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Chapellerie La Réole : Monique Berland-Becquet

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Chapellerie La Réole

     Introduction. Des banalités sur la mode du chapeau aux siècles derniers
- 1 La vie d'une chapellerie à La Réole. Origine de 1725 / 1730 jusqu'en 1840 environ. A travers la vie des HUGONENC, quel est le travail d'un chapelier ? Différentes étapes. Les risques (poison : le mercure)
- 2 La fin de cette chapellerie HUGONENC  (le dernier meurt en 1809).  Les repreneurs (CHARRASSE, GUERINEAU). Au début du 19ème siècle. La fin (causes)

    C'était au temps où personne n'aurait songé à sortir sans être couvert : passer le seuil de sa maison sans chapeau constituait une faute de goût, une entorse à la tradition, voire même une provocation pour les voisins.

    On n'en changeait que lorsque "lou capett" (en insistant sur le t final) avait fait son temps : trop petit, trop fané, trop élimé.

    Le chapeau avait, non seulement un rôle de protection contre les intempéries, mais il était aussi, un marqueur social, selon la forme, mais également selon la matière utilisée. 

Au 16ème siècle, les chapeaux en poils de castor produits par le Canada, et donc onéreux, sont remplacés par ceux produits à partir des ressources locales de la France.

Les chapeaux en poil de castor ont été si appréciés qu’ils ont contribué à la forte régression de cette espèce en Europe, mais aussi au Canada, où s'est portée la demande européenne.

    A La Réole, les couvre-chefs étaient faits en feutre de poils de lapin ou de lièvre. Mais dans d'autres régions de France, où la matière première produite en abondance était liée à l'élevage des brebis, les feutres étaient confectionnés à partir de la laine des agneaux : sud / sud-ouest de la France : Pyrénées audoises, Provence, Aveyron...

    C'est pourquoi on peut expliquer une activité chapelière intense dans un lieu, par la "ruralisation" des matières premières.

1) L'aventure humaine

    Dans les années 1720/1725, un jeune homme, la vingtaine passée, arrivait à La Réole : il était  chapelier. L'endroit lui plut, il décida de s'y arrêter. Était-il Compagnon, faisant son "Tour de France" pour renforcer ses acquis appris chez son père et développer diverses techniques pour atteindre une meilleure maîtrise de son art ? Cultivait-il les belles qualités du Compagnonnage, esprit d'amitié, de fraternité, sens de l'honneur, loin des jalousies et des rivalités ?

Les écrits ne le spécifient pas.

    Il venait d'un village aveyronnais, près de Rodez : Le Monastère.

Ce village était réputé pour ses tanneries et ses fabricants de chapeaux de feutre en laine.

En effet, le long de l'Aveyron, s'étaient installés des artisans travaillant la peau et la laine des brebis.

    François HUGONENC (en occitan HIGOUNENC) avait quitté son pays natal (né le 10 novembre 1701), ses parents Jean HUGONENC et Anne ROUBOIS, mariés le 3 novembre 1697 à Le Monastère, et sa jeune sœur Catherine née le 3 mars 1703.

Dans ce village, on comptait pas moins de 28 chapeliers dans la 1ère moitié du 17ème siècle et il avait décidé de fuir cette abondance de concurrents pour tenter sa chance ailleurs.

Sans doute, à son arrivée, se fit-il embaucher par un Maître Chapelier à La Réole ?

Certainement chez Pierre LEGENDRE, marié à Izabeau LARRIEU, cité dans les registres réolais dans ces années-là ?

    Sur place, il fit, bientôt, la connaissance d'une jeune veuve, Marie MEYNIER qui, vaillamment éduquait ses 4 enfants : Marguerite °1716, Catherine °1718, Dominique °1721 et Jeanne °1723, nés de son union avec Michel GAY, Maître Cloutier, décédé en décembre 1724.

    Il l'épousa le 25 octobre  1728.

Mariage de François Hugonenc et Marie Meynier

" L'an 1728, le 25 octobre après avoir publié trois bans au prône des messes paroissiales, par trois dimanches du futur mariage entre François Hugonenc chapelier, fils légitime de Jean Hugonenc et d'Anne Roubois d'une part. Et Marie MEYNIER, veuve de feu Michel Gay, Maître Cloutier d'autre part, tous deux habitants de cette paroisse et n'ayant découvert aucun empêchement, je soussigné Curé leur ai donné la bénédiction nuptiale en présence de Bertrand Dumas tisserand, de Jacques Coutures chapelier, de Jean Fouilloux et d'Antoine Fouilloux, Sacristain, témoins qui n'ont signé pour ne le savoir" Lacourt Curé.

Dès lors, il créa sa chapellerie artisanale dans une pièce aménagée de la maison de Marie. Un poêle pour faire chauffer l'eau et de grosses cuves commandées chez le tonnelier lui suffisaient !

    Courageusement, seul au début, il arrivait à réaliser 2 feutres par jour, en poils de lapin. Ses premières fréquentations étaient des marchands qui écoulaient, à la vente, sa production de feutres : François CHAMBAUDET, Jean SABATIER, Jacques MARSAN, Nicolas LORRAIN.

    Il faut relever que dans les écrits, dès 1732, il est cité comme Maître Chapelier : sa dextérité dans l'art de la chapellerie était désormais reconnue.

    Sa chère Marie lui donna de nombreux enfants : François °1729, Marie °1731, 3 enfants nommés Jean °1732, 1733, 1737, tous décédés en bas âge, et un dernier, Michel °1741.

    Le noyau s'agrandissait. Des amis chapeliers, choisis pour être les parrains de ses nouveaux nés, aidaient à présent dans cet atelier : François RICHÉ, Bernard LAPORTERIE, Jean CABANNES.

2) Le travail du chapelier

    Pénétrons dans cette pièce aménagée et observons les différentes actions des chapeliers pour confectionner leurs feutres. 

    La technique employée est celle du feutrage : elle repose sur la propriété qu'ont les poils de s'emmêler et de s'agglomérer entre eux, quand ils sont soumis à un double mouvement, qu'on appelle foulage. Et quelle est donc l'origine de la découverte de ce procédé ?

    On dit qu'au Moyen Age, les chevaliers de Malte, pour se protéger des meurtrissures, avaient glissé des poils de chameau dans leurs bottes et, avec l'action de la transpiration et du frottement, un feutrage rudimentaire s'était formé.

1ère étape : le "bastissage"

    On "bastit" une cloche : ce ne sera pas encore un chapeau ; elle aura vaguement la forme d'un bonnet. Dans cette étape, on distingue 3 opérations successives : l'arçonnage, le simoussage et le foulage.

a) On coupe le poil des peaux de lapin

    Peau retournée, cuir dessus et poil en dedans. On déplisse la peau et on l'étend. Ensuite, on déjarre : enlever le jarre, c'est-à-dire enlever la pointe grossière du poil pour ne conserver que le duvet. Seul, le poil fin sert au chapelier. 

    On arçonne maintenant. Pour cela, on utilise l'arçon. C'est un arc de 2,50 m environ, suspendu à une petite distance d'une table où sont mis les poils fins. La corde vibrant au milieu des poils les agite et les projette à une certaine hauteur. En retombant, les poils s'enchevêtrent et forment une masse que l'on divise en plusieurs lots : les capades que l'on ébouillante pour leur donner un maximum de consistance.

b) On simousse  

    Le simoussage consiste à réunir, entre elles, 2 capades, voire 3 ou 4. On les place dans une toile mouillée qu'on appelle feutrière mise alors sur une plaque de fer chauffée.

    Le chapelier presse la feutrière et la roule en marchant avec les mains. Il répète et répète cette opération jusqu'à ce qu'elle soit assez consistante. Il croise, décroise l'étoffe sans faire de plis, à chaque marche.

c) On foule et on secrète

    Le travail se fait avec une foule, genre de lavoir. Dans la cuve de l'eau tiède mêlée d'une substance feutrante : à cette époque ci, c'est de la lie de vin, genre de vinaigre. 

    Pendant 4 heures, on foule le feutre dans tous les sens avec les mains nues (des durillons se forment sur les paumes des fouleurs). On presse aussi avec des manicles, espèce de semelles en bois. Alternativement, on trempe la cloche dans cette solution acidulée, puis on foule en faisant de nombreuses "croisées" successives. Puis pour faire sortir le maximum de liquide de trempage, on passe un rouleau de bois. On arrive enfin au stade de : "le feutre est atteint de foule".

2ème étape : le dressage

    C'est afin d'atteindre le brillant et la douceur qui font la beauté d'un feutre, qu'on va l'approprier.

    On ramollit les feutres, à la cave 1 ou 2 jours. Puis on met une toile mouillée et avec le fer chaud on forme de la vapeur d'eau, ce qui rend le feutre plus élastique. On le tire de toutes parts afin qu'il s'adapte bien sur une forme de bois. On mouille le chapeau et au fer chaud on le sèche. Apparaissent alors quelques jarres qu'il faut, bien sûr, arracher. Lorsque le chapeau est bien sec, on le sort de la forme ; il est poli à la pierre ponce et à la peau de chien de mer (petit requin).

Le poil va trouver tout le brillant, tout le lustre et tout le velouté possible. 

Attention à ne pas brûler le poil du feutre ! Bien le soumettre à la vapeur d'eau !

    La garniture des chapeaux est confiée au marchand chapelier qui finalise une tournure et une coupe convenable. Il a souvent recours à une modiste.

    En conclusion, le travail du chapelier est épuisant, harassant, en travaillant près des bacs d'eau chaude acidulée dégageant des odeurs âcres, et foulant pendant 4 heures.

Grâce à ses ouvriers, François HUGONENC produit rapidement une douzaine de feutres par jour.

3) La suite de l'histoire de cette famille

    Combien de générations HUGONENC se sont-elles succédées ?

    "Notre" François meurt en 1765 (il a 64 ans). Puis c’est au tour de Marie MEYNIER d’être rappelée par le Seigneur  à 81 ans en 1774.

    Les fils,  François °1729 et Michel ° 1741, par leur descendance, cherchent à maintenir et même faire progresser cette activité familiale artisanale. Mais, malheureusement, ils se heurtent à un taux élevé de décès de leurs enfants, soit bébés, soit en bas âge. 

    Michel, marié à Marie GENIVAUT en 1769, va perdre 2 de ses filles. Pour François, malgré 2 mariages : Catherine LAMON en 1759, et Pétronille DUPEIRON en 1774, il ne lui reste que 2 enfants en vie en 1800 : François né en 1780 et Marie née en 1781.

    Lors des maladies infantiles, certainement sans médicaments car ils n'avaient pas assez de fortune pour consulter un officier de santé, ils préféraient  consulter un rebouteux qui donnait quelque poudre ou onguent miracle ! Mais, hélas, la sélection naturelle s'appliquait, implacable.

    Michel meurt en novembre 1802, à 61 ans. 

    Entre-temps, des ouvriers chapeliers ont dû gonfler l'effectif. J'ai relevé, dans les archives en 1800 et années suivantes quelques noms de chapeliers qui pourraient travailler chez les HUGONENC, mais il se peut qu'ils soient ouvriers dans une autre chapellerie artisanale de la ville ?

    Louis ASMAR, Jean et Jean-Pierre PARSON, Joseph TIBBAL, Bernard LEYLAUD, Bertrand CHARLOT, Jean CAUBET.

4) Les années noires

    Déjà à Paris, on utilisait, pour secréter, "une eau forte", et on abandonnait la lie de vin, préalablement utilisée. Cette "eau" consistait à dissoudre 3 livres de mercure dans 16 livres d'acide nitrique !!

En 1780, 600 Compagnons chapeliers consomment, à Paris, 6 tonnes de mercure. 

En 1810, la consommation annuelle du mercure à Paris, atteint la centaine de tonnes : c'est de la folie !!!

Bien sûr, cette nouvelle manière de secrétage est  arrivée à La Réole.

    Quelles étaient les réactions nocives du mercure sur les chapeliers?

Être constamment exposé aux vapeurs du mercure empoisonnait le système nerveux des utilisateurs.

    "Fou comme un chapelier" disait-on !!!

Et à La Réole ? Déjà, dès les premières manipulations pour secréter avec la solution mercurielle, il se dégage dans le petit atelier des HUGONENC, une poussière noire, toxique.        Les yeux des ouvriers réolais sont irrités. Ils crachent énormément. Ils ont soif, ils boivent beaucoup, de l’eau de vie souvent !

    Le travail à la foule, dans cette atmosphère chaude, emplie de vapeurs nocives et irritantes, devient vite absolument intenable !

    Apparaissent vite des signes qu’ils ne ressentaient pas avant : sueurs, maux de tête, insomnies, faiblesse musculaire, lenteur dans les réflexes. Les conditions de travail sont déplorables !!

    Irritabilité, dépression, délires, pertes de mémoire, changements de personnalité, telles étaient les manifestations de cette maladie. Les chapeliers usés, malades et fous, ne vivaient pas âgés !

    Mais pourquoi donc avoir abandonné la lie de vin inoffensive et l'avoir remplacée par ces solutions mercurielles ? La santé du chapelier serait-elle moins importante que la brillance d'un feutre ?

Deux cas, parmi la famille HUGONENC,  pourraient se rapporter à ces empoisonnements.

    Comment expliquer le décès de François HUGONENC, le 13 décembre 1808, à l'âge de 29 ans ? Et celui de François CHARRASSE, époux de Marie HUGONENC, le 29 février 1808, à l'âge de 42 ans ? Trop jeunes pour mourir !

5) La chapellerie, à partir de 1810  

    En 1809, le patron de la chapellerie est encore François HUGONENC. 

    Il a 80 ans. Mais en novembre de ladite année, il meurt.

Qui va prendre la direction de cet atelier toujours prospère ?

    François GUERINEAU, né à Poitiers en 1785, chapelier dans cet atelier,  épouse Marie Hugonenc, vendeuse de chapeaux, veuve de François CHARRASSE,  le 22 septembre 1810 et ainsi "hérite" de la chapellerie.

    Il le développe au point d'avoir 70 ouvriers chapeliers travaillant au sein de la chapellerie en 1829. 

    Quelques noms de chapeliers relevés dans les registres en 1820 :  Antoine BERTRIN ° 1784, Etienne CORTIADE ° 1797, Jean CHAMBON ° 1797, Jean BOUCHEREAU ° 1797, Pierre GLANE ° 1779, Antoine LABORDE ° 1795, Michel BIRAC ° 1798, Bertrand DUBREUIL ° 1797, Pierre LESPINASSE ° 1793, Jean MAU ° 1786.


En haut à gauche on aperçoit la cheminée du chapelier

    La cheminée  haute, dépassant les toits de la ville, servait à évacuer les fumées s’échappant des cuves d’eau chaude, et de celles qui contenaient la solution mercurielle âcre, la vapeur d’eau si présente lors de l’opération du dressage et les milliers de poils de lapin qui volaient constamment dans l’espace de travail : c’était insupportable de travailler dans de telles conditions ! Aérer, aérer, telle était l’exigence absolue. De plus, dans le quartier tout autour, des nuisances olfactives devaient absolument être supprimées.

    On peut rappeler qu’en 1823, le gouvernement français avait imposé une norme technique de sécurité. Pour protéger ouvriers et riverains des risques d’intoxication, il était important de ventiler tout local.

    En 1839, elle ne comptait plus que 25 ouvriers !

"La chapellerie à La Réole est déchue" constate, laconiquement, l'historien Michel Dupin.

6) L’aventure chapelière continue…

Chapellerie Tomas
    Certes, c’est le déclin de la fabrication de feutres en poils de lapin. Mais l 'explosion de celle en chapeaux de soie ou de paille. 

    Place, alors, au commerce des chapeaux en paille (famille BECQUET jusqu'à l'incendie dans la soirée du 30 mars 1870 (7) du magasin de Louis BECQUET dans la Grand’ Rue avec malheureusement la perte de tout son dépôt).

    Néanmoins, quelques artisans isolés continuent le flambeau, pour la renommée de La Réole, cité chapelière : Denis SIRON °1835, son fils Pierre Noël °1853. La petite-fille de Pierre Noël, Blanche NEUVILLE, épouse de Pierre Antoine TOMAS, reçoit les formes des chapeaux depuis les ateliers fabricants, et en tant que modiste créatrice, les teint selon les goûts des clientes, et les sublime par l’ajout d’ornements tels que rubans, plumes, feuilles, fleurs, fruits, oiseaux...puis les vend dans dans son magasin, rue de la Vieille Halle, tout au long du 20ème siècle.

Monique Berland-Becquet

Quelques articles en ligne :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelier

https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_2005_num_117_251_7507

Chapeaux, casquettes et bérets : quand les industries dispersées du Sud coiffaient le monde

(7) Incendie du 30 mars 1870                                                                                        

Translation 

On nous écrit de La Réole, le 30 mars : «Un incendie qui aurait pu prendre des proportions considérables, si les secours n'eussent pas été aussi prompts, a éclaté, hier au soir, à La Réole, Grande-rue, dans la maison occupée par M. Louis Becquet, fabricant de chapeaux de paille.

On a eu un instant de sérieuses appréhensions pour les maisons voisines, dont quelques-unes sont vieilles et légèrement construites.

Grâce au dévouement de la population, qui était tout entière sur pied; grâce surtout au courage et à l'intrépidité de nos sapeurs-pompiers, le feu a pu être localisé, et seule la maison Becquet a été la proie des flammes.

» Dans cette pénible circonstance, comme toujours, chacun a fait son devoir, et fort heureusement personne, nous  quantité de marchandises, et on n'a pu en sauver qu'une insignifiante partie, Pas du tout de mobilier.

L'immeuble était assuré à la compagnie la Paternelle.-B..


2 commentaires:

  1. Très intéressant cet article, richement documenté, on en apprend des choses sur les chapeaux ! Chapeau à la rédactrice, Merci

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  2. Récit enrichissant sur le métier de chapelier. Belle découverte de cette profession au 19° siècle et siècles précédents.
    Regret que la famille Becquet ne soit pas davantage mise en avant. Plusieurs de ses membres ont eu un rôle important à La Réole; la municipalité a d'ailleurs donné ce nom à une de ses rues.
    Mais belle recherche, merci Monique !

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