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     La guerre en Ukraine met en mémoire les réfugiés arrivés à La Réole lors de la seconde guerre mondiale.     1 -  Certains sont arrivés ...

Réfugiés à La Réole en 1940

    La guerre en Ukraine met en mémoire les réfugiés arrivés à La Réole lors de la seconde guerre mondiale.
    1 - Certains sont arrivés avant la déclaration de guerre :
     par exemple Jacques Baudaux dont les parents se sont installés épiciers à la Réole en 1938 (sa mère était originaire de Bazas).

Jacques Baudaux avec ses parents devant l'épicerie

    Ci dessous lien vers l'interview de Jacques qui raconte son arrivée à La Réole :
Interview Jacques Baudaux

   2 - Certains sont venus rejoindre leur famille à La Réole :
    C'est le cas de Jean Marc Patient né en 1938 et arrivé en juillet 1939 avec ses parents rejoindre sa famille Chardon, Laclavetine.
    L'appellation de "réfugié" me fait sourire, car, à La Réole,  je ne m'y suis jamais senti comme tel !.... Arrivé à 1 an, reparti à 7 ans, La Réole était ma ville natale et je ne me suis jamais senti parisien bien que j'y sois né !.... Revenu sur Paris, j'avais l'accent comme un réolais de souche, et bien entendu je me suis fait traiter de "marseillais", car à l'époque avoir un accent du midi c'était obligatoirement de Marseille.
    Certains se sont repliés sur La Réole selon un plan concerté, par exemple les dirigeants des aciéries de Longwy
Leur responsable pour La Réole, était Mr Camille MOUGENOT cadre dirigeant, qui résidait avec son épouse, dans un appartement au-dessus des Lestieux dominant la Garonne, près du pont... Mr et Mme MOUGENOT, séparés de leurs enfants, m'avaient pris en amitié et j'étais souvent fourré chez eux. Mon grand-père Marcel BEYLARD étant décédé en mars 1943, Mr MOUGENOT m'a servi de grand père de substitution en quelque sorte. (Jean Marc Patient)
* Suite des souvenirs de Jean Marc Patient en fin d'article

    3- D'autres ont perdu leur emploi sur ordre du gouvernement : 
    Charles Outteryck, a été écarté de l'Education Nationale par le régime de Vichy fin 1941 pour avoir appartenu à une loge de Francs Maçons à Dunkerque dans sa jeunesse.
    Réintégré à la fin de la guerre, prof de Math respecté, il a marqué des générations d'élèves avant de quitter La Réole fin 1966.

    4 - 1939-1940, Monségur accueille des réfugiés de l’Est de la France : 
    un article très complet du GAHMS n°43 par D.Barraud et MC Jean : Lien

    5 -  fugiés en 1939 - 1940  à La Réole

Étrange et désagréable impression en ce jour, du 24 février 2022, de revivre ce que nos parents et grands parents ont subi il y a plus de 70 ans….


Extraits de lettres et souvenirs de ma famille réolaise et d’une réfugiée à La Réole


 Le 3 septembre 1939 : déclaration de guerre à 17 heures    [ La montée des tensions : les Polonais s'inquiètent de la menace allemande après l'occupation de Prague par la Wehrmacht, le 15/03/1939. Hitler ne tarde pas à revendiquer Gdańsk, dont le "corridor de Dantzig" isole la Prusse orientale du reste de l'Allemagne (traité de Versailles de 1919). Le Führer prend prétexte d'une prétendue attaque polonaise survenue dans la nuit sur la frontière orientale de l'Allemagne pour entrer chez son voisin sans s'embarrasser d'une déclaration de guerre. En fait d'attaque, il s'agit d'une macabre machination montée par l'armée allemande avec des cadavres de détenus revêtus d'uniformes polonais.                                                                         L'Angleterre et la France déclarent la guerre à l'Allemagne le 3 septembre après avoir, jusqu'au dernier moment, espéré une paix de compromis. Pendant les mois suivants, les deux alliés restent l'arme au pied, derrière la ligne Maginot, ensemble de fortifications protégeant la France sur sa frontière avec l'Allemagne. C'est la "drôle de guerre"… Pendant ce temps, les bombardiers allemands clouent au sol l'aviation polonaise et détruisent les infrastructures, entravant ainsi la mobilisation de l'armée polonaise, réputée être la cinquième d'Europe. Les Panzerdivisionen prennent l'armée polonaise en tenaille et enfoncent le front par des attaques combinées avec l'aviation. C'est la "guerre éclair", qu'Hitler emploiera, quelques mois plus tard, dans son offensive contre la France, la Hollande et la Belgique. Dès le 14 septembre, Varsovie est assiégée. Trois jours plus tard, l'Armée Rouge pénètre -  sans déclaration de guerre - en Pologne orientale, en vertu du pacte secret de non-agression russo-germanique, prévoyant le partage du pays. Le gouvernement polonais se réfugie en Roumanie, et Varsovie capitule le 27 septembre, après une courte, mais héroïque résistance.                           La guerre devient générale : Hitler attaque et occupe le Danemark et la Norvège, et Staline la Finlande. Ces premiers échecs causent la chute des signataires des accords de Munich, dont Daladier, qui est remplacé par Paul Reynaud le 21/03/1940.         

    Le 10/05/1940, le Führer met fin à la "drôle de guerre" sur le front occidental en envahissant la Belgique. Le même jour, Winston Churchill succède à Chamberlain au 10 Downing Street avec la ferme volonté de résister au nazisme et de le vaincre... ]  


    Souvenirs de ma tante d’un retour de Haute Marne à La Réole, via Orléans (où l'électricité avait été coupée à cause d'une alerte), sans passer par Paris, car sa grand mère le lui avait interdit :    

" Des femmes portaient dans leur dos des masques à gaz. Le voyage dura quarante huit heures : l'omnibus s'arrêtait souvent pour laisser passer les trains militaires. Comme toute nourriture, grand mère m’avait donné un pâté à l'ail, qui "parfumait" l'air!". le 6/09/1939  

10/09/1939, La Réole 

    " Je suis bien arrivée de Cirey jusqu’à Bar-sur-Aube. Heureusement, il y avait un autobus à 9 heures, qui m'a amenée à Troyes. On m'avait dit que seuls des bus allaient à Sens. Mais les trains avaient été rétablis et j'ai pu partir à 11 heures de Troyes dans un train (très vieux) rempli de soldats et de mobilisés. J'avais pu faire enregistrer ma caisse à Troyes (elle n'est pas encore arrivée). Tous les trains que j'ai pris étaient des omnibus. Arrivée à Sens à une heure, départ pour Montargis à 3 heures ½ par une toute petite ligne et nous ne roulions pas vite. Arrivée à 7 heures dans cette ville. Il y avait un monde fou, des mobilisés, mais aussi des femmes et des enfants qui quittaient Paris. Mon train ne repartait qu'à 10 heures 30. J'ai fait la connaissance d'une jeune femme qui partait en Auvergne, son mari était radio à l'état major, il est dans les Vosges. Il paraît que son matériel est tout neuf et très perfectionné et qu'il n'y a pas de comparaison avec l'an dernier. Les soldats au front sont habillés comme les Américains. 

    Tous les trains marchent sans lumière et les gares sont à peine éclairées. Il y avait un train de réfugiés alsaciens dans des wagons à bestiaux, qui attendait depuis trois jours. Pauvres gens !  Enfin, mon train, un tortillard faisant du 12 km/h, partit. Nous avons eu une alerte d'une heure, avant d'arriver à Orléans. Aux Aubrais, il n'y avait pas du tout de lumière : on n'y voyait rien, on se bousculait. Je ne pouvais même pas voir, s'il y avait un train à côté de moi. Enfin, je me cramponne à un employé (tout ça à 3 heures du matin !) et j'en profite pour lui demander le train de Bordeaux. Je monte dans le train indiqué, mais un monsieur, qui était dans le wagon, me dit qu'il n'allait qu'à Tours. Vous pensez comme j'étais ennuyée, surtout que je vois passer le train de Bordeaux. Ça me retardait d'au moins de 12 heures ! Il faisait un froid de canard dans ce train. Je suis arrivée à Tours à 7 heures. Des voyageurs, montant dans le train, m'apprirent qu'il allait bien à Bordeaux ! Mais, on était très serré et les wagons n'étaient pas neufs. Il y avait un autre train pour Bordeaux plus confortable, un peu plus loin. Je suis allée le prendre : j'ai eu des premières, car il n'y avait plus de place ailleurs.

   Il paraît que les ministres sont à Tours. Des évacués ont dit que Strasbourg et Metz sont bombardés, mais il n'y a plus personne là-bas. Je vous assure que le trajet Tours-Bordeaux m'a paru long, s'arrêtant à toutes les gares ; il fallait attendre pour laisser passer les convois militaires, qui étaient nombreux. Je suis enfin arrivée à Bordeaux à 5 heures. J'avais un train à 6 heures ½ pour La Réole. Un monsieur évacué, qui venait de la frontière sarroise et allait à Avignon, avait mis cinq jours pour arriver à Bordeaux. Ils étaient cinquante dans des wagons à bestiaux, sans paille pour coucher les enfants (les adultes se couchaient et les enfants dormaient sur eux). Dans leur wagon, ils avaient une folle, dans un autre un mort. Ils étaient six mille évacués ! Ils n'avaient eu qu'une demi heure pour s'en aller de chez eux, ils ont tout laissé. On leur avait dit qu'ils allaient à Châlons-sur-Marne et d'emporter un jour de vivre : on les envoie à Saint Émilion. Ils n'ont eu qu'un bouillon depuis trois jours. Il leur était défendu de sortir et pour connaître leur direction, ils se fiaient au soleil. Il y avait bien des infirmières et des docteurs, mais personne ne s'occupait d'eux. C'est bien triste ! Je suis arrivée à 19 heures à La Réole et il a fallu que je monte à pied à la maison.                                                                … Nous attendons encore des réfugiés. Avec des amies, nous allons récolter des objets pour eux : à La Réole (neuf cent cinquante réfugiés), à Saint Sève (soixante) et à Bourdelles (soixante dix), on ne sait pas où les mettre. Nous fourbissons, pour bien les recevoir. Nous avons un travail fou, je n'en peux plus. Il va falloir aller nettoyer la maison vide du cousin ; la métairie de Saint Sève est à peu près propre.      "Il faut secouer les Réolais, qui ne sont que des égoïstes. Il faudrait quelques bombes, ça les remuerait."   

21/09/1939, La Réole                                                                                                     

" … Maman est en train d'arranger les maisons du Tunnel et de les meubler pour les louer à des personnes de Paris, je crois. Les ouvriers étant mobilisés, c'est assez compliqué. Les réfugiés (les premiers) de la Meurthe et Moselle sont arrivés et installés dans notre maison du quartier Saint Martin. Heureusement, la Croix Rouge et des scouts nous aident. Il y a beaucoup d'enfants, dont une de 15 ans (une petite Polonaise). Ils sont très contents de l'accueil qu'on leur a fait à La Réole. Je pense qu'ils arrivent par petits groupes ; il vaut mieux, d'ailleurs.

    Nous avons reçu une lettre de cousine Anna, nous attendons son fils Bernard, qui sera pensionnaire au collège. Nous le sortirons tant que nous pourrons et tâcherons qu'il ne soit pas trop dépaysé et malheureux loin de ses parents (restés en Lorraine). Le collège est ou va être un hôpital de 250 lits.

    Nos classes sont déportées dans les Bénédictins. Nous n'avons pas de bureau et écrivons sur nos genoux : nous sommes tellement nombreux, que les bancs et les tables, prenant trop de place, ont été supprimés. Heureusement que je suis habituée à ce genre de sport, mais gare à mon écriture ! "  


 28/09/1939, La Réole

" … Maman est très occupée par l'installation de nos maisons de La Réole, qui sera loué à deux familles. On fait retapisser, mettre de l'eau au premier étage et un lavabo, puis l'électricité. De plus, les réfugiés (cinq cents) sont arrivés mardi dernier, le soir à 7 heures. Il fallait en porter cent cinquante à deux kilomètres de La Réole dans un château (à Frimont). D'autres étaient dirigés vers les villages de la plaine. Maman en a charroyés, car les voitures avaient été réquisitionnées pour le transport. Quant à nous, nous avons dû faire le trajet pedibus vers 8 heures du soir (trois kilomètres depuis la gare). 

    Monique B., sa mère et moi avons aidé à installer des réfugiés et à leur donner à dîner ; ce qui n'était pas un petit travail, car dans ce château, il n'y avait pas grand chose comme matériel. Enfin, avec quatre ou cinq repas successifs, ils ont pu se coucher sur la paille dans les chambres, à raison de dix par chambre. Le lendemain matin, nous sommes revenues préparer le petit déjeuner. Les gens se trouvaient très bien et avaient peur qu'on les mettent ailleurs. Nous savons qu'aujourd'hui, il doit en arriver deux cents, mais nous ne savons pas à quelle heure... 

    Maman, allant en ville, a aperçu un train de réfugiés : il y en avait cinquante pour Saint Sève ; un monsieur et elle les ont transportés avec leur véhicule.

    Je nettoie la petite métairie en haut de l’allée. C'est moins grand que chez le cousin, mais proportionnellement, il y a plus de poussière et de toiles d'araignées. 

    Je devais partir samedi chez marraine au Bouscat pour passer mon Bac mardi et mercredi, mais je ne pars que dimanche à cause des réfugiés. Je vais certainement ramasser une veste ; je ne pense pas à étudier, je n'ai pas le temps et maintenant c'est trop tard. 

    Il n'y a pas encore de blessés arrivés à La Réole."

 … La forêt de la Warndt était truquée d'une manière épouvantable : on s'appuyait à un arbre, qui soudain sautait ; dans un village, on ouvrait une fenêtre qui faisait sauter la      maison ; allumer une lampe, etc… 

 

[  Selon la convention militaire de 1936, le général Gamelin, commandant en chef des forces armées terrestres déclencha une opération dans la région sarroise (forêt de Warndt), dans la zone située entre la ligne Maginot et la ligne Siegfried avec arrêt devant cette dernière. Cette opération militaire devait soulager l’armée polonaise et calmer aussi l’opinion publique française qui ne comprendrait pas l’attentisme des Alliés. Les unités avancèrent, dans la nuit du 5 au 6 septembre, dans la partie que l’ennemi avait évacuée et piégée... 

Si, au départ, il avait été étudié la possibilité d’aider les polonais par des bombardements alliés sur les troupes allemandes engagées en Pologne, cette stratégie avait été vite écartée. Dans l’idée de Gamelin, la Pologne avait déjà perdu la bataille, mais il était certain qu’à l’issue de la guerre, qui allait être longue et coûteuse en hommes et matériels, elle renaîtrait. Aussi, jugeait-il inutile de mener une offensive qui pourrait provoquer des dégâts importants dans les rangs de l’armée française. ]     


3/10/1939, La Réole 

 " La rentrée est prévue pour le 9 octobre avec une installation sommaire du collège dans l'ancienne sous-préfecture. J'ai réservé une chambre (meublée) au Tunnel pour Bernard, qui pourrait être demi-pensionnaire ; l'une des locataires, parisienne, parente d'une dame de Saint Hilaire, dont parlait beaucoup ma belle-mère, accepte de grand cœur de le surveiller et de faire sa chambre. J'ai dû beaucoup batailler pour pouvoir me réserver cette chambre. Devant l'avalanche de réfugiés de Longwy et de sa région, la mairie a réquisitionné les maisons de Réolais récalcitrants. J'ai loué aussi à deux autres personnes - l’une est secrétaire à Longwy ; cela me permettra de payer ce que va me coûter les réparations (plâtrier, peintre, électricien, eau). J'ai hâte que ce soit fini. Quel travail que cet aménagement ! Je fais faire quatre matelas et six couvertures piquées, mais que d'encaustique et de frottage en perspective ! Je jongle avec les lits, les armoires ; heureusement que nous avons du matériel en supplément. 

 Mardi dernier, à 8 heures 10 du matin, arrivée d’un train de réfugiés (depuis le début, il y a mille deux cents évacués pour La Réole) ; je vois le chef du convoi (l'un des directeurs des aciéries de Longwy) et lui demande s'il y a des gens pour Saint-Sève : cinquante. J’ai choisi une famille de six personnes et quatre enfants. Je les ai transportés en auto et ai installés dans la métairie. Saint Sève avait bien fait les choses ; de mardi à dimanche, les réfugiés ont eu leurs repas servis et ont eu dimanche du poulet rôti. À La Réole, nous nous sommes occupés d'autres réfugiés au château de Frimont : trois repas à chaque convoi (soupe de légumes, sardines, saucisson ou pâté). Mais quelle odeur dégageait cette pauvre humanité après quatre jours de voyage ! Ils ont couché sur la paille. 

Tout est plein : huit Italiens naturalisés dans notre petite métairie ; chez le père Auger : quatre vingt ! Pauvres gens ! Il y en a cinquante chez le cousin. En tout, j'en ai soixante dix. J'ai retrouvé avec plaisir l'accent lorrain et même le patois d'une vieille dame, paysanne des environs de Verdun ! Il faisait froid à Longwy quand ils sont partis. Il a plu ces jours-ci, mais il faisait un temps radieux, quand les réfugiés sont arrivés. Ils s'extasiaient sur la chaleur et la végétation inconnue (palmiers, bananiers...). Peu de télégramme de tués encore par ici, ni de blessés évacués.

 Une partie de l'école d'aviation de Mérignac est ici pour l'aérodrome qui vient d'être doublé de surface. Les classes ont repris ce matin sur l'assurance formelle, que les réfugiés ne sont pas reçus : des cas de croup ayant été constatés.


 Novembre 1939, La Réole, 

" … Nous avons un professeur a 23 ans, réformé, car il a un œil en verre : il a eu un accident en jouant au hockey. Mais, il attend un nouvel appel. En physique et chimie, nous ne faisons plus rien depuis que la remplaçante de Laroubine est là. Elle est toute petite avec un grand nez … et une grande patience, parce que les élèves chahutent : ils lancent des billes sous ses pieds pour la faire tomber, apportent des cartes postales où un chat miaule... C'est bien méchant, mais c'est tellement drôle, que nous sortons les larmes aux yeux, tant ils nous font rire. La seconde est une petite classe, mais qui s'entend très bien pour faire des farces. Les meilleures sont les plus épouvantables... Nous avions aussi notre "prix de Rome" : le prof de dessin, qui en avait assez, est parti ; on attend une remplaçante."  


 21/11/1939, La Réole  

" … Il fait très froid. Pour aller au collège, on est obligé de mettre des gants bien chauds. Depuis quinze jours, nous avons cousin Bernard. Voilà une semaine passée au collège ou plutôt à la sous-préfecture. Cette rentrée n'a pas été du tout triste, comme on pourrait le penser, l'installation est si originale qu'elle en est amusante. Quand on pense que dans la classe de physique ont couché autrefois les sous-préfets, on ne peut s'empêcher d'en rire ; une autre pièce a gardé son lustre, ses grands rideaux rouges avec des pompons, deux tableaux au dessus des portes représentant des petits amours ! Au deuxième étage, il y a une série de sept classes concomitantes, qui nous amusent beaucoup : vous pensez, quand le professeur nous dit d'entrer dans la première, nous filons dans la dernière et il est obligé de venir nous chercher ! Dans une autre classe, le téléphone se trouve derrière le tableau, posé sur la cheminée ; alors, en plein cours, on sursaute au bruit de la sonnerie... 

Nous devons avoir des professeurs femmes, mais une seule est arrivée, celle de dessin : une rousse que les garçons ont surnommée cheval (c'est en effet un peu son allure). Elle est très gentille. Nous ne sommes que treize dans notre classe (cela portera bonheur) : six filles et sept garçons, dont un de Longwy. 

    Hier, nous étions en train de travailler, lorsque ma voisine pousse un cri.... un mignon petit chat jaune nous avait suivis dans la classe ; il alla se pelotonner sur les genoux d'un garçon. Si plusieurs lycées de Bordeaux et celui d'Arcachon n'avaient pas rouvert, nous n'aurions pas pu tous tenir dans la sous-préfecture. Il paraît que dans un lycée de Bordeaux, ils sont trois mille élèves, même en supprimant la primaire et l'internat !              Notre acrobate Longuesserre a abattu un avion boche, il a été blessé                       (Il était le président de l'Aéro-club de La Réole qui, en rase-motte au dessus du cloître, lâcha une pluie de roses depuis son avion, sur un spectacle en plein air, produit par Art et Jeunesse, en 1938 ou 39 ? - d’après Michel Balans).                                                        Au collège (transformé en hôpital), il n'y a que huit malades, pas un blessé.      Dans la maison du quartier Saint Martin, il y a trente deux enfants. Vous pensez aux ravages ! Il y a un bébé d'un an qui est mort et son frère de trois ans est allé mordre au nez, aux joues et aux doigts la petite fille d'un mois d'une Polonaise. Heureusement que l'on est arrivé à temps. On ne se reconnaît plus dans La Réole avec tous ses réfugiés, on en voit partout. L'École d'Agriculture n'est pas transformée en hôpital, elle garde ses vieilles.      Les travaux des maison au Tunnel sont terminés depuis hier, après un mois de nettoyage.

  29/12/1939, La Réole  

" Il fait froid (- 6°). Georges (le fiancé d’une amie bordelaise) vient de venir en permission : il a la croix de guerre. Il fait partie de l'escadrille des neuf avions qui ont combattu contre vingt sept avions ennemis : il est le plus jeune. Un de ses camarades a abattu à lui tout seul, ce fameux jour, cinq avions. Il paraît qu'il était fou quand il est revenu : il sautait de joie, chantait... Le lendemain, il en a encore abattu un autre. Deux autres camarades furent prisonniers. Georges, qui est radio, entend un message de deux aviateurs avertissant de ne pas tirer sur leur avion : ils avaient réussi à s'échapper en volant un avion boche ! Mais ils ont failli être mitraillés par les Français lors de leur atterrissage. Il y a plusieurs aviateurs allemands qui sont venus se rendre avec leurs avions.     Les soldats du génie s'en vont aujourd'hui    (ayant édifié un pont de bateaux sur la Garonne en 1938, suite à la rupture d'un câble du pont suspendu devenu dangereux. Ce dernier fut remplacé par ce pont de bateaux provisoire. Une navette fluviale prit ensuite le relais).  

Le pont de bateaux du Génie

8 et 31/01/1940 et 5/02/1940, La Réole             1)"  … J'ai dû aller trouver le monsieur de Longwy, resté comme directeur des réfugiés. La cour de la maison du cousin est transformée en fumier, par les femmes qui jettent leur seau garni à la volée ; cela s'écoule dans la rue : c'est une infection ! L'une d'elle a mis le feu à une cheminée, je n'en fus même pas avertie ; heureusement que j'ai assuré l'immeuble ! Ces réfugiés exagèrent."  

            2) " Il n'a pas fait aussi froid depuis 1870 : -13° pendant vingt jours (Cela arrive presque tous les ans, mais pas aussi longtemps). La maison n'est pas faite pour ces températures, nous avons eu très, très froid. Le temps s'est détendu, dès la pleine lune. La Garonne charrie de gros et nombreux glaçons, qui s'entrechoquent avec des bruits inconnus. Il paraît qu'elle a été prise à Caudrot, dans un tournant brusque, où les glaçons se sont accumulés.

                                     

La Garonne en hiver 1939 – 1940


    
Ici aussi, le ravitaillement est assez délicat ; mais je crois plus à un accaparement qu'à un manque de denrées. C'est surtout le café qui manque. Les réfugiés sont gros consommateurs et parce qu'ils ne sont pas connus, ils font les épiceries les unes après les autres, ce qui entraîne le rationnement des Réolais. Le porc est à 8 francs la livre, je renonce à en acheter à ce prix. J'en ai quatre à la métairie, dont deux pour nous. J'en tuerai un en mars et l'autre je le débiterai frais pour le vendre. Je fais couper du bois, de crainte que la guerre dure et que le charbon soit rare.

3) " … Le lait entier est à 1,90 francs ; nous avons droit à un litre par jour pour les deux petits. Nous ne trouvons pas de lait écrémé depuis ces froids et le beurre est introuvable. De temps en temps, j'hérite de quelques litres de lait, dus à la générosité d'un métayer. Le savon: 75g par personne pour janvier.

    Nous avons tué le porc, je ne me tire pas trop mal de mon élevage ; on m'a sorti, pour trois mois, 10 kg de viande de boucherie lors de la déclaration et je ne peux en tuer un second sans que le premier soit liquidé par des tickets (50 kg de porc = 50 tickets retenus). Cette façon de faire fait que la campagne proteste, car ceux, qui ont sacrifié de bonne heure deux porcs, les ont et ceux qui en ont tué un seul, doivent attendre juillet pour pouvoir tuer le second ; c'est injuste ! Cet ordre est, à mon avis stupide, car dans cette région, tout l'été, les jeunes porcelets se nourrissent de citrouilles exclusivement et ne sont nourris de féculents que lorsqu'on les engraisse. Cette année, les paysans, au lieu d'élever deux ou trois porcs, vont n'en élever qu'un ; ce sera autant de perdu, car 10 à 30 ou 40 kg ne coûtaient rien à la communauté, les porcs étant nourris de l'industrie du paysan. Pour ma part, je ne fais qu'entretenir mon second porc, que je pensais tuer en avril ; je le tuerai en octobre, si d'ici là, la réquisition ne l'a pas pris ! Nous avons encore dû livrer une vache de la métairie de Saint Sève pour la réquisition, j'ai protesté en haut lieu, car ce sont toujours les mêmes étables qui livrent chaque fois ; c'est trop souvent. On voulait nous faire livrer l'autre vache, pleine de quatre mois, j'ai refusé catégoriquement. J'ai envoyé une note et j'ai eu gain de cause. 

Nous avons l'heure d'été. Les élèves rentrent à l’école à 8 heures 30. 

Pas trop de mal à la métairie de Bourdelles, le froid a fait plus de mal que l'inondation.                                                                                                                

La maison du cousin Jean, servant d'intermédiaire pour le passage du courrier de la zone occupée vers la zone libre, se trouve à Saint Sulpice-de-Pommiers, à seize kilomètres de chez nous."  


Souvenirs de ma tante :

      "En août 1940, le courrier ne circulant pas d'une zone à l'autre, ta mère, mais plus souvent moi, partait en bicyclette à Saint Sulpice-de-Pommiers chercher les lettres, provenant des grands parents habitant en zone occupée. Il fallait passer la ligne de démarcation, qui était matérialisée par la route reliant Langon à Sauveterre-de-Guyenne. Le cousin Jean, connaissant la postière de Sauveterre, récupérait le courrier pour notre famille. Un jour, revenant de chez le cousin avec des lettres, je m'apprêtais à repasser clandestinement la ligne, quand je fus surprise et interpellée par un soldat allemand. Je laissai tomber dans l'herbe le paquet de missives que je transportais. Le soldat ne s'en aperçut pas, étant trop éloigné de moi ; il m'emmena à un poste de surveillance, où je fus interrogée. Je répondis que j’étais allée voir mon cousin : gros rires de ces messieurs, qui n'en croyaient pas un mot, mais soupçonnaient une histoire plus romanesque ! Ils me laissèrent repartir sans m'inquiéter. Je pus récupérer les lettres et filai à la maison. Je me demande encore comment je n'ai pas eu peur sur le moment ! " 


      Mais la réaction survint le lendemain, où elle ne put se lever, tant elle était malade (de peur rétroactive). Sa mère décida d'arrêter le manège, qui devenait trop dangereux.


[ L'implantation de la ligne de démarcation bouleversa le service postal. L'ordonnance allemande du 18 juillet 1940 instaura une réglementation particulièrement sévère. Suspendue en août, la correspondance privée est rétablie dès septembre 1940. Elle se limite à des cartes interzones, qui se présentent sous la forme d'un texte pré-imprimé de douze lignes d'ordre familiale, à biffer. Puis, rapidement est assouplie cette législation avec des cartes où il est autorisé d'écrire sept lignes ; puis réapparurent des cartes ordinaires à partir de l'automne 1941. ]  


19/02/1940, La Réole  

"  … Notre ravitaillement ne va pas mal, nous trouvons à peu près tout ce qui est mis en carte et ce qui manque (graisse surtout), je le produis moi-même. Ici aussi les étoffes sont chères.  Plus d'essence, la voiture est sur cales, c'est la bicyclette qui remplace ; cela ne fait que du bien, je m'y suis remise facilement, mais l'auto était plus rapide et me facilitait la vie.

Mes poules pondent douze œufs par jour : ils sont taxés à 14 francs 40, mais ils se payent facilement à l'équivalent des œufs du Maroc 18 francs 12. Je n'en ai pas encore vendu, mais offert quelques douzaines en remerciement à diverses personnes. Je m'ingénie à faire toutes les économies possibles (pour nous et la généralité, c'est un devoir). 

Le professeur de dessin (Pierre Laville) est prisonnier. Quand il rentrera, je lui demanderai de donner des leçons à Irène, qui est vraiment douée."  



[ L'invasion allemande du Luxembourg commence le 10 mai, à 4 heures 35 du matin, les troupes allemandes ne rencontrent aucune résistance significative. La capitale est prise avant midi. Les Alliés réagissent : à 8 heures du matin, plusieurs divisions françaises franchissent la frontière du Luxembourg et viennent tester la puissance allemande. Quelques heures plus tard, ces divisions se replient derrière la ligne Maginot. Le 11 mai, le Luxembourg est entièrement sous contrôle de l'armée allemande.


 12/05/1940, La Réole  

" Tu imagines bien que je ne pense plus à mon déplacement à Cirey/Blaise, mais je regrette de n'être pas partie avant. Ce n'est plus le moment d'aller encombrer les trains. Nous ne pouvons faire mieux, mais nous évitons tout ce qui peut gêner la guerre : nous consommons moins de café, restreignons la boucherie, surtout le bœuf. 

Je crois que, si cela devenait plus mauvais en Lorraine, cousine Anna se réfugierait ici, elle nous l’écrit ce matin. Bernard devait partir chez eux samedi, bien entendu, je l'ai gardé ici. Il est insouciant, passe de bonnes vacances sous un soleil radieux et ne s'en fait pas trop pour les siens. 

Mardi, la Garonne a envahi Bourdelles, je vais essayer d'y aller tout à l'heure ; samedi soir, je n'ai pas pu passer : toutes les récoltes doivent être perdues, y compris les betteraves à sucre ! Le second porc est tué, il pesait 80 kg (le premier : 90 kg). Tous frais payés, ces deux porcs, au cours actuel (20 francs le kg mort) m'ont rapporté seize francs par jour ; essai que je renouvellerai dès cet automne. J'ai vingt et un  lapins en ce moment. J'ai vendu une paire de poulets (neuf francs la livre, vif), un lapin de trois mois vaut deux à trois francs. Ce sont les réfugiés, qui font augmenter ainsi la vie. Les maris arrivent, les usines ayant sauté (parait-il). On attend deux mille autres réfugiés pour La Réole dans des baraquements non terminés pour le moment."  


Le 23 mai 1940 : arrivée des premiers réfugiés belges (jusqu'au 25 : huit personnes à la maison) ; du 26 au 29 mai: six personnes.



23/05/1940, La Réole 


" … Nous suivons avec angoisse la marche rapide des événements, tout en conservant l'espoir certain du succès final. L'exode des Belges en auto ne cesse pas.

  Les betteraves à sucre sont les seules à avoir subi l'inondation sans trop de dommage. Je n'ai pu m'en rendre compte que de la route, car les terres sont encore trop mouillées pour que l'on puisse y pénétrer ; tout le reste est complètement perdu et il est tard pour semer du maïs, surtout que nous avons, quotidiennement, des orages depuis quelques jours.                                                                           

 Maintenant, si les Boches attaquent par la Suisse, n'attendez pas trop de vous sauver ; il est inutile de grossir le nombre des malheureux, qui sont restés là-bas. Mais comment partirez-vous ?  Qu'avez vous prévu ? Ici aussi, il court beaucoup de bobards, plus ou moins idiots. Nous sommes dotés d'une sirène que, de chez nous on perçoit peu, mais les alertes laissent tout le monde calme. Le moral est bon, la confiance règne.



Mai 1940, La Réole 

" Des milliers de Belges sont passés à La Réole. Depuis jeudi, nous en hébergeons (coucher, souper, petit déjeuner). J'en ai eu sept, huit, dix et même quatorze un soir. 

Depuis deux jours, le département du Lot et Garonne est fermé. Nous hébergeons une famille d’un tailleur à Dinan (qui connaissait le filleul de guerre de ma grand-mère pendant la première guerre mondiale !!) : ils sont cinq, dont un bébé de un mois et une grand mère de 81 ans. Ce sont des gens très bien et très délicats. Le monsieur travaille au jardin, les dames m'aident au ménage, lissage (repassage), couture. Ils sont si contents d'avoir un abri. Il vient de m'en arriver quatorze autres ; je vais essayer d'en caser à l'École d'Agriculture et à la petite métairie. Ils seront mieux que sur leur camion découvert.



  Souvenirs de maman :

 "Je m'étais portée bénévole pour accueillir, sur la place du Turon, les réfugiés, et d’en ramener à la maison. Parmi les premiers arrivés, un tailleur belge et sa famille sont venus dans une vieille voiture. Ils sont restés deux mois chez nous. Maman leur a cédé la cuisine, la petite salle à manger et deux chambres.      Deux officiers de l'armée marocaine ont aussi dormi deux-trois jours, leur troupe étant logée à l'École d'Agriculture. Ils nous ont raconté la débâcle".


 (EXTRAITS DU JOURNAL DE GUERRE 1939-1945 

d’une réfugiée à La Réole de 1940 à 45.)

(Récit en bleu)



13/06/1940

À 4 heures ½ , lever de toute la famille. Sur l'auto, trois matelas sont déposés, plus deux grosses valises. Nous nous entassons dans la voiture.

Et nous voilà sur les routes, ne sachant pas si nous pourrons atteindre notre but : La Réole, presque à l'autre bout de la France. Nous échappons à l'encombrement des routes, les heures du matin étant précieuses. Nous évitons Rennes et nous nous arrêtons à Redon. Puis direction Nantes, nous roulons facilement ; on nous donne même de l'essence sans bons et arrivons à Nantes à 3 heures. La Loire est franchie, ouf !

Nous logeons près de Cholet, dans un tout petit village où les réfugiés sont bien accueillis. Dans une ancienne école, sont aménagés des lits avec draps. Nous prenons un repas dans une vaste salle aux longues tables avec de nombreux dîneurs.

Satisfaits de la nuit, nous nous remettons en route, les autos sont plus nombreuses. Nous mangeons nos provisions dans un café au bord de la route.

Un gendarme nous arrête, il veut nous empêcher de continuer, Bordeaux étant embouteillé ; l'entrée de la Gironde est défendue. Malgré ses ordres, nous passons, mais sommes déviés, un peu plus loin, de la route nationale ; nous irons par Jonzac. Les derniers kilomètres nous semblent démesurément longs.

Nous avons, sans aucun accroc, franchi les centaines de kilomètres jusqu’à La Réole, chargés à bloc. 

On nous avait dit en route que les Allemands étaient à Paris ; nous n'avions pas voulu le croire, mais ce soir, Paris a été déclaré ville ouverte et ne sera pas défendu. Quelle honte pour notre pauvre pays ! Hitler à Paris !

Les troupes se sont battues depuis des jours pour aboutir à ce résultat ! Hitler, cet ancien peintre en bâtiment, ce raté, ce caporal de la guerre de 1914, cet homme qui a assassiné et fait disparaître tous ceux qui pouvait le gêner, cet homme dont l'ascension n'est qu'une suite de crimes, est à Paris !

Les communiqués donnent des nouvelles des armées françaises tenant héroïquement Reims, sans  jamais plus parler des Anglais, ou seulement pour quelques faits d'aviation. Quant à l'armée belge, elle n'est même pas mentionnée.

Dans notre voyage, nous avions remarqué le long des routes, étendus, des soldats belges et aussi des Polonais ; pourquoi ne les envoie-t-on pas se battre sur la Seine ? ]


Le 16 juin 1940 : arrivée des cousins lorrains avec quatre voisines et amies.


 Souvenirs :

  La cousine Anna avait conduit, depuis la Lorraine, la voiture de ses propriétaires, sur le toit de laquelle, étaient installés un vélo et un matelas, en cas de mitraillage par les avions ennemis ; l'autre voiture était conduite par son mari Robert emmenant avec lui deux épouses de vélivoles amis. 

    (Leur fils était pensionnaire au collège de La Réole depuis le début de l'année scolaire, pour être à l'abri des bombes tombant sur Nancy. Il était en sixième et très populaire auprès des demoiselles, car il avait toujours des bonbons, que lui envoyés sa grand-mère et qu’il distribuait généreusement. Robert était président d’un club de vol à voile lorrain)

    Robert devait se rendre à Bordeaux dans les plus brefs délais pour rejoindre son unité. Il régnait une belle pagaille à Bordeaux, du fait de l'arrivée récente du gouvernement français, réfugié en Aquitaine. Médecin, le cousin fut envoyé à Langon, dans un hôpital militaire ; il n'y resta que très peu de jours et dut évacuer ses malades à La Réole dans des bâtiments appartenant à l'église, à côté de l'école des filles, près de l'hôpital. Bientôt, il ne resta plus de malades et ainsi, libéré de ses obligations, il put rejoindre son épouse.

     (Mon grand-père lorrain fut mobilisé à Nancy, en 1940, en tant que lieutenant. Lors de la débâcle, il fut chargé d'évacuer les archives et le matériel de l'École Nationale des Eaux et Forêts. Il devait transférer plusieurs camions vers le Sud-Ouest. Lors du voyage, les machines à écrire qu'ils transportaient, furent jetées par dessus bord, afin d'embarquer des réfugiés, rencontrés en cours de route et s'échappant à pied devant l'avance allemande. Ils aboutirent à Biscarrosse. Voulant voir la mer, cachée par la dune, il se dirigea vers elle, quand il remarqua des sortes de poteaux dépassant de la dune. Intrigué, il se rapprocha et tomba sur des camions allemands de reconnaissance et de nombreux soldats. Les Allemands, surpris de voir un soldat français, lui dirent : "Que faites-vous là ? Partez vite, nous étions les premiers arrivés". Il n'insista pas et fila avec les camions sur Bordeaux. De là, il rejoignit La Réole avec un motocycliste. Il y retrouva d’autres "compatriotes" de l’Est.

    Un jour qu'ils étaient quinze personnes à table, ils virent passer devant la maison, un jeune abbé accompagné d'un groupe de jeunes. Ils venaient de Normandie et se dirigeaient vers Lourdes. Ils eurent droit à un bon repas chaud et consistant, à base de pâtes. Les jeunes dormirent dans le foin de la grange.)




         [  20/06/1940        

Nous assistons à la déroute de l'armée française ; nuit et jour, des autos descendent vers le sud : c'est un roulement ininterrompu - de 4 heures du matin à minuit ; des familles en fuite dans des voitures chargées, sur les pare-chocs desquelles, sont parfois accrochés des valises ou des vélos ; des camions militaires transportant des soldats ou encore des femmes et enfants, des vélos, des motos ; puis ce sont les canons mitrailleuses des avions... Tous ces gens sont fatigués, ont des mines épouvantables. Tout le long de La Réole, les oisifs sont assis, regardant et commentant les passages.

23/06/1940

Bordeaux a été bombardé et il y a beaucoup de dégâts. Les Bordelais, malgré l'ordre de ne plus évacuer, s’échappent en voiture, s'ajoutant aux files interminables qui descendent toujours vers le sud.

24/06/1940

Les Allemands sont à Royan et près de Saintes, ils arrivent. La Réole se défendra, n'étant pas ville ouverte (moins de 5000 habitants), que faire ? Depuis deux jours, nous hésitons. 

À 4 heures, nous entendons une femme crier dans la rue : "Les Boches sont à Duras". Nous aménageons la cave, si nous devons y chercher refuge. Je remets près des lits des enfants : chaussures, sacs à dos, manteaux chauds. Nous ne bougerons plus, quoiqu'il arrive. On luttera pour le grand pont sur la Garonne et ce sont peut être des obus français que nous recevrons ! La nuit se passe sans alerte.

25/06/1940

Cessation des hostilités, la guerre est finie. On ne se bat plus depuis cette nuit à 0 heure 35. 

26/06/1940

Le gouvernement quitte Bordeaux et l'on recommence à voir le défilé des voitures, mais maintenant dans les deux sens : les Bordelais rentrant chez eux et les réfugiés, dont de nombreux juifs, descendant au sud.

27/06/1940

Nous attendons avec anxiété la ligne exacte de démarcation.

Les journaux sont plein d'adresses de personnes cherchant à se retrouver ; cela dure depuis des jours.

28/06/1940 

Quel soulagement : nous sommes à 10 km de la ligne de démarcation en zone libre. ]


Le 28 juin 1940 : vingt huit réfugiés à la propriété.

Le 4 août 1940 : départ des trois cousins pour retourner chez eux en Lorraine (avec arrêt prolongé à Issoudun, car ils rencontrèrent des difficultés pour entrer en zone interdite).     [ 1er /07/1940

Nous sommes nombreux et tous ont bon appétit. La soupe se fait pour deux jours et nous en mangeons midi et soir. Nous avons trouvé assez de légumes dans le potager, haricots verts, salades, oignons, artichauts, ail que nous apprenons à aimer et c'est bien heureux, car les marchés sont bien peu fournis. Les revendeurs, les soldats raflent les maigres rations qui y sont apportées : on ne donne qu'un kilo de pommes de terre par personne, une seule livre de riz par famille, une petite boîte de sardine, etc. … Il faut que j'envoie les enfants, les unes après les autres, pour avoir des provisions un peu raisonnables.

            Le pain n'est pas rationné, mais il donne la diarrhée. La viande est abondante, on peut             même en avoir quotidiennement depuis huit jours (auparavant, existaient des                             restrictions - incohérence de l'administration) ! ]  ….

Suite des souvenirs de Jean Marc Patient 

    Oui la lecture de ces lettres et de ces souvenirs sur l'exode et l'arrivée des réfugiés à La Réole dans la période fin 1939-juillet 1940 m'a ému, bien que j'en ai pas pris conscience à cette époque, bien trop jeune, étant arrivé à La Réole à l'âge d'1 an, avec mes parents et mes 2 sœurs et frère pour y passer les vacances d'été chez mes grands-parents Marcel et Thérèse BEYLARD.
    J'ai été donc un "réfugié" avant la lettre puisque je ne suis revenu que fin septembre 45 en région parisienne.
    Mais, si l'on peut dire, il y a eu 2 catégories de réfugiés : d'abord la 1ère vague à l'automne 1939, organisée dans un calme relatif avec des lieux d'asile fixés par le gouvernement. Ensuite la 2ème vague désordonnée et affolée en mai et juin 1940 avec des réfugiés à pied, en vélo, en charrette, en voiture, en camion, autocar et en train dans un affolement total, et dans un pays complètement désorganisé, avec des autorités civiles souvent en fuite,  des réfugiés mitraillés par l'aviation allemande, entremêlés avec les troupes, parfois en débandade... Il y a eu de très nombreuses victimes civiles et des drames affreux sur les routes encombrées de l'exode. 
    Je suppose que les réfugiés de la région de Longwy ont fait partie de la 1ère vague de réfugiés à l'automne 1939.
    Je confirme que le responsable des réfugiés de Longwy était Mr Camille MOUGENOT en sa qualité de cadre dirigeant des Aciéries de Longwy.
    Il était venu habiter La Réole avec son épouse 1bis rue Paul Doumer chez Mr Mme Lestieux.
    Je me souviens de Léa, je suppose réfugiée lorraine, habitant avec son mari, route de Monségur à gauche avant le lavoir. Elle avait trouvé un emploi de commise d'épicerie pour livrer le lait à domicile chez ma tante Andrée LACLAVETINE, travail qu'elle a d'ailleurs continué à exercer après la guerre, car elle est restée à La Réole après la guerre, comme Mr & Mme MOUGENOT, d'abord La Réole, puis ensuite à Caudrot.
    Je peux parler d'une autre réfugiée, une institutrice lorraine qui exerçait à l'école des garçons. Lors de la saison scolaire 1944-45, elle a été mon institutrice dans la classe des CP mais je ne me rappelle pas de son nom. Elle a quitté son poste d'institutrice en mai ou juin 1945, avant la fin de l'année scolaire, pour revenir chez elle en Lorraine. Il y avait eu dans la cour de l'école une petite cérémonie pour la remercier et lui souhaiter bon retour chez elle, en présence de tous les maitres et élèves. J'avais été désigné pour lui offrir un bouquet de fleurs. C'est un autre instituteur, Maurice ABADIE qui a pris en charge notre classe de CP en même temps que la sienne.
Je me souviens enfin d'autres réfugiés en particulier une famille avec un nom polonais, Zarowski  qui habitait prés de chez nous rue Neuve, ainsi qu'un homme que l'on appelait Prosper, cordonnier à Pontoise avant la guerre. Il faisait le commissionnaire avec un charreton pour porter des colis et pour ce faire, il venait régulièrement rue Neuve chez ma grand mère BEYLARD qui était la correspondante durant la guerre des transports routiers Server entre Bordeaux et Agen avec passage de la ligne de démarcation entre St Pierre d'Aurillac et St Macaire.
Ce sont des bribes de souvenirs, mais pour le petit garçon que j'étais je ne faisais pas la différence entre réolais de souche et réfugiés bien évidemment.
Voilà tout ce que je peux ajouter sur les réfugiés à La Réole, et bien entendu, j'ignorai que j'en étais un, plus ou moins du fait que je vivais entourée de toute ma famille.

3 commentaires:

  1. Merci Jean Marc .Monique

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  2. Merci pour ces partages formidables. Je les envoie à ma maman Fernande Depert de Gironde sur Dropt (86 ans cette année), qui a fait toutes sa scolarité au collège. Claire Maurin

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  3. Bonjour.
    Mes grands parents paternels Pierre et Marie-Louise Tarral et mon père Guy (tout petit à l’époque, né en 1936) les parents de ma grand mère paternel, famille Vonnaire, Vonaire, Vonère (pas sûr de l’orthographe) avec plusieurs tantes, oncles de mon père furent des réfugiés à la Réole de 1940 à 42, en provenance de Longwy. Je les ai souvent entendu évoquer le souvenir d’une agricultrice chez laquelle ils furent accueillis, madame Jotard ou Chotard…Si jamais, quelqu’un sur ce site avaient quelques renseignements, photos… Comme une bouteille à la mer… Merci… phtarral@orange.fr

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