elle fleurit d’abord son père, tandis qu’on chante :
Espie, nobi, coume pouyras Voyons, épouse, comment
Flouri toun pay san ploura Tu fleuriras ton père sans pleurer
Ta tchic que l’aymes, pouyras pas ! Si tu l'aimes, tu ne pourras pas!
Comme les larmes s’obstinent à ne pas couler, les chanteurs continuent :
Beleou qu’à toun pay pouyras À ton père, tu pourras peut être
Mes à la may, ne pouyras pas ! Mais à ta mère, tu ne pourras pas
L’épouse fleurit sans pleurer son père, sa mère, ses parents et amis ; elle les embrasse et reçoit en échange une petite offrande destinée à payer les frais de noce. Voici l'instant solennel : l’épouse va franchir le seuil de la maison. Lorsqu’elle y reviendra, elle ne s’appartiendra plus. C’est alors qu’elle s’attendrit. Quand ses amis se mettent à chanter :
Espie, nobi, coume pouyras
Passa la porte sans ploura !
L’émotion l’emporte et elle verse enfin des larmes abondantes.
La nobi a les pies mouillats L'épouse a les pieds mouillés
La rous ne les a pas trempats, La rosée ne les a pas trempés
Mais les larmes qu’a toumbat. Mais les larmes qu'elle a versées
Après quoi, ayant essuyé ses larmes vraies ou fausses, la mariée prend la tête du cortège qui se dirige vers l'église.
Jusqu’à la fin du XVIII° siècle, la bénédiction religieuse était le seul lien qui unissait les époux. Le mariage civil, institué en 1792, ne comporta, par la suite, aucune cérémonie ayant un caractère local ou traditionnel.
( À suivre ) A.TOUZET
Folklore Réolais (suite)
( Cahiers du Réolais n° 9 )
Départ pour l’église
L’épouse franchit dans la tristesse le seuil de la maison paternelle. Les premiers chants qu’on va entendre ne sont pas faits pour la consoler : Nobi, lui dit-on :
Nobi, boune la man saou cap Épouse, mets la main sur la tête
Digues, boun tens oun es anat ? Dis, bon temps, où es-tu parti ?
La man saou cap, lou pé saou fou La main sur la tête, le pied sur le four
E digues adiu à tous bets jous Et dis adieu à tes beaux jours
(Les deux derniers vers ne sont guère que des chevilles. Ils sont là pour le " retruc" )
Le cortège se met en marche vers l'église, précédé de cavaliers, comme pour la cérémonie de la couronne, et au chant du même air : Disen que soun naou mille, etc. Ces couplets se répètent plusieurs fois, mais toujours avec quelques variantes, ainsi on passe de neuf mille à huit mille, puis à sept et ainsi de suite jusqu’à mille. Puis, c’est avec le père et la mère que les invités vont à la noce, avec les frères, les sœurs, les oncles, etc., en ayant soin d’augmenter le nombre des parents suivant la distance à parcourir de la maison à l’église.
Immédiatement après les cavaliers, des jeunes filles vêtues de blanc, précédées par un violoneux, portent la " juncade " - la jonchée ( seul usage ayant subsisté jusqu’à nos jours ). Elles répandent la " juncade " composée de feuilles de laurier, de buis, de fleurs et de boutons de roses, en chantant ce quatrain que Jasmin a recueilli dans un de ses poèmes :
Touts lous camis diouren flouri Tous les chemins doivent fleurir
Tan broye nobi bay sourti Si belle épouse va sortir
Diouren flouri, dieuen grana Doivent fleurir, doivent grainer
Tan broye nobi bay passa Si belle épouse va passer
L'épouse vient ensuite, en toilette de couleurs vives, au milieu d’un groupe d’invités. Au XVIII° siècle, le costume de la mariée était, partout en France, multicolore avec prédominance de rouge. Ce n'est que vers la fin du XIX° siècle que ces couleurs ont été remplacées par le blanc.
À la même époque apparaît le voile, blanc lui aussi, d’abord très long, puis de plus en plus court, et qui tend aujourd’hui à disparaître.
La jeune fille donne le bras à sa marraine, si le temps est beau. S'il pleut ou si les chemins sont boueux, elle est à cheval, portée en croupe par son parrain. Des coups de fusils retentissent : c'est l'un des usages le plus caractéristique du cortège de noce à l'aller comme au retour. ( complètement disparu depuis la fin du XIX° siècle ), le bruit étant un élément essentiel des noces. Les coups de fusil, comme la sonnerie des cloches, étaient " une manifestation de publicité nécessaire pour situer un phénomène social restreint dans la vie sociale commune ". ( Van Gennep )
Quand le cortège approche de l'église et que le carillon des cloches se mêle au bruit de la mousqueterie, on chante :
Besin la gleyze Nous voyons l'église
Noun pas l’aouta Et pas l'autel
Ou la nobi bay s’agenouilla Où l'épouse va s'agenouiller
Besen la gleyze, l’aouta luzis Nous voyons l'église, l'autel luit
Ou la nobi bay dise : oui Où l'épouse va dire oui
L'époux arrive de son côté, accompagné de ses parents et de ses amis. Il a reçu de son parrain ses souliers de noce et de sa marraine la chemise et la cravate.
L'épouse donne un bouquet blanc à l'époux, qui la fleurit à son tour et l'embrasse. Puis le cortège entre dans l'église.
(à suivre ) A. TOUZET
Folklore Réolais - Le mariage (suite)
( Cahiers du Réolais n° 10 )
Le cortège est parvenu à l’entrée de l’église, les chants cessent. Le silence est cependant interrompu par le carillon des cloches et aussi le bruit retentissant de la fusillade, manifestation de la joie générale.
L'encens répand son parfum près de l'autel. Les époux avancent triomphalement, conduits par leurs parrains et marraines jusqu'à leur prie-Dieu. Les parents, les amis, tous les invités se groupent autour des époux. Les jeunes filles restent seules devant la porte. Avant de pénétrer elles-mêmes dans le saint lieu, elles font retentir les airs de ces touchantes paroles :
La Bierge es couronnade La vierge est couronnée
Dessus l’aouta ; Sur l'autel ;
Pren garde à tu, noubiette Prends garde, épouse
De l’offensa De l'offenser
Si tu l’as offensade Si tu l'as offensée
Daouan l’aouta, Devant l'autel,
Nobi, ta coulerette Épouse, ta collerette
Que bay cambia Va changer de couleur
Une semblable métamorphose ne se produit pas. Les jeunes filles n’ont donc pas eu tort de croire à la vertu de leur compagne ; elle est digne, à tous égards, de la couronne qu’elle a reçue.
Les jeunes filles, entrées à leur tour, reprennent en chœur, sur un air lent et religieux, ce dernier couplet, consacrant par ce chant de circonstance, l’acte important qui va se dérouler et modifier totalement la vie des jeunes gens :
Espouset, Espousette, Époux, épouse
Bailllats bous la manette, Donnez vous la main
Per un moment Pour un moment
Arats qu’un co, qu’une ame Vous ne ferez qu'un cœur, qu'une âme
Aou Sacremen. Au sacrement.
(à suivre ) A . TOUZET
Folklore Réolais - Le mariage religieux (suite)
(Cahiers du Réolais n° 11)
Après ce dernier couplet, dans un profond silence et un grand recueillement, on présente au prêtre, sur un plateau, le treizain et l'anneau. Ce treizain est constitué par treize pièces de monnaie d'or ou d'argent, ou simples sous selon la fortune de l'épouse. Le prêtre bénit ces pièces et en garde une pour lui. Les douze autres seront soigneusement conservées par les époux.
La mariée, seule, recevait un anneau. Ce n'est que vers le milieu du XIX° siècle que s'est introduit l'usage d'un second anneau pour l'époux. On y a vu d’abord qu’une façon de montrer la richesse du mari, puis l’échange des anneaux est devenu un geste symbolique.
Après ces préliminaires a lieu la bénédiction nuptiale qui ne comporte aucun caractère d’ordre folklorique particulier et qui est suivie d’une messe solennelle.
Cette bénédiction n’appartenait pas au rituel chrétien primitif, précisément parce ce qu’un acte religieux de ce genre était de coutume chez les Romains : " Aucune loi ecclésiastique n’obligeait les chrétiens à faire bénir leur mariage. La bénédiction était affaire de coutume, de convenances. Elle finit par passer en règle, mais sans jamais devenir une condition de validité ; le mariage est indépendant du rite ". ( D’après Mgr. Duchesne, cité par A. Gennep : Folklore Français ).
Le symbole d’union consacrée est par excellence la bague ou alliance. Il est d’usage universel en France depuis l’époque Gallo-romaine au moins, sinon même antérieurement.
La règle générale, est, qu’après la bénédiction de l’anneau ( celui-ci d’or, d’argent ou de cuivre ), c’est au marié à glisser la bague à l'annulaire gauche de la mariée. La bénédiction confère à l’anneau un caractère sacré, aussi est-il d’usage que la femme ne doit jamais s’en séparer.
Aussitôt après la messe, les époux se rendent à la sacristie pour assister à la rédaction de leur acte de mariage et payer Monsieur le curé. Les invités se sont réunis sous le porche et prennent Monsieur le curé à partie. Ils lui chantent à tue-tête :
Bous remercien Moussu Curé On vous remercie M. le curé
Que n’ats pas eyt arés per moué; Qui n'avez rien fait pour moi,
Moussu Curé lou barbe roux M. le curé à la barbe rousse
Un tchic de messe a dit sous espous ; A dit un bout de messe aux époux,
Moussu curé barbe flourit M. le curé à la barbe blanche
Un tchic de messe nous a dit ; Si peu de messe nous a dit ;
Moussu Curé n’es pas counten M. le curé n'est pas content
Boudré la nobi et mey l’argent, Il voudrait l'épouse et l'argent,
Moussu Curé n’es pas caduc M. le curé n'est pas sot
Boudré la nobi et mey l’escut. Il voudrait l'épouse et l'écu.
Les curés n’ont pas toujours reçu d’honoraires pour les mariages. Moyennant la dîme qui leur était payée, toutes les cérémonies du culte, dans nos contrées du moins, étaient gratuites.
Les époux vont rejoindre le cortège. Dès que le mari paraît, on lui recommande en ces termes de payer le sacristain :
Pague, nobi, lou marguilley Paie, époux, le sacristain
Te hara dicha la nobi darey Il te fera laisser l'épouse derrière
Pague lou, nobi, de boun argen Paie-le, l'époux, de bon argent
Te hara dicha la nobie deden. Il te fera laisser l'épouse dedans.
L’époux paie le sacristain et amène sa femme. Quelques personnes lui chantent :
Pren la nobi gran lourdes Prends l'épouse, grand lourdaud
Pren la nobi are que l’as Prends l'épouse maintenant que tu l'as
D’autres plus polies disent, en parlant de l’épouse :
Soun pay l’a jougade Son père l'a jouée
A la carte birade À la carte retournée
Aou rey de flou Au roi des fleurs (trèfle)
Lou nobi l’a gagnade L'époux l'a gagnée
Aou jog d’amous Au jeu de l'amour
Le mariage se remet en marche dans le même ordre, la cavalerie toujours devant, les jeunes filles répandant des fleurs, les violons " rigaçant " quelque vieil air connu.
Le parrain a cédé son droit à l'époux, qui, monté sur un coursier aux harnais fleuris, porte sa femme en croupe derrière moi.
(à suivre ) A. TOUZET
Folklore Réolais - Le mariage (suite)
( Cahiers du Réolais n° 12 )
Retour à la maison
Les paysans ne sont pas blasés sur le plaisir ; la moindre cérémonie ne manque jamais de piquer leur curiosité, aussi se portent-ils en foule sur le passage du cortège. Si le mariage n'est pas assorti, que l’épouse soit jolie et l’époux un peu disgracieux, ils disent tout haut :
La nobi es broye coume un soureil L'épouse est jolie comme un soleil
Lou nobi es ranci et put acu bieil L'époux est rance et sent le vieux
Si la mariée au contraire est vieille et le marié beau et bien fait, ils retournent malicieusement le compliment.
Parfois, dans quelques paroisses, des enfants tendent sur le passage de la noce des rubans ou des guirlandes de feuillage, et reçoivent quelques pièces de monnaie.
Durant le parcours, dans les chemins plus ou moins carrossables, parmi les badauds ayant pour un instant abandonné leurs travaux champêtres, le cortège, au son des violons et au bruit de la mousqueterie, arrive en vue de la maison. On chante alors :
De luyn besen huma De loin, nous voyons fumer
Que nous apresten lou dina On nous apprête le dîner
Boutats la taoule, lou touaillon, Mettez la table et la nappe,
Lou gens de la noce aqui soun Les gens de la noce sont là
À leur arrivée, les invités font appeler le beau-père de l’épouse :
Ount es lou meste de l’oustaou, Où est le maître de la maison
P’rentra la nobi coume faou? Pour introduire l'épouse comme il faut?
Ount es lou meste de la maysoun, Où est le maître de maison
P’rentra la nobi en possessioun ? Pour mettre l'épouse en possession?
Le beau-père (meste de l’oustaou ) concourait autrefois à une cérémonie à laquelle on tenait beaucoup. Avant de faire son entrée dans la maison du mari, l’épouse était solennellement remise par le maître qu’elle quittait ( meste de la maysoun ) au nouveau maître chez lequel elle entrait.
Celui-ci la présentait au beau-père qui l’introduisait dans son domicile. Des compliments plus ou moins bien tournés, suivant l’inspiration, étaient adressés à l’épouse ; et celui qui avait débité sa harangue tout d’un trait, sans même se donner le temps de reprendre haleine, était admiré et respectueusement proclamé grand orateur.
Cette coutume a disparu ; elle n’est plus de ce siècle. On la concevait, alors que les paysans exploitaient de génération en génération les biens confiés à leur travail. Ils appartenaient presque à la famille de leur maître.
Cependant, la porte de la maison conjugale est fermée. L’épouse frappe trois coups et dit :
Adichats moun beou payr’ Bonjour mon beau-père
Suy aci ; Me voici
La porte qu’es barrade La porte est fermée
Benets m’oubri. Venez m'ouvrir.
On lui répond de l’intérieur :
Adichats nouste nore, Bonjour notre bru,
Moun co conten ; Mon cœur est content ;
Nouste porte es d’oubride, Notre porte est ouverte,
Entrats deden. Entrez.
L’épouse continue :
Coure serey entrade, Quand je serai entrée,
Que dirats bous, Que direz-vous?
Moun Diou, bousets adare Mon Dieu, vous êtes maintenant
D’un grand secous. D'un grand secours.
(à suivre ) Mme A. TOUZET
Folklore Réolais - le Mariage (suite)
(Cahiers du Réolais n° 13 )
Après ce dialogue chanté, l’épouse pénètre dans sa nouvelle demeure et trouve un balai placé en travers du seuil. C'est une épreuve. S’est-elle baissée pour le prendre et le remettre en place, la mariée sera active et laborieuse. Si dans son trouble, elle ne l'a pas aperçu, c'est qu'elle sera paresseuse et on augure mal de l'avenir.
À peine entrée, l'épouse fleurit son beau-père, sa belle-mère, ses nouveaux parents et tous les invités de son mari, en ayant soin de tendre la main pour recevoir quelque argent. On la conduit ensuite dans la chambre nuptiale, où elle retrouve tous les objets qu’elle a envoyés la veille.
Voici donc terminés les rites qui précédaient et faisaient suite à la cérémonie du mariage religieux, usages aujourd’hui disparus et dont l’origine nous échappe. Les recherches de A. Van Gennep dans toutes les provinces de France, notamment en Guyenne et Gascogne, précisent cependant certains points ; on retrouve par exemple les mêmes usages dans des régions très éloignées, entre autre " le tourin ", dont il sera parlé à son heure, dénommé ailleurs " roties ".
Pour l’instant voici les convives réunis. À l'appel de la cloche qui sonne l’Angélus, ils vont se mettre à table pour le repas de midi.
Le dîner
L’heure, les chants, le trajet parfois assez long ont aiguisé l’appétit des convives qui crient en chœur :
Trempe la soupe, cousiney, Trempe la soupe, cuisinier,
A la mingea jou t’ayderey, À la manger, je t'aiderai
Trempe la soupe, boute bouilloun, Trempe la soupe, mets du bouillon,
Les gens de la heste aqui soun. Les gens de la fête sont là.
Le couvert est dressé en plein air si le temps est beau ; dans une grange, si la pluie menace. La table, formée de plusieurs planches reposant sur des barriques renversées, est chargée de tous les plats qui doivent composer le festin. Il n’y a qu’un seul service : une soupe aux haricots blancs ; de la morue accompagnée de petites assiettes remplies d'ail et de persil hachées (assaisonnement local) ; des œufs durs ; des carottes en sauce rousse ; des pommes ou des fruits de saison ; du fromage de Hollande. Ce menu ne varie jamais, quelle que soit la fortune des nouveaux mariés. Autour de la table se pressent les invités, souvent au nombre de cent et plus : les familles étaient nombreuses et se dispersaient peu.
Pour ce jour-là, contre l’ordinaire, chacun a son assiette, sa cuiller et sa fourchette et, s'il n'a pas oublié de s'en munir, son couteau. Mais il n'y a qu'un verre pour dix. En général, une pièce de toile s'allonge sur les genoux des convives et sert de serviette.
Dès qu'on a mangé la soupe, l'épouse se lève et, précédée du violoneux, fait le tour de la table, en demandant à chacun quelques sous pour payer son écot.
(à suivre ) Mme A. TOUZET
Folklore Réolais (suite)
(Cahiers du Réolais n° 14)
Dans quelques paroisses, il était d'usage, afin de subvenir aux frais de ce dîner, de faire une collecte en nature. L'épouse, escortée de ses mentors et montée sur un cheval, portant devant elle une besace et un baril, allait de maison en maison demandant des œufs, du blé, des pommes de terre et du vin. Le nombre des invités était alors fixé en relation directe du produit de la quête, considérable si elle avait été abondante, restreinte au contraire si le produit n’avait pas été avantageux .
Pendant le dîner, la gaieté règne, les chants commencent dès le début :
Aqueste taoule que bay bien, Cette table est bien,
Semble la taoule d’un presiden. On dirait celle d'un président
Exagération moins forte dans le second couplet :
Aqueste taoule que bay plan, Cette table va bien
Presta la taoule d’un paysan. Pour être celle d'un paysan.
Et les chants continuent :
Pouyr’esta la d’un seignou Si c'était celle d'un seigneur
Que pouyre pas este meillou Elle ne pourrait pas être meilleure
Aqueste taoule qu’a naou plats, Cette table, qui a neuf plats
Naou plats et naou cuyeys d’argent, Neuf plats et neuf couverts d'argent,
Embirounade d’houneste gens. Entourée de braves gens.
Le vin aidant, on a vite fait de passer des compliments à des propos moins agréables. C’est ainsi qu’on se moque des commis de la ferme, assis au bout de la table, fort occuper à satisfaire leur faim.
Cap de taoulade, ventre de loup, Bout de table, ventre de loup
Seras tu pas jamai sadou ? Quand seras-tu rassasié?
Cap de taoulade, ventre de can, Bout de table, ventre de chien,
Mingeras-tu dinca douman ? Mangeras-tu jusqu'à demain ?
Si damoures dinca deman, Si tu restes jusqu'à demain,
Nous faudra ben tourna lou pan Nous devrons refaire du pain
Décrivons maintenant une cérémonie originale, qui se pratiquait encore au siècle dernier.
Les cuisinières d'un repas de noce faisaient bénévolement leur service; il était d'usage qu'elles se fassent rétribuer en offrant un brin de buis ou de myrte aux invités, qui en échange, leur donnaient une pièce. Cela s'appelait " porter la junca ".
Au dessert, voici donc venir les cuisinières, au nombre de quatre. La plus jolie ouvre la marche, la seconde porte une corbeille pleine de buis ou de myrte ; la suivante tient deux assiettes placées l'une sur l'autre, entre lesquelles on glissera la pièce de monnaie ; la quatrième brandit une de ces grandes cuillers à queue recourbée, que les paysans appelaient " Gahe ": si un invité refusait de payer, la cuisinière l'accrocherait par le manche de sa cuiller et le secouerait jusqu'à ce qu’il s’exécute.
La première cuisinière prend un bouquet qu'elle attache à la boutonnière des hommes ou au mouchoir de tête des femmes, puis elle les embrasse après avoir chanté :
Moussu, ma dame bouts qu’ets en taoule, Monsieur, Madame qui êtes bien à table,
Per bien dina, Pour bien dîner,
La junca se presente, La jonchée se présente,
Lou faou paga, Il faut payer,
Ne boli pas deneys ni sos, Je ne veux denier ni sous,
Aré que pèces de bin sos. Rien que des pièce de vingt sous.
Au maître de la propriété, on dit :
A bous, Moussu, qu’es générous, Vous, Monsieur, qui êtes généreux,
Bailles-nous qu’aoucun d’aquets rous, Donnez nous quelques louis dorés,
Abous, moussu, qu’es plats galant, Vous, monsieur, qui êtes galant
Bailles-nous qu’aoucun d’aquets blancs Donnez-nous quelques écus blancs
Au cas où certains convives ne comprendraient pas le patois, c'est en français qu'on leur adresse le compliment :
Monsieur de la table d'honneur,
Je vous porte ces jolies fleurs, Je vous porte la fleur du Roi,
Ouvrez la bourse et payez-moi,
Ouvrez la bourse sans regret,
Payez-moi mon joli bouquet.
Sous la Révolution, on remplaça " la fleur du Roi " par ces vers de circonstance :
Nous vous portons la Liberté,
L'Amour et la Fraternité.
Tous ces refrains étaient coupés de " Tra la la la la laire ", repris en chœur par toute l'assistance.
(à suivre ) Mme A. TOUZET
Folklore Réolais - le Mariage (suite)
( Cahiers du Réolais n° 15 )
L'offrande aux cuisinières était forcée. Si parfois, quelque mauvais plaisant s'obstine à ne pas délier les cordons de sa bourse, que ce soit par avarice ou envie d'égayer la société, la première cuisinière dit à celle qui porte la louche: " Gahe-lou! ". Aussitôt le récalcitrant est accroché par sa cravate, sa boutonnière ou son mouchoir (madras) et secoué jusqu'à ce qu’il se soit exécuté sous les lazzi que l’on devine. On lui chante :
Bourri pas qu’est-èce lou dit Je ne voudrais pas être ledit
Que m’esparraquesssin pr’ un hardit. D'voir été déchiré pour un liard.
(Remarquons l’énergie du terme gascon " esparraqua ", si expressif et qui évoque le bruit d’une déchirure).
Après le dîner commencent les danses. Quand la mariée est sur le point de se retirer, un couplet l'avertit des déceptions qui peuvent l'attendre. Si elle est malheureuse en ménage, elle aura l'avantage d'avoir été prévenue :
Nobi, toun pay regrette Épouse, ton père regrette
Que sies maou plaçade ; Que tu sois mal placée ;
Sey pas qu’y ha ; Je ne sais qu'y faire ;
T’es hèse bien caouside As-tu été bien choisie,
Qu’ec poudez ha. Ce qui pouvait se faire.
Puis, viennent les conseils :
Te hisis pas, nobi, à barba rousse, Ne te fie pas à sa barbe rousse,
Que sera trayte et bien jalous; Il sera traître et jaloux;
Te hisis pas, nobi, à barba blanque, Ne te fie pas à sa barbe blanche,
Que sera trayte et bien mechan. Il sera traître et méchant.
Coure seras ‘hors, et sera dedan, Quand tu seras dehors, il sera dedans
Het sera pas jamay counten. …. jamais content
Sabes pas, nobi, coum het bay ha, Tu ne sais pas ce qu'il va faire,
S’ras pas seytade, te fara leoua. À peine assise, il te fera lever.
En effet, à la campagne, c’est toujours le tour de l'épouse d’obéir. Le mari est le maître; elle ne l'appelle jamais que " noste meste "( notre maître ), alors que lui dit " noste cousineyre " ( notre cuisinière ).
Vers 9 heures, les danses sont suspendues. L'épouse va se retirer. Les amies, qui, le matin, l'ont habillée, la conduisent à sa chambre et l'aident à se déshabiller. On lui ôte d'abord la couronne.
Tiran li la couroune Ôtons lui la couronne
De naou brillans ; De neuf brillants ;
Jamay per qu’este nobi Jamais à cette épouse
N’y tournaran. Nous le referons.
Puis les jeunes filles se retirent en chantant les vers suivants, dont le sens est éminemment philosophique :
Descaouse-te, nobi, pr’ana droumi, Déchausse-toi et va dormir,
Quitte la rose, pren lou souci, Quitte la rose, prends le souci,
Quitte la rose daou casaou Quitte la rose du jardin
Et pren lou souci de l’oustaou. Et prends le souci de la maison.
Pendant le premier sommeil des époux, les invités ne restent pas inactifs. Ils vont préparer le Tourin dans une maison voisine et iront le porter aux mariés, dès qu'ils auront découvert l'endroit où se passe la nuit de noce. Rite folklorique répandu dans toute la France, avec des variantes suivant les régions. L’idée populaire est de faire boire aux mariés quelque chose d’épicé qui renouvellera leurs ardeurs, mais on avait sans doute à l’origine un autre but : " socialisation " du mariage, dit Van Gennep, la communauté tenant à s’assurer que les époux n’ont pas manqué au premier de leurs devoirs, celui que l’on nomme " le devoir conjugal ".
Montaigne signale la coutume comme une des plus anciennes de la Gironde, et lui donne le nom de " réveillon ". Elle a persisté jusqu’à nos jours, mais l’ancienne soupe à l’ail, fortement épicée, est parfois remplacée par un bouillon de poule au vin rouge.
(à suivre ) Mme A. TOUZET
Folklore Réolais - le Mariage (fin)
( Cahiers du Réolais n° 16 )
Pendant la préparation et la cuisson du Tourin, au bouillon, au vin rouge ou simplement à l’ail – dûment poivré et épicé ! - les invités transformés en cuisiniers et mis en gaîté chantent les vers :
Touri, touri, dan lou soun pay Tourin, … avec son père,
Touri, touri, que nous faou ha, Tourin, … qu'il nous faut faire,
Faou pas parla de nous ‘ana, Ne parlons pas de partir,
Touri, touri,em puy bin blanc, Tourin … et vin blanc
Douman passat nous an iran. Après demain nous partirons.
Aussitôt prêt; le Tourin est placé dans une corbeille entourée d'un fin drap de lit. Un cortège se forme, qui, de la maison où le tourin a été préparé, a gagner la chambre des époux. En tête, un des invités porte un pot à eau et une cuvette. On chante :
Que pourtats à la nobi, Que portez-vous à l'épouse,
Nobi, nobiaout ? À l'époux, à l'épouse,
Que pourtats à la nobi ? Que portez-vous à l'épouse ?
Un bet touri li porty, Un beau Tourin je lui porte,
Nobi, nobiaout. À l'époux, à l'épouse.
Ces premiers vers sont suivis d’un certain nombre de couplets arrangés suivant la fantaisie des chanteurs. On arrive ainsi à la porte des époux, solidement barricadée, car ils s'attendent à cette visite. Trois sommations leur sont adressées en français :
Le chœur : Ouvrez la porte, ouvrez, la belle mariée.
L’épouse : Comment pourrai-je ouvrir, je suis au lit couchée,
Auprès de mon époux qui me tient embrassée ?
Le chœur : Ouvrez la porte, ouvrez la belle mariée.
L’épouse : Attendez un moment que je sois levée.
Le chœur : Ouvrez, etc …
L’épouse : Attendez un moment que je sois habillée.
Les époux ouvrent enfin la porte. Ils se lavent les mains et les essuient au drap qui entoure la corbeille, mangent le tourin et le même drap leur sert de serviette. Tous les invités mangent avec eux, boivent du vin blanc, puis dansent des rondes dont les paroles varient à l'infini, mais sont toujours plus ou moins grivoises. La fatigue seule vient suspendre les danses. Avant le départ, une dernière plaisanterie est adressée aux mariés :
Nobi pren gar’en quet aousel Époux, prends garde à cet oiseau
Que s’es paousat
Les Archives départementales de la Gironde conservent, sous la cote 3 E 4457, le contrat de mariage entre Michel de Montaigne et Françoise de La Chassaigne, établi à Bordeaux le 22 septembre 1565 par Léonard Destivals, notaire royal, et sans doute rédigé par un clerc. Comme l’explique une « Nota » marginale de la main du notaire (avec signature) au f° 4 v°, ledit contrat a été « commué », par consentement mutuel des parties, en deux contrats, dont chacun est signé séparément par les futurs époux, leurs parents et leurs témoins : le contrat de mariage proprement dit, puis le contrat de « plaigerie » (caution). Ayant fait l’objet d’une copie et livraison à part, ce dernier est barré de traits obliques en diagonale comme demeurant « pour néant » dans le présent document qui réunissait les deux pièces.
Par le premier contrat, Michel et Françoise s’engagent à « solenniser mariage en face de sainte mère Église », l’épouse recevant habits et bijoux « selon la coutume de Guyenne ». La dot est de 7000 livres tournois. Autres dispositions (sauf circonstances énumérées dans l’acte) : donation au dernier vivant de 2000 livres ; renonciation de l’épouse à toute succession du côté de son père comme de sa défunte mère ; versement futur à l’épouse du tiers des acquêts de l’époux après mariage ; maison meublée et rente pour la veuve si son époux est « prédécédé » ; au décès des deux époux, legs du tiers des biens de chacun d’eux à l’enfant mâle qu’ils auront choisi, et à défaut à l’aîné ; hypothèque de 2000 livres sur les biens de l’époux, de son père et de sa mère, en faveur de l’épouse ; don du père à son fils d’un quart du « revenu de Montaigne depuis la terre de Castillon en Bordelais, jusques au ruisseau de Lestros, juridiction de Montravel » (château et autres édifices cependant exclus) ton chapeau
Es un aousel bien répandut C'est un oiseau très répandu
Aou bet tems nou cante COUCUT Au beau temps il chante COCU
Aquel aousel es insolen C'est un oiseau insolent,
Insulte les houneste gens Il insulte les braves gens.
La mariée, elle aussi, est prévenue :
La nobi ploure et qu’a résoun L'épouse pleure, elle a raison,
Cret d’aouge trobat un capoun Elle croit avoir un chapon,
S’es un capoun,faou lou tua Si c'est un chapon, tuons le,
S’es un beguey, faou lou garda Mais un coq, il faut le garder.
Avant de se retirer, les invités chantent encore :
Anen nous en dan lou soun pay Partons avec son père,
Amen nous en praoube perduts, Partons, pauvres perdus,
Perden la nobi mey lous escuts, Nous perdons épouse et écus,
Aco ne nous ey pas de duil, Cela ne nous fait pas deuil,
Aré que lou leyt et linceous. Rien que le lit et les draps.
La fête est terminée. Après quelques ultimes libations, les époux sont enfin laissés seuls.
Ainsi se déroulaient les cérémonies du mariage, dont il ne subsiste que quelques traces de nos jours. Nous les avons décrites avec toute la précision possible, pour perpétuer le souvenir des anciens usages de La Réole en Bazadais.
Mme A. TOUZET
Bibliographie sommaire :
- Lamarque de Plaisance, Usages et chansons populaires de l’ancien Bazadais ( Bordeaux 1845 ).
- P.L. Jacob, Croyances populaires au Moyen-Age.
- Mensignac, Notes sur les coutumes, usages, etc. du département de la Gironde ( Bordeaux. 1888-1889 ).
- Van Gennep, Manuel de Folklore Français contemporain. ( Paris. 1937 )
Folklore Réolais - le baptême
( Cahiers du Réolais n° 25 )
" … Ils furent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants ! Ainsi se terminent la plupart des contes. C’est que l’on regardait l’augmentation de la famille comme un bienfait du Ciel ; la naissance d'un enfant était célébrée par des repas et des chansons et la cérémonie du baptême, l'occasion de réunir amis et parents en de grandes réjouissances.
Quelques jours avant la naissance, le choix des parrain et marraine est fait. Dès que l'enfant est venu au monde, la marraine accourt apportant les cadeaux traditionnels : petit bonnet, chemise de toile, maillot et drap de lit usagé destiné à faire des langes. Le parrain paiera le dîner: quelques livres de morue qui en seront le plat de résistance, fort apprécié des convives, qui n’ont pas souvent l’occasion de goûter à ce mets de luxe !
Au jour fixé pour la cérémonie, parents, amis et voisins sont accourus chez l'accouchée. Le cortège se met en marche vers l'église ; parrain et marraine vont en tête, celle-ci portant le nouveau-né dans un voile blanc.
Quelque soit l’état des chemins, les gens du baptême les suivent sans jamais s’écarter du chemin. S’ils s’avisaient de traverser des champs, ils en seraient aussitôt chassés car, en souvenir de l’ancien droit coutumier, les paysans croient encore que le passage d'un baptême, d'une noce ou d'un enterrement à travers des terres cultivées, donne à celui qui l’exerce ( enfant nouveau-né, mariés ou plus proches parents du défunt ) un titre de possession sur le sol ainsi foulé.
En entrant dans l'église, le parrain et la marraine adressent quelques mots au curé ; ce sont les seuls honoraires qu’il recevra. La cérémonie terminée, le parrain sonne la cloche, sans cela l'enfant serait sourd ( cette tradition existe encore ). Dès la sortie de l’église, les chants de circonstances commencent :
Bous l’an baillats coum’ un gigiou,
Bous lou tourne chrétien de Diou.
Que signifie ce mot de " gigiou " ? Est-il seulement pour la rime, le " retruc " ou signifie-t-il " Juif ", infidèle ? C’est en tout cas le seul emploi connu de ce vocable dans notre patois réolais.
Les chants continuent :
Lou hillounet e soun pay, Le petit enfant et son père,
Lou hillounet es counten : Le petit enfant est content :
A recebut lou sacrement Il a reçu le sacrement
Puis, on attaque le chant traditionnel :
Benen d’heze naou ligues, Nous venons de faire neuf lieues,
Naou ligues l’oun d’ayci Neuf lieues loin d'ici
Per nous réjoui ; Pour nous réjouir ;
Nous bolets dicha entra Voulez-vous nous laisser entrer
Per nous respaousa Pour nous reposer
À mesure qu’on approche de la maison, les lieues sont réduites à huit, sept, six et ainsi de suite.
À l’arrivée, le parrain frappe trois grands coups à la porte et tout le monde chante :
Sourtits dahors, pay e may, Sortez père et mère,
Aci qu’arribe bouste gay, Voici qu'arrive votre enfant,
Si l’aymes coum’ hezes semblan, Si vous l'aimez comme paraît,
Benets lou quere sou l’emban. Venez le chercher sous l'auvent.
La mère n'étant pas encore " relevée ", c'est le père qui ouvre la porte et, prenant son enfant, l'introduit dans la maison. Sans plus tarder, les convives se mettent à table et exprime d’abord leur satisfaction :
La taoule es bien garnide, La table est bien garnie,
Lou pay se l’a garnide Le père l'a garnie
De tout soun bien, De son mieux
En nous enbirouen En nous entourant
D’honeste gens. D'honnêtes gens.
Après ce compliment traditionnel qu’il serait injurieux d’oublier, on entend cette recommandation bien utile, puisqu’il n’y a que de la morue au repas :
Tirats la carne d’aoutou daous os, Tirez la chair des os
Mingeats, Moussus, e pintats gros. Mangez et buvez Messieurs
Mingeats, Moussus, e pintats bet, Mangez M.M. et mangez bien,
Dinc’ qu’entenden peta la pet Qu'on entende péter la peau,
Mingeats, Moussus, beouts menut, Mangez, M.M. buvez beaucoup,
Boutan la barrique à léchut ; Mettez la barrique à sec ;
De la barrique daou coustat De la barrique du côté
Boulen ben beoue la mitat ; Nous voulons boire la moitié
De la barrique daou couin, De la barrique du coin,
Boulen ben en bèse la fin. Nous voulons voir la fin.
À force de souhaiter voir la fin de la barrique, les convives finissent par ne plus rien voir du tout.
Chacun rentre ensuite tant bien que mal au logis, ou, s’il en est incapable, va terminer la nuit dans l'étable ou au fenil.
Signalons pour terminer une curieuse coutume, il peut arriver qu’un couple n’a eu que des enfants morts-nés ou décédés en bas âge. Pour être certain que leur prochain enfant vivra et prospérera, il faut choisir pour parrain et marraine des gens qui ne s’y attendent pas, parents éloignés, pauvres du village voire mendiants de passage.
On croit aussi que le parrain et la marraine, s’ils " soufflent " trois fois sur leur filleul au moment où il reçoit l’eau lustrale, lui donnent leurs qualités … et leurs défauts. L’enfant, devenu grand, reconnaît, d’après sa personnalité, les qualités et les défauts qui a soufflé le plus fort.
Mme TOUZET
Folklore: le treizain de mariage
( Cahiers du Réolais n° 77 )
M. Pierre RAULIN
Au cours de la messe de mariage, parmi les objets présentés à la bénédiction du prêtre en même temps que l'alliance, se trouvaient treize pièces de monnaie, de cuivre, d'argent ou d'or, selon la fortune des familles intéressées. Cet usage était à peu près général dans toute la chrétienté jusqu'à la fin du XVIII° siècle et a persisté dans la région jusqu'à la Grande Guerre. Le " treizain " était obligatoirement un cadeau du fiancé à la jeune femme. Le prêtre retirait une des pièces qu'il gardait pour lui; les douze autres servaient à faire un bracelet pour l'épousée ou à acheter un objet de ménage. Plus souvent, les pièces étaient conservées pour être transmises aux enfants; des trezains existaient ainsi dans certaines familles depuis des générations ; on les complétait quand besoin était.
L'origine du treizain serait très ancienne. Le texte de la bénédiction ( que nous citons plus bas ) laissait comprendre qu’il était le symbole des arrhes envoyées par Abraham à la famille de Rebecca, lors du mariage de son fils Isaac avec elle. Mais une opinion plus générale estime que le treizain n'avait fait que remplacer le sou d'or et le denier d'argent que, selon Frédégaire, Clovis fit remettre à Clotilde à l'occasion de leur union - geste paraissant lui-même hérité de tradition remontant peut-être aux premiers temps de l’époque romaine.
Si l’on adopte cette opinion, il devient aisé de comprendre que le nombre des pièces n’a été que la conséquence normale de l’évolution monétaire en Occident. Pourquoi 13 pièces en effet, alors que l’offrande de Clovis n’en comprenait que deux ? C’est que sous les Carolingiens, l'or ayant complètement disparu du monnayage, il fallut le remplacer par autre chose. En 743, sous Pépin le Bref, le rapport officiel fut fixé à douze deniers d'argent pour un sou d'or : ce remplacement d’une pièce disparue par 12 deniers réels est mentionné pour la première fois dans un texte du XI° siècle. Le treizain représentait donc : un denier d'argent + douze deniers (ayant la valeur d'un sou d'or) = treize pièces.
Les treizains ont surtout été faits de pièces d’argent parce qu’ils succédaient aux deniers du Moyen-Age. On en mentionne cependant quelques uns en pièces d'or : quand le 12 juin 1420, Henri V d’Angleterre épousa Catherine de France dans l’église de Saint Jean de Troyes, pour se conformer aux usages du pays, il déposa " sur le Livre " 13 nobles d’or en guise de deniers. Louis XVI utilisa aussi des pièces d’or qu’il remit à Marie-Antoinette en même temps que l’anneau. On cite le cas d’un fiancé espagnol qui s’était marié dans une paroisse du Bordelais et présenta, à la bénédiction du prêtre, douze doublons espagnols en or et un louis français, ce dernier destiné à l’officiant.
En matière ecclésiastique, rien ne permet de savoir à partir de quel moment a commencé.trouve seulement, dans le rituel bordelais du XVII° siècle, deux formules de bénédiction – sans doute employées un peu partout …. La première commence ainsi : " Benedicite Domine has arras quae hodie tradit famulus tuus : Bénissez, Seigneur, les arrhes qu’aujourd’hui votre serviteur remet dans les mains de votre servante. De même que Vous avez béni Abraham avec Sarah, Isaac avec Rebecca, Jacob avec Rachel, donnez leur la grâce de votre salut, l’abondance des biens et la force dans les travaux. Qu’ils s’épanouissent comme la rose plantée dans Jéricho : qu’ils craignent N.-S. Jésus Christ et l’adorent, lui qui possède le triple nom et dont le règne et l’empire subsisteront dans les siècles des siècles " .
Deuxième formule : " Seigneur Tout Puissant, qui avait ordonné à Isaac de s’unir à Rebecca en saint mariage semblable, grâce aux arrhes de votre serviteur Abraham, pour que, par l’offrande de ces dons, croisse le nombre de leurs enfants, nous demandons à votre Toute Puissance que, par ces arrhes que votre serviteur présente ici à son épouse bien-aimée, Vous veuillez les sanctifier avec ces présents, et que, protégés par Votre bénédiction et liés par une chaîne d’amour mutuel, ils vivent dans la fidélité en union éternelle avec Vos élus ".
Après cette bénédiction venait celle de l'anneau ( un seul car un marié n’en portait pas ) que l'époux passait au doigt de sa femme. Le prêtre, d’après le rituel, prélevait alors une des pièces et présentait les douze autres à l'époux qui les mettait dans la main droite de son épouse.
En faisant remonter les antécédents du treizain au temps d’Abraham, il n’était guère possible de lui trouver une origine plus ancienne ! Et si le treizain s’est substitué à des arrhes, sans doute s’agit-il des " arrae nuptiales " ou " sponsalitiae ", mentionnées par Du Cange ("Glossaire de la moyenne et de la basse latinité " XVII° siècle ) qui engageaient formellement les parties : un fiancé se voyant refuser le mariage après avoir versé les arrhes pouvait obtenir une indemnité en justice.
Pour les mariages, l’acte civil n'a été disjoint de l’acte religieux que depuis la Révolution. Antérieurement, les deux actes se trouvaient confondus dans les registres paroissiaux, tenus par les curés. Ces registres, crées en 1539, n’ont été généralisés que dans le courant du XVII° siècle. Le contrat passé devant notaire, en vue de préciser les conventions du mariage, était parfois mentionné à la suite de l’acte rédigé par le curé.
Or, avant le XVII° siècle, dans la plupart des paroisses, c’est devant la porte de l'église que s’échangeaient les " oui " sacramentels. Quand les familles n’avaient pas de contrat à produire, c’est là qu’elles faisaient connaître leurs apports au nouveau ménage, ce qui occasionnait parfois de longues et pénibles discussions !
D’après Mgr Duchesne ( " Origine du Culte Chrétien ". Paris 1889 ), le Pape Paul V ( 1605-1621 ), conformément aux décisions du Concile de Trente, finit par interdire cet usage, si bien qu’il fallut régler ces formalités avant la cérémonie religieuse. C'est probablement à ce moment là que les arrhes, sous forme de treizain, fournies lors des accordailles, n’ayant plus leur raison d’être, seraient devenues le simple témoignage de la communauté d’intérêts, sinon de biens devant exister entre les époux. Si de nos jours, un peu partout, ces vieilles coutumes sont oubliées, c’est parce que la bague de fiançailles est censée les remplacer plus généreusement et plus élégamment.
Parmi les interprétations attribuées à ce rite, certaines sont fantaisistes. Dans certaines régions des Landes, on estime que c’est le premier argent apporté par le mari dans le ménage ; ailleurs, c’est la somme grâce à laquelle " une femme achète son homme ", c’est à dire le prix des papiers nécessaires aux diverses formalités. Dans un sens plus religieux, il s’agissait parfois des 13 apôtres ( y compris Saint Paul ) dont il fallait retrancher Judas à cause de sa trahison ; ou encore, la pièce retirée par le prêtre, représentait " la part du diable ", ôtée du patrimoine des époux pour éviter que le Malin en personne ne vienne la réclamer. Pourquoi ne pas y voir plus simplement la superstition attachée au nombre de 13, considéré comme maléfique ? Réduire les pièces à 12 seulement conjurait le mauvais sort !
Mais dans le sens le plus sérieux et aussi le plus certain, le treizain, pris comme arrhes jusqu’au début du VII° siècle, n’est resté, après la décision de Paul V, que représentatif du patrimoine des époux et béni comme tel. Tous les rituels sont d’accord sur ce point.
Communiqué par M. Pierre RAULIN
d’après le bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest. 2° trimestre 1964.
voir aussi :
Van Gennep. Manuel de Folklore Français contemporain. Tome premier. II, Du berceau à la tombe. P. 462
Transcodage : Alain Lamaison - Corrections : Brigitte Bulik