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Réfugiés-la-réole-en-1940 Scoutisme pendant la Guerre Encore des corrections à faire au texte de LD...( desolée...) 1) La Réole est pleinE d...

A finir - Journal de Guerre 1939-1945 de Louise D.


Encore des corrections à faire au texte de LD...( desolée...)

1) La Réole est pleinE de soldats...
2) ; les canons, des mitrailleuses D'avion
3) début 1942, METTRE EN ITALLIQUE de  : [formation d un groupe de resistants.... Gaucher se met au service de réseau Wheelwright ].
4) atteindre Tierange. SUPPRIMER :  (??AL)
5) une épicière paye une amende...pour avoir vendu DES. ..
6) 24/08/44  : DropT
7) note sur Rigoulet : fait rentreR

Mme D. , originaire du Nord de la France, ayant séjourné auparavant plusieurs mois à Dinard, s'est réfugiée, lors de l’exode de 1940, avec toute sa nombreuse famille, à La Réole où habitait une de ses parentes.

Année 1940

Jeudi 13/06/1940 - Dinard
    À 4 heures ½, lever général. Mise des bagages dans le coffre de l’auto et sur son toit, où trois matelas sont déposés, ainsi qu'un paquet de vêtements et de couvertures, plus deux grosses valises. Nous nous entassons dans la voiture, après avoir dit au revoir à nos cinq filles, les bénissons et les lançons dans la grande aventure avec les larmes aux yeux. Arriveront elles à passer la Loire ou bien la Bretagne sera-t-elle coupée avant leur arrivée à Nantes ?


    Nous voilà sur les routes, ne sachant pas si nous pourrons atteindre notre but : La Réole, presque à l'autre bout de la France. Nous échappons à l'encombrement des routes, les heures du matin étant précieuses. Nous évitons Rennes et nous nous arrêtons à Redon. Puis direction Nantes, nous roulons facilement ; on nous donne même de l'essence sans bons et y arrivons à 3 heures ; les enfants ( les cinq filles ) doivent arriver à 3 heures ½ en train, mais il a du retard, nous perdrions trop de temps à les attendre et nous continuons. La Loire est franchie, ouf ! Mais les enfants y arriveront elles ?

    Nous logeons à Saint-Fulgent ( près de Cholet ), tout petit village où les réfugiés sont bien accueillis. Dans une ancienne école, sont aménagés des lits avec draps. Nous prenons un repas dans une vaste salle aux longues tables avec de nombreux dîneurs.

Vendredi 14/06/1940 - Saint-Fulgent
    Satisfaits de la nuit, nous nous remettons en route, les autos sont plus nombreuses. Nous mangeons les provisions emportées, dans un petit débit de boissons au bord de la route.
   Un gendarme nous arrête, il veut nous empêcher de continuer, Bordeaux étant embouteillé ; l'entrée de la Gironde est défendue. Malgré ses ordres, nous passons, mais sommes déviés, un peu plus loin, de la route nationale ; nous irons par Jonzac. Les derniers kilomètres nous semblent démesurément longs.
    Nous avons, sans aucun accroc, franchi les 650 km de Dinard à La Réole, chargés à bloc et suivis de la remorque bondée, elle aussi.
On nous avait dit en route que les Allemands étaient à Paris ; nous n'avions pas voulu le croire, mais ce soir, Paris a été déclarée ville ouverte et ne sera pas défendue.
    Quelle honte pour notre pauvre pays ! Hitler à Paris !
    Les troupes se sont battues depuis des jours pour aboutir à ce résultat et le sacrifice de cette jeunesse allemande n'a pas été inutile. Hitler, cet ancien peintre en bâtiment, ce raté, ce caporal de la guerre de 1914, cet homme qui a assassiné et fait disparaître tous ceux qui pouvait le gêner, cet homme dont l'ascension n'est qu'une suite de crimes, est à Paris !
    Les communiqués donnent des nouvelles des armées françaises tenant héroïquement Reims, sans jamais plus parler des Anglais, ou seulement pour quelques faits d'aviation. Quant à l'armée belge, elle n'est même pas mentionnée. Dans notre voyage, nous avions remarqué le long des routes, étendus, des soldats belges et aussi des Polonais ; pourquoi ne les envoie-t-on pas se battre sur la Seine ?

    À La Réole, la propriété est jolie, très ancienne, située sur une hauteur, dont le parc très boisé s'étend sur les pentes. Nos cousins avaient acheté, dix ans auparavant, cette propriété en prévision de la guerre. Depuis un an, un de leurs fils y était fixé, se destinant à l'agriculture.
    Toute la journée du 15, nous avons cherché un logement, ce qui n'est pas facile, la demande étant importante.
    Je m'inquiète le dimanche : où sont nos cinq filles ? Elles arrivent enfin à 5 heures. Elles n'ont pas mauvaise mine et leur route s'est faite sans accident. Elles sont passées par Cognac chez une amie, dont le frère travaille au ministère à Bordeaux ; il parle d'un armistice.
Nous nous refusons à le croire. (Ce qui fut fait le 18/6/1940).
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Évacuation de Dinard à La Réole - Juin 1940 - en bicyclette :
Cinq filles, cinq vélos, cinq sacs à dos ( récit de Denise D. )
Geneviève-24 ans, Annette-21 ans, Bernadette-17 ans, Denise-15 ans, Maguy-13 ans

Mercredi 12/06/1940
    Depuis le 11 juin, les Allemands étaient arrivés à Rouen et commençaient l'encerclement de Paris. Les parents sont inquiets et pensent qu'il est temps de descendre dans le Sud, mais déménager quatorze personnes n'est pas chose aisée. Les bagages sont préparés. Les cinq aînées partiront en train, autocar, à défaut en vélo. Quatre adultes (les parents, le grand-père et sa dame de compagnie), quatre enfants et la bonne s'entasseront dans la voiture, tractant une remorque.
    L'affluence des voyageurs au train de 4 heures nous empêche d'enregistrer les malles et les vélos. Donc, ce n'est que jeudi matin que nous partons.

Jeudi 13/06/1940
    À 6 heures ½, nous nous séparons des parents, le cœur gros.
    Première émotion, le conducteur de l'autobus ne veut pas prendre nos vélos. La femme du café crie sur lui, téléphone au bureau de Rennes et nous lui disons que c'est à nos risques et périls. Enfin, deux aviateurs hissent les vélos sur le toit et le bus démarre.
    Rennes, où nous arrivons à 10 heures, est gardée par les Anglais. Nous devons prendre le train à midi, mais nous apprenons qu'un autocar part à 11 heures ½ pour Nantes. Geneviève décide de le prendre, pouvant mieux surveiller nos vélos que dans la cohue des réfugiés parisiens affluant à la gare.
    Aux portières du bus, quatre-vingt-dix personnes ( pour trente places ! ) se pressent, mais tout le monde entre. Nos vélos rejoignent le toit de l'impériale, nous respirons, car sinon nous serions redescendues. En route, rares étaient les personnes qui descendaient, mais il y en avait toujours qui attendaient à chaque arrêt. Aussi, on se serrait toujours un peu plus ; il fallait s'accrocher aux barres d'appui très hautes et très incommodes ( crampes ).
Quand il n'y eu plus de place, le receveur décida que seuls les militaires seraient acceptés.
    À la sortie de Rennes : barrage et contrôle (mal fait) ; tout le monde doit descendre ; concert des bébés criant tous à l'unisson ( et ainsi à chaque arrêt de l'autocar ).
    À l'entrée de Nantes, Maguy voit la voiture des parents devant nous ; le conducteur de car n'arrive pas à la rattraper, les parents roulent trop vite !

    À Nantes, les habitants sont tous en émoi à cause de l'alerte de la veille. À peine descendues du car, nous faisons à nouveau la queue pour celui de La Rochelle. Cette ville fait partie de la liste marquée sur un carton, porté à la ceinture de Geneviève ( nous n'avons aucune carte de France avec nous ). Nous n'avons pas le temps d'avaler notre repas, qui se trouve dans une petite mallette, car les valises doivent monter sur le toit du car. Quand tous les colis sont placés, on ouvre les portières : c'est la bousculade pour avoir une place assise. Avant le départ, Annette court chercher du pain et des oranges et ne revient qu'au dernier moment !
    On laissait monter, en premier, ceux qui allaient au terminus, c'est ce qui nous a sauvés à Rennes et à Nantes. Le voyage prit cinq heures et depuis 10 heures du matin, nous n'avons mangé que deux morceaux de pain et une orange. Les faubourgs de la Rochelle me font penser à une ville africaine avec ses maisons misérables, blanchies à la chaux, recouvertes d'un toit très plat.
    Nous cherchons le centre d'accueil. On nous apprend qu'un autre centre est plus accueillant. Malgré notre fatigue, nous y allons en vélo : deux chaînes sautent et le guidon d'un autre, abîmé pendant le voyage, est plié en deux ! Nous nous installons dans un coin d'une grange et déballons nos provisions dans la demi-obscurité, mais nous n'avons pas faim, trop fatiguées. Enfin le bouillon promis arrive, distribué par le curé. Nous l'aidons à servir. On nous conduit ensuite dans la salle des fêtes, couverte de paille. Nous nous couchons sur nos manteaux, prêtant nos couvertures pour des bébés.

Vendredi 14/06/1940
    Réveil à 6 heures ½ : l'autobus doit ramener tout le monde en ville.
Nous nous débarbouillons à la pompe, prenons un café au lait offert aux réfugiés, attachons nos sacs sur nos porte-bagages et en route ! Nous continuerons en vélo, le car est trop cher et fatiguant.
Nous sommes bien loin de la Loire, il n'y a plus de danger ; le temps est beau, la route est belle.
    À La Rochelle, nous prenons un solide petit déjeuner ; un jeune homme nous accompagne jusqu'au croisement de routes pour Royan, où il se rend. Nous nous dirigeons vers Cognac, où habite une connaissance de Geneviève. Mais il est 4 heures et nous en sommes à trente kilomètres !
    Après une descente formidable, un brave camionneur nous prend avec lui ( il nous avait déjà croisées auparavant ). Nous passons Saintes avant d'arriver à Cognac (où il habite). Il nous dépose chez la dame.     Nous nous lavons et changeons de robes ( toutes fripées ). Après un excellent souper, nous avons enfin la permission de nous retirer. Le lendemain, le camionneur vient nous proposer de nous mener le mardi suivant à Libourne et même à La Réole, mais nous ne voulons pas abuser de l'hospitalité de notre hôte et nos parents seraient inquiets.
    D'ailleurs, ce matin, une famille juive, puis une anglaise de onze personnes sonnent à sa porte.

Samedi 15/06/1940
    À 7 heures ½, on nous réveille. Il faut se dépêcher de partir, avant les convois de réfugiés parisiens circulant sur les routes. Nous déjeunons, rattachons tout notre barda sur les vélos, embrassons tout le monde et direction Libourne ( 90 km ).
    Nous pique-niquons sur le bord de la route ; des soldats du Vingt-Deuxième non loin de nous, nous offrent du pain et de la boisson. Ils vont à La Réole ! Nous repartons, mais une averse terrible nous oblige à nous abriter sous les arbres, puis dans une ferme. Nos hôtes préparent un grand feu de bois dans la cheminée et rapidement nous sommes réchauffées. Ils nous offrent à boire du lait.
    La pluie ayant cessé, nous reprenons la route Paris-Bordeaux avec ses nombreux camions et voitures.
    En nous rapprochant de Libourne, nous rencontrons de nombreux soldats, dont la ville est pleine à craquer. Nous nous arrêtons, alors, à Saint-Denis-de-Pile, cinq kilomètres avant Libourne. Ne trouvant pas le maire, nous allons chez le curé qui est affolé à l'idée d'avoir cinq filles à loger : il a déjà des réfugiés chez lui. Il nous envoie chez le garde champêtre, mais sur le chemin, une brave femme nous offre l'hospitalité. Le curé vient apporter deux bouteilles de vin et paie notre lait du lendemain, car la famille est pauvre. Le vin nous monte à la tête, ce qui détend les nerfs et nous permet de passer une bonne soirée chez ces gens peu habitués à voir du monde.
    Le mari lève la séance vers 11 heures : "Il est temps d'aller faire manger les puces, chacun à son tour" et il recommande d'aller " pisser " avant de monter. Bernadette demande où est le water à la petite fille,     qui ne comprend pas. Sa sœur nous conduit au bord du canal :
"C'est là" et elle s'installe pour donner l'exemple. Puis nous montons nous coucher. Les puces étaient nombreuses et avaient faim ! Ce n'est rien, ce n'est que la connaissance du Midi !

Dimanche 16/06/1940
    Messe à 8 heures ½. Puis, nous quittons le cantonnier et sa famille, remercions le curé et en route.
Le temps, un moment à la pluie, tourne au soleil éclatant du Sud de la France ; la route s'allonge sans ombre, mais qu'importe, ce soir nous verrons nos parents.
    La montée de Saint-Jean-de-Blaignac est dure, il est midi et nous la faisons à pied. D'en haut, nous avons une vue splendide, mais nous avons terriblement soif. Annette se décide à couper des citrons et nous suçons avec délice plusieurs sucres trempés dans le jus.
    Devant nous, deux jeunes gens en tandem se reposent aussi ; nous leur offrons notre rafraîchissement. Pour nous remercier, ils nous proposent de changer de vélos. Geneviève et Bernadette prennent le tandem, ce qui les repose bien et nous repartons. Mais bientôt, nous avons faim. Nous nous installons à l'ombre. Les jeunes gens nous quittent pour aller chercher à manger et reviennent bientôt avec deux bouteilles ( vin et limonade ) et des biscuits. Nous bavardons tout en pédalant, quand l'un de leur pneu crève. Ils réparent et prennent en charge le sac à dos de Maguy.
    Ils décident de nous accompagner jusqu'à La Réole avant de rentrer près de Bordeaux.
    C'est la première fois que nous entendons l'accent chantant du Midi : ils parlent très vite et je ne comprends pas grand chose à leurs discours. Averse à Sauveterre-de-Guyenne, qui nous donne le temps de souffler un peu, car en tandem, on file ! Le pays vallonné est magnifique, avec de beaux arbres et des terres cultivées. Il y a des sapins ( !! ) à la bonne odeur.
    Bientôt, voici La Réole.
    Notre dernière montée est celle de la propriété, où nous retrouvons notre grand-père, mais pas nos parents ayant trouvé un logement ailleurs. Les cousins nous font goûter, offrant des rafraîchissements aux deux cyclistes. Avant que les jeunes partent, nous échangeons nos adresses.
Nous avons parcouru 300 km pendant trois jours... ]

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Suite du récit Mme D. - La Réole
    Nous avons l'espoir de pouvoir louer en ville une grande maison de 1776 chez une vieille dame, Mme de Sangue - 42 rue des Écoles - ce qui sera fait le 19 juin, la propriétaire se réservant deux pièces ; la maison possède un bel escalier, dont la rampe admirable est en fer forgé, un seul robinet d'eau, un cabinet ( grand luxe dans le Midi ) et un jardin, où se trouve un puits, un potager et de grands arbres ; de grandes caves voûtées. C'est la peur d'avoir des troupes et des officiers à loger qui a poussé la propriétaire à nous la louer.
    La Réole est pleine de réfugiés et il en arrive de plus en plus tous les jours, plein de soldats, de camions et voitures de toutes sortes.

Jeudi 20/06/1940
    Nous assistons à la déroute de l'armée française ; nuit et jour, des autos descendent vers le sud : c'est un roulement ininterrompu, de 4 heures du matin à minuit ; des familles en fuite dans des voitures chargées, sur les pare-chocs desquelles, sont parfois accrochés des valises ou des vélos ; des camions militaires transportant des soldats ou encore des femmes et enfants, des vélos, des motos ; puis les canons, mitrailleuses, des avions...
    Tous ces gens sont fatigués, ont des mines épouvantables. Tout le long de La Réole, les oisifs sont assis, regardant et commentant les passages.

Dimanche 23/06/1940
    Bordeaux a été bombardé et il y a beaucoup de dégâts. Les Bordelais, malgré l'ordre de ne plus évacuer, filent en voiture, s'ajoutant aux files interminables qui descendent toujours.

Lundi 24/06/1940
    Les Allemands sont à Royan et près de Saintes, ils arrivent. La Réole se défendra, n'étant pas ville ouverte ( moins de 5.000 habitants ), que faire ? Depuis deux jours, nous hésitons.
    À 4 heures, nous entendons une femme crier dans la rue : les Boches sont à Duras. Nous aménageons la cave, si nous devons y chercher refuge. Je remets, près des lits des enfants, chaussures, sacs à dos, manteaux chauds. Nous ne bougerons plus, quoiqu'il arrive. On luttera pour le grand pont sur la Garonne et ce sont peut-être des obus français que nous recevrons ! La nuit se passe sans alerte.

Mardi 25/06/1940
    Cessation des hostilités, la guerre est finie. On ne se bat plus depuis cette nuit à 0 heure 35.
Chez un épicier en gros, mon mari a fait de grandes provisions. On achète des tapettes à souris pour les préserver de ces bêtes qui pullulent dans la maison.

Mercredi 26/06/1940
Le gouvernement quitte Bordeaux et l'on recommence à voir le défilé des voitures, mais maintenant dans les deux sens : les Bordelais rentrant chez eux et les réfugiés, dont de nombreux Juifs, descendant au sud.

Jeudi 27/06/1940
    Messe solennelle pour les morts de la guerre. L'église est pleine et l'on voit des mouchoirs essuyer les larmes.
Le temps est magnifique ; les grandes vont, depuis quelques jours, travailler dans les vignes : il faut les lier, couper les rameaux...
Nous attendons avec anxiété la ligne exacte de démarcation. Les journaux sont plein d'adresses de personnes cherchant à se retrouver ; cela dure depuis des jours.

Vendredi 28/06/1940
    Quel soulagement : nous sommes à 10 km de la ligne de démarcation en zone libre. Ce matin, mon époux est allé à la pêche, sans butin, naturellement.
Mes deux grandes font des veilles de nuit à l'hôpital.

Dimanche 30/06/1940
    Nous allons passer l'après-midi chez les cousins. Il y a des soldats partout, qui sont logés dans la paille ; ils traînent, n'ont rien à faire, se font de belles cannes à pêche avec des roseaux ; ils saccagent beaucoup et les arbres fruitiers sont délestés de leurs fruits avant maturité.

Lundi 01/07/1940
    Les journées commencent à être bien longues : très peu de courrier, de raccommodage, les enfants ne portent plus de chaussettes, donc pas de trou. La cuisine est faite par deux aides, qui se débattent avec de grandes marmites de soupe, de légumes à faire chauffer sur la cuisinière à bois, dont il faut sans cesse surveiller et renouveler le combustible. Nous sommes quatorze et tous ont bon appétit.
 La soupe se fait pour deux jours et nous en mangeons midi et soir. Nous avons trouvé assez de légumes dans le potager, haricots verts, salades, oignons, artichauts, ail que nous apprenons à aimer et c'est bien heureux, car les marchés sont bien peu fournis. Les revendeurs, les soldats raflent les maigres rations qui y sont apportées : on ne donne qu'un kg de pommes de terre par personne, une seule livre de riz par famille, une petite boîte de sardines, etc...
Il faut que j'envoie les enfants, les unes après les autres, pour avoir des provisions un peu raisonnables.
    Le pain n'est pas rationné, mais il est dur et donne la diarrhée. La viande est abondante, on peut même en avoir tous les jours depuis huit jours ( auparavant, existaient des restrictions - incohérence de l'administration ) !
    Le soir, plusieurs soldats nordistes hospitalisés viennent nous dire au revoir, ils sont tout joyeux, ils pensent pouvoir partir le lendemain. Ils se sont procurés des habits civils, mais ne savent comment ils feront la route : à pied, en train, en camion
    L'un d'eux nous raconte son histoire : il ne connaissait pas ses chefs, ne vivant pas assez avec leurs hommes. Il était de l'armée Corap.
[ La Neuvième armée du général Corap devait défendre la Meuse, de Givet à Namur. Or, seules ses avant-gardes, trop faibles, se sont installées sur les hauteurs qui dominent la rive gauche. Encerclées par les Stukas et les chars, elles se replient sur le gros de l'armée et sèment la panique. La voie est libre vers Paris. ]
    Lui et ses compagnons ont eu de suite l'impression que quelque chose clochait. Il a été blessé très vite. Un prisonnier de 18 ans venait de leur dire que dans dix minutes des parachutistes allaient les encercler. Il aperçut alors un homme, sorti dont on ne sait d'où, qui agitait un drapeau rouge et immédiatement des parachutistes descendirent en tirant de tous côtés sur les Français.
    Ceux-là faisaient de leur mieux près de leurs mitrailleuses, quand survint un ordre de se retirer. Comme un ordre oral n'a pas de valeur, lui continua à tirer, mais s'aperçut subitement qu'il était seul. Un Boche le visa, il se sentit touché et tomba la figure en sang. Il dut s'évanouir un moment, puis revenu à lui, il se rappela du paquet de pansements qu'il avait avec lui ( beaucoup, pour s'alléger, avaient tout jeté) ; il se banda la tête et évita ainsi la mort. Autour de lui, le petit bois retentissait de gémissements ; il se mit à ramper pour trouver du secours au poste : deux brancardiers le prirent, mais, lors d'une alerte, se sauvèrent en l'abandonnant sur le brancard. Enfin, il est envoyé en camion dans un hôpital.
    Il se trouvait à Tours lors du bombardement de la ville ; ils furent évacués par train, qui stationna pendant cinq heures près d'un transport de munitions ! À Rennes, le lendemain de notre passage, il y eut d'énormes dégâts : en gare, trois trains se trouvaient côte à côte, un de réfugiés, un de blessés, un de munitions. Des obus sur le train de munitions firent tout sauter…

Mardi 2/07/1940
    Les soldats n'ont pu partir : contre-ordres !
    Mon mari se demande si nous ne ferions pas bien d'acheter ici une petite maison qui servirait pour les vacances plus tard et dans laquelle nous laisserions beaucoup d'objets, car il est épouvanté de tout ce que nous traînons. Le mardi est jour de lessive : les mauvais moyens de chauffage nous font perdre plusieurs heures : trempage, échaudage, frottage, séchage. Le temps est beau, nous avons réuni le bois mort du jardin et nous essayons, dehors, de faire bouillir la lessive à la mode du pays.

Mercredi 3/07/1940
    Bernadette a décidé de faire un stage d'agriculture. Elle ira tous les jours dans une métairie des cousins et aidera aux différents travaux d'exploitation.

Jeudi 4/07/1940
Une nouvelle stupéfiante circule : les Anglais ont sommé nos navires se trouvant dans la rade de Mers-el-Kébir de se rendre. Devant le refus de l'amiral, ils ont ouvert le feu. La France rompt ses relations diplomatiques avec l'Angleterre.
    Nous n'y comprenons rien ; n'est-ce pas encore une ruse d'Hitler qui est à la base de cette mésentente?

Vendredi 5/07/1940
    La circulation des autos particulières est totalement interdite, aussi bien en zone occupée qu'en zone libre ; on ne trouve d'ailleurs plus d'essence. Seuls les militaires en ont et la gaspillent encore.
    Samedi, on a vendu des quantité de fruits formidables. Les Allemands refusent de laisser sortir les marchandises pour la zone occupée et c'est ainsi que ces fruits sont vendus très bon marché ( pêches, abricots ).

Dimanche 7/07/1940
    Le temps est détestable : pluie, vent, peu de soleil. Tout l'après-midi, nous jouons aux cartes, enfermés comme aux plus mauvais jours de l'hiver.
    Une grêle très dure tombait, les grêlons descendaient même par la cheminée.

Vendredi 12/07/1940
    J'avais très peur de trouver des serpents par ici, des mouches, des moustiques et des puces ; j'avais du Midi un tableau peu attrayant. Pour les puces, nous en sommes bien fournies.
    Mes deux filles travaillant à l'hôpital, nous en rapportent en abondance. Par contre, nous avons peu de moustiques. Nous ignorons encore s'il y aura une nouvelle ligne de démarcation et nous attendons anxieusement.

Dimanche 14/07/1940
    Nous n'avons presque plus de beurre et bien des choses nous manquent.
Messe de Requiem ; le temps est frais.

Lundi 15/07/1940
    Orage, pluie, froid. Ma fille revint de l'hôpital en annonçant la prochaine arrivée des Allemands pour le 26, nous sommes émotionnés, mais heureusement, c'est un faux bruit.

Vendredi 19/07/1940
    Mon père n'aime guère ce pays, aux rues trop pentues. Il trouve que les femmes sont toutes petites, maigres, sèches, noires avec une peau très jaune. Elles portent de grands tabliers noirs pour avoir à les laver moins souvent - déclare-t-il. C'est vrai que leur abord n'est guère souriant.
    Quelques unes portent un petit tuyau noir, rond, sur la tête en guise de coiffe ; j'ai vu l'une d'elle poser dessus une dentelle pour aller communier, la retirer ensuite et la plier avec grand soin.
    Les enfants jouent dans la rue, car La Réole, comme les anciennes villes fortifiées, a vu les maisons se serrer les unes sur les autres et les jardins particuliers sont rares. Les enfants jouent sur les trottoirs ou autour de rigoles profondes, qui servent à l'écoulement des eaux ménagères. ( Dans le Nord, l'eau de l'évier va directement sur la rue et descend dans la rigole jusqu'à une bouche d'égout ). Les vidanges des toilettes, heureusement, n'emploient pas ce chemin ( il y a des fosses septiques ). De sorte que les rues sont tout de même propres, des mouches n'y pullulent pas et les enfants bien tenus, même coquettement vêtus, ne donnent pas à la ville un aspect de triste pauvreté. Il y a près de la mairie, une terrasse, qui domine la Garonne, mais elle est réservée aux blessés de l'hôpital, installé dans le lycée.
    En bas de la ville, un immense terre-plein, le long du fleuve, sert pour les marchés. Quantité de voitures de l'armée, d'autos de réfugiés y ont trouvé place. Au début du mois, les quais de la ville ont été inondés. Il a tant plu cet été que la Garonne est montée de quatre mètres, entrant dans les maisons. Cela a duré trois jours, puis subitement a suivi la décrue.

Dimanche 21/07/1940
    La démobilisation a débuté, mais les démobilisés français ne doivent, pour rentrer en zone occupée, pas porter d'uniforme et voilà tous ces pauvres gens à la recherche d'habits civils.
    Le rapatriement des réfugiés de Seine, Seine et Oise, Seine et Marne a commencé, mais on décongestionne en premier les régions surpeuplées comme Toulouse, Clermont-Ferrand, Royat, Privas...

Jeudi 25/07/1940
    On apprend que bien des cartes postales de prisonniers arrivent et les familles qui n'ont pas encore de nouvelles commencent à désespérer.

Dimanche 28/07/1940
    La bascule de la gare est abîmée, on peut se peser gratuitement ( perte de poids important pour toute la famille ).

Mardi 30/07/1940
    Le ravitaillement occupe une partie de mes journées : la boucherie est encore bien approvisionnée, mais pas le reste ; on fait le tour des magasins et on s'accommode de ce qu'il y a ( beurre, fromage, thon, sardines en boîte sont difficiles à trouver ; l'alcool à brûler se donne en cachette ; café, huile sont absents ).
    Le jardin nous a, heureusement, fourni haricots, deux bons plats par semaine depuis notre arrivée. Nous commençons à manger des pommes de terre, nous avons épuisé les salades. Les arbres nous donnent beaucoup de fruits ( poires, pêches, groseilles ). Le marché en regorge aussi ; il est un peu mieux achalandé depuis que les réfugiés et soldats commencent à partir ( mais ni œufs, ni pâtisserie, ni pommes de terre. Par contre, il y a de la volaille, des cochons, des veaux, bœufs, malgré les réquisitions faites par les soldats ).
L'exode recommence, la route est sûrement ouverte. Les ondes de la TSF sont brouillées.

Jeudi 1/08/1940
    La correspondance est coupée entre les régions occupée et libre. Tout le courrier, qui arrivait à La Réole, passe maintenant par Bordeaux pour être trié. La Réole est désormais rattachée administrativement au Lot-et-Garonne.
[ L'implantation de la ligne de démarcation bouleversa le service postal. L'ordonnance allemande du 18 juillet 1940 instaura une réglementation particulièrement sévère. Suspendue en août, la correspondance privée est rétablie dès septembre 1940. Elle se limite à des cartes interzones, qui se présentent sous la forme d'un texte pré imprimé de douze lignes d'ordre familiale, à biffer. Puis, rapidement est assouplie cette législation avec des cartes où il est autorisé d'écrire sept lignes; puis réapparurent des cartes ordinaires à partir de l'automne 1941. ]

Samedi 3/08/1940
Une journée de ravitaillement :
À 7 heures ½, une fille va au marché et réussit à trouver six œufs et un morceau de fromage.
À 8 heures, je vais chez le boucher, petite queue ; j'y prends du bouillon, puis je vais au marché pour les légumes.
À 8 heures ½, deux autres filles vont chercher du lait et une troisième va faire la queue, une heure, pour les légumes du bouillon ; elle y retourne vite, car elle a vu que l'on servait de l'huile et du saindoux
 ( nouvelle queue de ¾ heure).
Deux autres filles ont attendu inutilement dans deux magasins : pas de saindoux.
Ce soir, il faudra aller chez le boulanger chercher les 6 kg de pain habituels.

Dimanche 18/08/1940
    Le temps n'a pas été clair aujourd'hui ; on aurait juré, à voir ce ciel gris, qu'un orage allait éclater le soir.
    Il parait que ce sont d'énormes dépôts d'essence, incendiés à Pauillac par les Anglais, qui sont à l'origine de cette brume.

Vendredi 26/08/1940    
Notre rue est débarrassée du va-et-vient continuel d'autos venant voir le commandant de la ville, logeant à l'école en face de chez nous. Nuit et jour, claquements de portières, bruit de klaxons nous dérangeaient.

Fin septembre 1940
    Il n'y a plus guère que les familles de réfugiés de la zone interdite qui sont encore en France libre.
Le courrier est toujours interdit, mais un trafic lucratif s'est constitué. Nous avons recours à des personnes très dévouées qui rendent le plus possible de services en risquant gros, complètement désintéressées ; celles-ci ont droit à toute notre reconnaissance.
    Bernadette part dans une école de fermiers ( vers Marvejols ) et les petites sont à l'école communale, les trois autres vont au lycée mixte. Quelle éducation différente de celle qu'elles ont reçue jusqu'à présent et que la guerre a d'imprévus !
    Nous cherchons toujours une propriété à acheter, mais il y a beaucoup d'acheteurs et peu de vendeurs : chacun, craignant la dévaluation, veut placer son argent plus sûrement.
    Annette travaille toujours à l'hôpital où il n'y a plus que des malades civils moins intéressants, mais sur lesquels elle fait un apprentissage différent.
    Nous avons fait des approvisionnements de bois pour tout l'hiver, ainsi que des réserves alimentaires ( 100 kg de riz et 100 de semoule ). Le régime des cartes est établi ; on a droit par mois à ½ savon de Marseille, à très peu d'huile et graisse, 60 grammes de viande par jour ( avec l'os ! ). Le pain n'est que de 350 grammes. Cela va devenir effrayant cet hiver. On fait la queue pour obtenir un kg de pommes de terre par personne chez le seul marchand qui en vend, mais trouvant que cela ne lui rapportait pas assez, il oblige ses clients à acheter une denrée supplémentaire. Chacun, chez nous, défile et a sa corvée de pommes de terre une fois par jour, mais il faut s'ingénier pour trouver l'achat supplémentaire. Nous avons maintenant quantité de sel, poivre…

Dimanche 10/11/1940
    L'achat d'une propriété est conclu : 1,7 hectare de terre avec vigne, tabac, saules, pré et une petite ferme. Le rationnement a remis de l'ordre dans les approvisionnements ; nous grossissons.

Dimanche 1er/12/1940
    Il fait bien froid (- 4° ce matin) ; le 24 novembre, nous goûtions sur la terrasse des cousins, bras nus au soleil !
    La Garonne a débordé, en une nuit elle est monté de huit mètres. La route nationale est barrée en maints endroits. Le fleuve a rejoint le canal, distant de deux kilomètres ; les maisons émergent de l'eau, s'étendant à perte de vue.

Vendredi 6/12/1940
    Avec le système de tickets, nous avons juste ce qu'il nous faut, car nous profitons du nombre.
Mais les pommes de terre ne se vendent plus depuis deux mois, c'est une énorme privation pour beaucoup. Notre réserve s'épuise. On vivrait de carottes, de choux, de navets et salades comme les lapins, si je n'avais ces provisions. Heureusement, les abats se vendent sans ticket.
    La pâtisserie est encore en vente libre, trois jours par semaine, mais son prix nous en éloigne. Nos desserts se composent de fruits ou parfois de crème de tourteau ( aliment réservé aux animaux jusqu'à présent ), mélangée avec de la farine, du lait écrémé et du sucre. Le goût est acceptable.
    Bien des régions manquent de lait, il y en a heureusement suffisamment ici pour qu'en plus du quart de litre pur réservé aux enfants en dessous de treize ans, nous puissions avoir deux litres de lait écrémé.     Ce lait et notre café de glands torréfiés nous donnent, avec le pain sans beurre, un déjeuner suffisant, car une casserole de semoule est préparée chaque matin.
    Lorsque le pain arrive du boulanger, on coupe à chacune sa ration de la journée ; un petit drapeau avec ses initiales en marque le propriétaire et chacune y taille à sa volonté. Si l'une en chipe à l'autre, je fais rendre un morceau cinq fois plus grand, aussi n'essaye-t-on pas de s'approprier une miette.
    Voilà deux mois que nous n'avons plus d'œufs. Le peu de beurre est pour les deux dernières ; il est pris avec les tickets d'huile et de graisse.
[ Fin 1940 : nomination d'un vicaire général à La Réole pour représenter l'évêque de Bordeaux ( en zone occupée ) pour la Gironde Libre. ]

Année 1941

Dimanche 5/01/1941
    Le froid a repris ; après une accalmie de 8° au dessus de zéro, nous repassons à - 6° ; le vent pique, notre grande maison est glaciale. Charbon, bois fondent dans le feu et pour nous réchauffer nous dansons, faisons des rondes et des jeux. Nous avons des engelures et il faut pourtant aller aux provisions, chercher ma carte de charbon, donnant droit à 25 kg par personne et par mois. Ma fille perd deux après-midi au changement des cartes de tickets.
[ Face aux difficultés de la vie quotidienne, le gouvernement instaure les cartes de rationnement et autres tickets d'alimentation ( pain, viande, poisson, sucre, matières grasses, etc…) ou non alimentaires ( produits ménagers, vêtements, etc…). Même le tabac et le vin furent rationnés. Chaque Français était classé par catégorie en fonction de ses besoins énergétiques, de l'âge, du sexe et de l'activité professionnelle et recevait la ration en rapport à leur catégorie ( E : les nouveau-nés, V : les vieillards, J : les jeunes, A : les adultes). La couleur des tickets variait en fonction du produit : violet pour le beurre, rouge pour le sucre, brun pour la viande, vert pour le thé ou le café. ]

Vendredi 17/01/1941
    La situation a changé : le charbon ne s'obtient que rarement et après de longues queues pour 50 kg à la fois. S'il y en a, un matin, aussitôt des nuées de brouettes s'acheminent des environs et de la ville vers le commerçant et il n'y en a pas pour tous. Que de brouettes, que de pots à lait dans la ville !
    Parfois, on fait la queue sans savoir ce qu'il y a à acheter.
Les juifs ne vont plus pouvoir être propriétaires d'aucun commerce ni industrie.
    La situation des prisonniers empire ; après un mois d'arrêt d'envoi de colis, il est défendu maintenant d'en envoyer sans avoir reçu une fiche adresse du prisonnier ( deux kg par colis seulement par mois ).

Vendredi 24/01/1941
    La température s'est adoucie brusquement ( 14° ). On étouffe dans nos habits d'hiver. Le feu n'est plus allumé dans la salle à manger.

Dimanche 2/02/1941
    Les tissus sont excessivement chers ; le commerce des chaussures est arrêté ; pour avoir une nouvelle paire, il faut une permission du maire, à qui on montre ses pauvres chaussures. Les cordonniers n'ont presque plus de cuir pour la réparation. Par ici, beaucoup portent des sabots.
    La Garonne monte, il a beaucoup plu et la fonte des neiges a été brusque.
    Cette semaine, nous avons eu une moitié de cochon. Nous avons assisté et aidé au travail de la préparation des divers morceaux de la bête. Mais cela se fait avec beaucoup plus d'art que chez nous, où tout est mis au saloir. Ici, on fait de la saucisse, du boudin, du saucisson parfois ; on met les gros morceaux au saloir ; avec d'autres, on fait des confits, conservés dans la graisse. Il y a encore les grattons qui sont les déchets de graisse. Nous avons mis trois jours pour tout faire. Mais il a fallu le déclarer et des tickets de viande nous sont enlevés jusqu'au poids de la bête ( 60 kg ).

Mardi 4/03/1941
    Il fait un vent furieux : tempête sur la Garonne. Les restrictions nous donnent plus que 240 g de pain par personne ; la viande devient rare. Heureusement, nous avons des cartes de priorité, qui nous permettent d'être servis en premier à la triperie. Une des filles a fait connaissance d'une brave dame qui nous vend des œufs autant que l'on veut.
    Les pêchers sont en fleurs, chez nous ce n'est qu'au mois de mai que la floraison débute ; on gagne ici deux mois de soleil sur le triste Nord, embrumé, humide et sale par la poussière des fumées des cheminées d'usines. On désire rentrer chez soi, évidement, mais quel dommage que nos ancêtres ne soient pas de ces régions si favorisées !

Dimanche 30/03/1941
L'échéance des fins de mois en tickets est dure ( surtout pour le pain et la viande ).
Et le mois prochain, la triperie sera aussi rationnée : nous manquerons de viande !
[ En avril 1941 : arrestation du directeur de la régie des transports de La Réole par la brigade mobile de Toulouse, pour trafic d'essence et de denrées entre les deux zones. ]

Mardi 15/04/1941
    Dimanche des Rameaux, l'église de La Réole était archipleine. On y amène tous les bébés, enfants de la paroisse et des environs. Ils portent de grandes branches de laurier, toutes garnies comme un arbre de Noël de sucrerie, chocolats et même de jouets. Toutes ces branches s'agitent pendant la messe et des enfants pleurent pour avoir les bonbons.
    Le dimanche de Pâques, même affluence ; j'ai enfin vu des hommes en quantité raisonnable communier ! En temps ordinaire, il y en a une petite vingtaine.
Ce pays est si peu religieux, le clergé si peu dévoué !

Samedi 10/05/1941
    Les cartes postales interzones vont être remplacées par d'autres où sept lignes seront réservées à la correspondance. Les réfugiés de zones occupées vont pouvoir rentrer chez eux, mais pas ceux des zones interdites. L'alimentation devient très difficile : peu de légumes frais, 80 g de viande (os compris ), 250g de pain quotidien : nous avons faim ! Le marché noir règne au profit de la zone occupée. On a saisi une yole qui descendait la Garonne avec 22.000 œufs ! Nous avons fait rentrer du bois pour cet hiver, qui nous coûte très cher.

Mardi 27/05/1941
    Le maire a été changé depuis un mois. On découvre de nombreuses malversations. La pluie a été continuelle, temps couvert et maussade ; on gémissait pour les fruits, pour le potager envahi de limaces.
[ En février 1941 : suspension du maire de La Réole, Marcel Grillon, pour mauvaise gestion financière et trop lourds investissements de modernisation de la ville. La promenade des Tilleuls est débaptisée et remplacée par celle du Maréchal Pétain.
    Projets du nouveau maire (désigné : le Dr Boé) : restauration de l'ancien hôtel de ville, construction d'une école de filles, protection de la basse ville contre les inondations, abduction d'eau à Frimont et la caserne des gardes mobiles, forage d'un puits artésien, restauration de l'église Saint Pierre.
    La Réole fait beaucoup d'efforts pour l'assistance et la prévoyance sociale avec ses cinq cents réfugiés lorrains : ouverture d'un centre de secours national avec consultation médicale préventive, foyer pour réfugiés, office de placement, jardins d'ouvriers. Mais la situation financière catastrophique de la ville oblige à faire des économies.
    Le gouvernement Blum avait préparé un plan d'évacuation dès 1937 pour les Alsaciens et Lorrains en cas de nouvelle guerre. Ce plan fut activé le 3/04/1939 : afflux de 500.000 personnes dans le Sud-Ouest. Mais le 28/06/1940, les autorités demandent aux réfugiés de revenir chez eux en zone occupée.
Ceux de la zone libre restent ( environ 500 ) et s'intègrent à la population locale.
À noter que, en Gironde, c'est à La Réole qu'est enregistré le plus fort taux d'engagement de la population et d'élus dans la milice.

 "La ligne de démarcation en Gironde"  Philippe Souleau ]

Lundi 23/06/1941
Depuis trois jours, chaleur torride ( 35° à l'ombre).

Lundi 7/07/1941
50° au soleil depuis plusieurs jours ; on étouffe dehors.
    Dimanche, nous sommes partis en auto ( mon mari a le permis pour tous les jours ) pour cueillir des cerises sur notre cerisier aux Esseintes, des haricots verts, salades ; radis, trèfle pour les bêtes.
    Cette promenade est illégale ( interdiction de transporter des légumes, fruits ).
Nous avons un élevage de neuf lapins, deux canards.

Mardi 15/07/1941
    Toute la semaine, nous avons travaillé pour cet hiver : séchage de pois, de fève, confitures de cerises et d'abricots, conserves de haricots verts. Le temps affreux est revenu : vent, pluie, orages, presque froid. Nous aurons de la viande avec les tickets, la boucherie étant ouverte tous les jours permis ; la ration de pain a augmenté pour les enfants de 14 à 20 ans. Nous sommes encore plus dévorés de puces que l'an dernier. Les enfants sont en vacances.

Dimanche 24/08/1941
    Nous avons fait l'achat de sabots ; il faut des bons pour en obtenir. Il faut encore trouver des caoutchoucs pour poser dessous et des clous (introuvables), puis des pantoufles pour l'intérieur. Il existe aussi des points pour les vêtements (une chemise: 8 points ; un mètre de flanelle : 18 points).

Dimanche 7/09/1941
    La zone interdite va s'ouvrir, mais nous ne voulons pas y retourner : nous avons fait des provisions ici et mon fils pourrait partir au STO ; les deux grandes gagnent leur vie et ont un poste intéressant dans la région. Il y a un mouvement de malaise, de désillusion en France, de désaffection envers Pétain, le discours d'août en est la cause. Il y a bien encore de grandes manifestations avec Pétain, comme la semaine dernière à Agen, où on pouvait entendre les cris : "Vive Pétain".

Dimanche 28/09/1941
    Nous n'avons pas assez de tickets de pain pour finir le mois. C'est effrayant cette situation de mendiants chez le boucher, à la mairie pour un bon de chaussures, chez les épiciers.
    Les petites vont au marché faire le "marché des lapins" : ramasser des feuilles de choux, de salades. Nos deux canards donnent deux œufs par jour, ils se nourrissent de choux du potager. Pour nourrir les lapins, il faut souvent sortir pour remplir un sac d'herbe.

Lundi 10/11/1941
    Nous avons déjà eu terriblement froid, la neige est tombée à Bazas. Les feux (dans les cheminées) marchent, les engelures et les rhumes ont fait leur apparition. Les écoles ne sont pas chauffées et par une température de - 2°, c'est bien dur pour les enfants.
    Aujourd'hui, c'est tout différent, j'écris la fenêtre ouverte ! Depuis la rentrée des classes, fin septembre, le temps a été superbe.
    Ce n'est pas rien d'élever des lapins, mais il faut les tuer. Bernadette s'en va bravement pour l'opération délicate ; elle attrape le lapin et armée d'un couteau lui donne un premier coup, le lapin crie. Bernadette s'énerve, son couteau ne coupe pas, elle fond en larmes, invective le mauvais couteau, puis enfin donne le coup de grâce en versant de grosses larmes.
    Cette semaine, nous n'avons que 125 g de viande par personne, pas de triperie au marché, plus de poisson, plus de lait d'une vache des cousins, dont nous profitions, elle est tarie. Nous puisons dans les réserves.

Dimanche 23/11/1941
    Il n'y a plus de pétrole depuis trois semaines ; les pauvres gens des campagnes et des villes, qui n'ont pas l'électricité, doivent se coucher vers six heures, c'est terrible ! On vend les derniers cierges coupés en trois.
    On distribuait, au dispensaire, de la farine américaine, don généreux des États Unis ; les sacs sont finis et rien n'est là pour les remplacer. Les habits font aussi défaut.
    Le Secours National refait une campagne à l'entrée de l'hiver, mais presque tout a été donné l'an dernier. Comme on peut échanger un vêtement usagé en bon état contre un bon pour un vêtement neuf, bien des personnes vont les conserver, pour faire l'échange en cas de besoin.
    L'appel pour le cuivre (pour les vignes et l'industrie) n'a pas donné beaucoup : un petit tas à la mairie. On craint que cela passe en Allemagne, mais aussi les gens sont trop égoïstes. Dans toutes les maisons, il y a des chaudrons, des casseroles qui servent dans l'âtre et une réquisition donnerait beaucoup plus que chez nous (dans le Nord) où, d'ailleurs, le cuivre avait déjà été pris en 1914 et n'a pas été remplacé. Notre propriétaire était très inquiète de ne plus voir ses cuivres; je les avais montés au grenier, ne m'en servant pas.
[ La Révolution de 1830 empêcha l'érection sur une place de Bordeaux d'une statue de Louis XVI, commandée par la Municipalité de Targon. Cette statue de bronze, gigantesque, resta dans une salle du musée de la mairie jusqu'au jour où elle fut "récupérée" pour être fondue avec les "matériaux non ferreux" sous l'occupation en 1942 – Cahiers du Réolais n°79 ]

[ À La Réole, les clandestins se présentaient au buffet de la gare, où ils étaient pris en charge par le tenancier Chardon, une Alsacienne Sylvia Spehner et un jeune Réolais Denis Pierre. Ils les emmenaient jusqu'à l'hôpital de Marmande. La filière fut démantelée en novembre 1941 par les policiers de Vichy. ]

Année 1942

[ La Réole connaît de sérieux problèmes de ravitaillement à partir de février 1942 : il n'y a plus de pâtes, restriction de légumes et de viande. ]

Début 1942  
Formation d'un groupe de résistance du réseau Wheelwright.
    Formation d'une antenne du réseau Victoire par Gaucher, adjudant au 150e régiment d'infanterie, Jacques Terrible, menuisier et le capitaine Latapy en assurent le commandement. Dislocation du réseau Victoire en novembre 1942. Gaucher se met au service du réseau Wheelwright.
Scandale des passeurs du Réolais éclatant en 1948 à la suite d'une querelle entre deux femmes, s'accusant mutuellement d'être en possession de vêtements et d'objets volés. L'enquête de la gendarmerie de Sauveterre-de-Guyenne se dirigea vers quatre anciens passeurs spécialisés dans le passage de Castelviel : au début, ils réclamaient 150 francs par passage ; en 1942 : 3000 francs par personne. On estime à 30 millions leurs gains pendant l'occupation, qu'ils partagèrent avec des officiers allemands (fourrure, bijoux). Le fils d'une victime accusa ces personnes de la disparition de sa mère. N'ayant pas de preuve, ils ne seront condamnés qu'à dix ans d'indignité nationale. ]

Vendredi 17/01/1942
    Noël nous a tous réunis et la table était bien garnie grâce aux provisions rapportées par Bernadette et son frère. À Béziers, Bernadette a trouvé une place dans le fourgon et à Toulouse, le fourgon s'y arrêtant, elle s'est accrochée à un agent qui a pu la caser, alors que des centaines de personnes restaient sur le quai. À la demande de Pétain, il y a eu un arbre de Noël pour la jeunesse française, grâce à un très beau geste des communes environnant La Réole : des fermiers et des gens de la ville ont fait des colis de légumes, volailles, etc... Cinq cents familles en ont bénéficié, distribués par les scouts.
    Mon mari part demain pour Paris et Roubaix ; il a du attendre plusieurs semaines son permis.
Je n'ose partir en fraude : il fait trop froid et la route en vélo est trop longue. La ligne de démarcation franchie, il reste encore six kilomètres, puis on prend un autobus pour Bordeaux.
    Le ravitaillement est maigre, les portions petites ; pas encore de légumes secs, peu de pâtes, le pain est mélangé de divers produits, mais il y a distribution de pommes de terre plus fréquentes (4 kg par mois par personne). Heureusement j'ai toujours une portion de triperie. En somme, nous mangeons un kilo de viande le samedi et un le dimanche, mais c'est trop souvent du veau peu nourrissant, puis triperie le lundi, sanguette (sang de bœuf ou de veau, cuit) le mardi, pâté le mercredi et parfois du boudin le jeudi. Mais le tout en très petite portion. Il a fait quinze jours de grands froids, neige et gelée (- 4°). On est très rationné en électricité.

Samedi 1er/03/1942
    Depuis deux semaines, réduction de viande et ce mois-ci, au lieu des légumes secs escomptés, suppression des pâtes. La Croix-Rouge veut nous envoyer des vivres, mais les bateaux sont rares.

Samedi 15/03/1942
    Au marché aux animaux à La Réole, les paysans amènent de belles bêtes, parce qu'ils ne peuvent plus les nourrir et ne trouve pas d'acquéreurs : plus de grains, ni de paille, ni de son.
    Le printemps est arrivé brusquement le 1er mars ; on commence à jardiner.
Je cherche du bois, mais c'est dur, car on ne peut transporter que quatre stères à la fois ( il m'en faut vingt ). J'ai cuisiné, pendant trois jours, un demi cochon chez Augereau, où a travaillé Bernadette.
    On le saigne ( cinq hommes le tenaient ), puis on le lave à l'eau bouillante ; on le rase, l'étend, l'étripe (boyaux, cœur...). On fait bouillir les bas morceaux qu'on hache pour mélanger avec du sang.
    La première journée est finie. Le lendemain, on sépare la graisse de la viande ( en gardant les beaux morceaux à part ), on gratte les os, puis on hache la viande et on l'enfile dans les boyaux : c'est la saucisse. Le surlendemain, on fait bouillir la graisse trois heures en remuant presque tout le temps, dans un grand chaudron sur un bon feu de bois dans l'âtre, avec les os grattés ; on les retire et ensuite les bons morceaux sont cuits. Ceux-ci sont ensuite déposés dans une toupie ( pot en terre ) et recouverts de graisse : c'est le confit. Tous les petits morceaux de graisse durcis s'appellent le gratton.
    Jambon, ventrèche, épaule sont mis au saloir plusieurs mois.

Avril 1942
    Le jardin est magnifique, un ouvrier a défriché tout le bas, planté des topinambours, pommes de terre, haricots (pour l'hiver ). Vente de charité des Séminaires : produits de la campagne, broderies, napperons : tout se vend.
    De plus en plus, on fait des échanges en nature : le cordonnier raccommode pour un kilo de beurre, l'épicier glisse de l'huile contre de la volaille, de la mercerie contre des produits de la campagne.

Mardi 20/05/1942
    Dans une armoire, se trouvait en réserve depuis longtemps un bocal de sucre de raisin ( raisiné ) à demi rempli. Toute joyeuse de le trouver, une de mes filles l'apporte pour le dessert. Horreur, une souris gît, noyée : on sursaute, puis tranquillement, on extrait la souris et on se sert !
    Toute alimentation est précieuse.

Samedi 31/05/1942
    Après un voyage, je trouve grande couture à faire : transformation de toilettes, costumes à rétrécir ou agrandir, robe à bâtir, short à coudre, jupe à ajuster, etc... Il est temps que mes filles se débrouillent un peu : en août, la maison sera atelier de couture.

Dimanche 15/06/1942
    Les deux petites sont parties ce matin pour trois mois en Suisse. Depuis le début de la guerre, ce pays accueille ainsi des enfants de toutes nations. Ils y sont admirablement reçus, soit dans des familles, soit dans des homes pour les plus grands. Ils s'y refont une santé et aussi une garde robe.
    Le ravitaillement est serré. Voilà un mois que nous n'avons plus de pommes de terre, on devrait avoir celles provenant d'Algérie, mais le transport est interrompu ; nous mangeons force légumes verts, petits pois, haricots, choux, asperges, salades. Le pain noir est toujours aussi affreux.
    En zone occupée, les Juifs doivent porter une étoile jaune sur leurs vêtements. C'est le début de nouvelles vexations, aussi les fuyards passent de nouveau ici. Rafle du Vel d'Hiv, puis déportation des Juifs de Paris en camps de concentration.
[ Le laisser-passer fut délivré jusqu'en juin 1942 par les autorités françaises, la Dix-huitième armée, dont le siège était à La Réole. Ensuite, ce fut l'administration préfectorale qui prit le relais. Les bureaux de l'annexe de la sous-préfecture de Marmande (zone libre) et du commandement militaire de la Gironde occupaient les locaux de l'ancienne sous-préfecture de La Réole, dans le prieuré des Bénédictins, en zone libre, grâce au chef du groupe de résistance organisé dans l'enceinte de l'hôpital Saint-André de Bordeaux. Un membre du réseau et lui, partirent en voiture jusqu'à Préchac, puis en vélo à Beaulac, prenant un chemin dans les bois pour atteindre Tierange  (?? AL) et le Ciron.
L'oncle du guide, habitant Beaulac, avait prévu un signal : un papier jaune, attaché à un piquet signalait qu'une patrouille allemande venait de passer et que la route était libre pour traverser la ligne de démarcation. Ils se dirigèrent ensuite vers Cudos, puis Grignols où une voiture attendait pour le cacher chez Mme Estève à Montagoudin, où il restera deux ans.
]

Vendredi 25/08/1942
    Après avoir tant souhaité la pluie, on pleure de l'avoir eue : un cyclone s'est abattu sur La Réole et les environs immédiats : vent effroyable, foudre et grêle (de vrais œufs de poule) cassant les vitres, tuiles, couvrant la rue de blanc, puis de verdure des feuilles arrachées, ruinant le tabac, le maïs, la vigne.     Panne d'électricité dès le début. Des arbres ont été arrachés dans la campagne. Pour sauver les fruits touchés, nous en faisons des confitures toute la semaine (avec du sucre de nos réserves).

Mardi 29/08/1942
    Pour la première fois depuis mai, il y a distribution de bois de l'autre côté du pont chez Dupont, contre des bons. Ce fut fait dans un désordre indescriptible, seuls les personnes "costauds" ont pu être servis. Bernadette a vu une femme mordre une autre, des vêtements déchirés, des vieilles pleurer... 
On a du faire plusieurs voyages avec notre brouette.
    Beaucoup de réfugiés (de Meurthe et Moselle, ouvriers de hauts fourneaux) sont partis fin septembre. Trois cents Juifs ont été ramassés dans la région et envoyés dans des wagons à bestiaux plombés vers l'Allemagne. Nous vivons une époque maudite.

Lundi 15/09/1942
    Crise de papier... On va distribuer une carte pour le papier, cela fera une carte de plus. J'ai mis en réserve un cahier pour continuer ce carnet. Les quinze derniers jours de septembre ont été pluvieux, après trois mois de sécheresse.

Samedi 4/10/1942
    De nouveau beau temps : les pommiers refleurissent et une branche de lilas est fleurie !
    Les lois sur les Juifs sont odieuses : on a beau faire confiance à Pétain, il y a des choses bien dures à avaler. "Que les Allemands fassent leurs saletés eux-mêmes, mais que le gouvernement Pétain ne le fasse pas pour eux". Un évêque de Toulouse a écrit une lettre pour protester. Tous les curés l'ont lue en chaire avant qu'elle ne soit interdite.
[ Le 23/10/1942 : Les Réolais croyaient à l'occupation prochaine de leur zone libre ; des bruits annonçaient la réfection d'une liaison téléphonique entre l'aérodrome de La Réole et Langon ( zone occupée ). ]

Vendredi 7/11/1942
    Débarquement des Américains en Algérie. Pétain ordonne la défense. Hier, c'est Madagascar qui tombait aux mains des Anglais. Notre foi en Pétain est soumise à dures épreuves. L'émotion suscitée par le sort des Juifs se calme, comme tout se calme avec le temps, mais les malheureux vivent cachés comme au temps de la Terreur, dans les bois, dans les caves. La situation à Stalingrad est bien fâcheuse pour les Allemands.
    Les champignons ont été très abondants cette année, les enfants allaient les ramasser : cèpes, piples très nourrissants et nous avons fait fête à ces légumes que nous ignorions presque.
    L'arrière saison est superbe, nous n'avons pas encore chauffé la salle.

Mercredi 11/11/1942
    Envahissement total de la France. À notre réveil, nous avons vu passer des troupes allemandes, des camions auto-mitrailleuses et tanks, tandis que l'on entendait sans arrêt rouler des trains.
    Hitler, dans une lettre aux Français, explique qu'il doit préparer la défense de la Corse et de la Méditerranée ; il rompt la ligne de démarcation, en disant qu'il la rétablira plus tard.
    Le calme est demandé aux populations !!

Dimanche 15/11/1942
    Giraud, puis Darlan sont passés à la dissidence. Pétain les dénonce comme traîtres.
Jusqu'à quel point tout cela est-il sincère ? Ne seraient-ils pas secrètement d'accord ?
L'attaque de l'Afrique du Nord par les Anglo-Américains nous laisse perplexe : où sont nos ennemis ?

Mardi 17/11/1942
    Une panne d'électricité, ou plutôt une alerte sans sirène, nous a forcés à aller au lit ; depuis plusieurs jours, nos soirées sont ainsi écourtées, car les Réolais se mettent difficilement au camouflage des lumières ; on préfère couper le courant, chaque fois qu'un avion est signalé.

Samedi 21/11/1942
    Journée de dimanche si belle, si ensoleillée ! Nous sommes allées ramasser les derniers glands chez les cousins. Avec les teintes automnales, le paysage est si joli ; le coup d'œil sur le ruban d'argent de la Garonne est magnifique. Le soir, au coucher du soleil, tout est rose, mauve. Les arbres ont encore leurs feuilles à cause de la grêle de cet été.

Dimanche 29/11/1942
    Sabordage des navires français en rade de Toulon. Ici, une de mes filles a la gale, qu'elle a du attraper à l'école. Nous faisons une lessive monstre de ses vêtements.

Mercredi 9/12/1942
    Depuis six jours, je suis avec trois de mes filles, à l'hôpital : nous avons la gale ; il n'y a plus de médicaments. Nous avons soufré les chambres, fait des étuves, repassages : rien n'y a fait.
    À l'hôpital, les chambres sont chauffées, ainsi que les bains. Voilà trois ans que nous n'avons joui de ce délice ; les enfants vont bien à la Garonne, mais ce n'est pas le même bonheur. Aussi y passons nous un long moment, ensuite on se badigeonne tout le corps.

Mardi 15/12/1942
    Nous avons toujours des démangeaisons, malgré tous les soins prodigués ! Je suis allée voir un médecin, qui nous prescrit une pommade. Peu d'effet, je suis désespérée.

Mercredi 23/12/1942
    Nous partirons à l'hôpital avec nos matelas, couvertures, vêtements pour les passer au formol ( contre quatre litres de pétrole introuvables ! ).

Jeudi 24/12/1942
Messe de Noël à 17 heures.

Vendredi 25/12/1942
    Notre venue à l'hôpital est reculée, un petit malade a la diphtérie. Une dame apprend notre triste sort et nous parle d'un médecin juif caché dans les environs, spécialiste des maladies de peau.
    Elle propose de lui demander son avis. Nous le verrons demain. ( Dr Levy, caché chez Mme Estève ). La journée s'éclaire, l'espoir renaît, nous sommes heureuses.

Dimanche 27/12/1942
    Nous sommes guéries depuis très longtemps : nous n'avons, en fait qu'une simple irritation due à l'Ascabiol employé beaucoup trop longtemps!

[ Le 29/12/1942 : capture, de deux Anglais qui avaient saboté cinq navires dans le port de Bordeaux.
Ils se réfugièrent à l'hôpital de La Réole, mais dénoncés, ils seront fusillés à Paris en mars 1943.
C’est l’opération Frankton.
] Article sur ce blog

[ Pas de ravitaillement de viande en hiver 42-43 à La Réole pendant plusieurs semaines. ]

Année 1943

[ À partir de 1943 : augmentation des prix de la viande, du savon, du pain, du poulet et des pommes de terre. Un boucher de La Réole, coupable d'augmentation illicite de 20% est condamné à une amende de 200 francs, avec publication de sa condamnation dans le journal et sur la porte de sa boutique.
    Une épicière paye une amende de 50 francs pour avoir vendu de haricots 12 francs au lieu de 10 francs. L'abbé Pierre Chaillou apporte son soutien à la résistance ; membre du réseau Wheelwright en 1943, il accueille dans son presbytère de nombreux fugitifs. Il autorise le gendarme Rigoulet (1)  à réunir ses lieutenants dans le prieuré et à emprunter ce bâtiment comme point de passage entre la gendarmerie et les rues adjacentes. Le Dr Chavoix est recruté par Rigoulet pour soigner les blessés éventuels. André Coutheilhas (fils d'un transporteur), adjoint de Rigoulet, met à disposition le camion de son père lors des parachutages. Entre février et mars 1943 : recensement et visite médicale des jeunes nés entre 1920 et 1922, requis au titre du STO. Une trentaine de Réolais sont envoyés en Allemagne, dont Réné Bergegère, directeur de l'usine familiale de balais à La Réole. Redoutant des pressions sur sa famille et ses employés en cas de refus, il se sent obligé d'accepter.
]

[ Pour faire face aux tentatives d’attentats et pour relever les éléments allemands affectés à cette fonction, à partir du 1er/07/1943, le service des gardes-voies est étendu à des civils réquisitionnés qui doivent à tour de rôle assurer la surveillance des voies. Désormais, il est obligatoire pour tous les hommes valides ( de 18 à 65 ans ) habitant villes et villages distants de moins de 10 km des voies ferrées. ]

Dimanche 10/01/1943
12° dehors, temps humide, mais doux.

Dimanche 24/01/1943
    Le ravitaillement est suffisant pour l'instant ; grosse rentrée de charbon en cave ; amélioration de la distribution des denrées alimentaires. 
    Il est arrivé une aventure à l'une de mes filles. Après avoir, à la ligne de démarcation, montré son laisser-passer, elle continue sur Langon. Au retour, elle prend le train pour rentrer à La Réole. Son vélo mis dans le fourgon, elle passe au contrôle à Saint-Macaire : impossible de retrouver son portefeuille.        Les Allemands refusent son passage. Après insistance, elle récupère son vélo et regagne Langon, dont elle va voir le curé pour lui demander l'adresse d'un passeur. Celui-ci la décourage en lui montrant le danger, mais elle insiste tant qu'il lui indique l'endroit le plus facile pour traverser la ligne de démarcation, en fraude. Il fait presque nuit, quand elle aperçoit deux Allemands sur la route. Elle veut se cacher dans le fossé, mais y dégringole avec un bruit de ferraille, le fossé étant plus profond qu'elle ne le pensait. De plus, son vélo brille, elle jette son manteau dessus, demi-morte d'émotion. Pendant ¾ d'heure, elle n'ose bouger. 
    Quand, enfin, un cycliste passe, elle le suit de l'œil : tout va bien, pas d'Allemands dans la guérite. Annette se dépêche de le suivre. Elle arrive à 11 heures du soir à la maison!

    Trois jours plus tard, une main complaisante déposait ses papiers au complet à la maison !

[ Le 1er /02/1943, le collège est réquisitionné par les Allemands et le proviseur doit vider les lieux dans les 24 heures. La Gestapo y établit son siège ; les caves du collège leur servent de salle de torture. ]

Dimanche 7/02/1943
La lutte à Stalingrad est terminée.
La jeunesse est insouciante, les miens n'ont jamais été si gais ; les repas sont souvent bien longs, tant on rit et s'amuse.

Mercredi 17/02/1943
    Une loi ordonne à tous les jeunes, nés entre 1920 et 1923, de travailler dans les usines ou à la terre pour remplacer les ouvriers partis en Allemagne.

Dimanche 21/02/1943
    Il n'y aura plus de ligne de démarcation à partir du 1er mars : plus de laisser-passer, facilité de correspondance, de télégrammes ; retour de cinquante mille prisonniers et deux cent cinquante mille autres seront considérés comme travailleurs libres, avec congé et paiement.
    On est si peu habitué aux bonnes nouvelles que l'on craint la contrepartie, qui arrive rapidement : tous les hommes, nés de 1912 à 1919, doivent, le 4 mars, se faire recenser à la mairie et justifier de leur emploi.

Samedi 6/03/1943
    L'hiver a été d'une douceur incomparable, nous n'avons pas allumé le feu dans la salle plus de quinze fois en février. Notre provision de charbon est à peu près intacte, le bois a moins diminué et déjà on peut mettre les habits plus légers.

Dimanche 14/03/1943
    À Montagoudin se trouve un Juif allemand (M. Rosenthal, qui n’est jamais revenu), qui avait fui en 1938 et depuis était métayer. Il s'était engagé pour la durée de la guerre.
    La semaine dernière, les gendarmes sont venu le prendre chez lui pendant la nuit, car c'est toujours la nuit qu'ils font de telles opérations. Ce malheureux est maintenant dans un camp en Allemagne; il a écrit à sa femme qu'on attendait qu'il y ait assez de Juifs pour être fusillés. Que les gendarmes français acceptent de faire cette sale besogne, c'est révoltant. (Il est mort en déportation).

Dimanche 2/05/1943
    Les raisons qui me forcent à rester ici sont toujours les mêmes : argent, établissement de mon fils.
La question sécurité n'entre plus en cause, puisqu'on craint maintenant plus dans le Sud que dans le Nord : il y a une zone interdite très surveillée le long de la frontière avec l'Espagne.

Jeudi 3/06/1943
    Grosse émotion : la veille de la fête des mères, nous soupions gaiement, quand survint un coup violent à la porte : un gendarme demandait mon fils. J'ai dit que j'allais voir s'il était là (depuis trois semaines, la consigne était donnée aux enfants de dire qu'il était absent ), mais la voiture était devant la porte ! Mon fils le rejoint et le gendarme demande sa carte d'alimentation et ses tickets pour juin.
    Nous sommes abasourdies. Il doit se rendre à Agen rapidement. On prend conseil : obtenir une copie du livret de famille, montrant qu'il est l'aîné de neuf enfants, puis le faire signer par le maire et avoir un certificat de maladie auprès d'un médecin. Je prépare son paquetage au cas nous échouerons.
    À Agen, où je me rends et retrouve mon mari arrivant de Marseille, nous allons à la Préfecture ; il y rencontre un fonctionnaire connu de lui, qui va l'aider pour obtenir une dispense. Il faut attendre plusieurs heures avant de connaître le résultat. Cela réussit et nous obtenons le certificat, indispensable pour récupérer sa carte d'alimentation. Nous télégraphions à La Réole la bonne nouvelle.

Dimanche 11/07/1943
    Débarquement des Anglo-Américains en Sicile.

Dimanche 8/08/1943
    Les voyages deviennent difficiles, parcours allongés de cinq heures pour cause de dégâts sur la voie, car les avions ne chôment pas et l'on voit partout sur le côté des wagons démolis.
   Je reviens de Roubaix avec du tissu de coton. J'envoie mes trois dernières en pension à Châteauroux.
[ Le 19/08/43 : arrestation de Jacques Terrible avec d'autres compagnons de la Résistance, dont l'un réussit à s'échapper ; les autres sont torturés et déportés à Toulouse.
Les 28-29/08/1943 : la Légion de Gironde (pro pétainiste) organise la plus importante manifestation à La Réole (adhésion à Pétain, vivier futur de la milice).
]

Vendredi 3/09/1943
Débarquement des Alliés en Italie, qui demande l'Armistice le 8 septembre.
    Mon mari a eu une mésaventure : son train ayant trois heures de retard, à cause d’un déraillement de train de marchandises (malgré la surveillance) près de Tonneins, il s'est endormi et ne s'est réveillé qu'après La Réole. Il a dû aller jusqu'à Langon et attendre cinq heures le train pour La Réole !

Lundi 1er/11/1943
Deux de mes grandes filles retournent dans le Nord. Les trois petites sont heureuses à Châteauroux.
    Le ravitaillement en légumes est superbe : plus de marchandises que de clients, mais peu de viande  ( parfois 100 g par semaine ). Aussi le marché noir en viande est roi.
    J'ai retrouvé ici, sur les routes, les joies de ma jeunesse : celles du vélo. Je jouis à plein les descentes merveilleuses de ce pays. Lancée en pleine vitesse, sans crainte des autos qui n'existent plus sur les routes, sans leur poussière, j'ai retrouvé mes vingt ans.
[ Le 6/11/1943, une Réolaise, Mme Piboule, menacée d'être arrêtée, s'enfuit et réussit à gagner le Maroc. Infirmière, elle est recrutée par le service sanitaire des FFL ( Forces Françaises Libres ).
Elle participe au débarquement de Provence le 15/08/44
. ]

Dimanche 28/11/1943
Les accidents et attentats de chemin de fer continuent.

Année 1944


Samedi 15/01/1944
À Bordeaux : rafle de Juifs. Tous ceux de La Réole tremblent. 
    Près d'ici, dans un village, en pleine nuit, on vient avertir qu'une rafle aura lieu ; de braves gens vont avertir des familles ; on se divise les enfants ; on cache les grandes personnes dans les maisons, dans les bois, puis le péril passé, tout rentre dans l'ordre jusqu'au jour où l'alerte ne sera pas donnée.

Dimanche 30/01/1944
    Il nous manque quatre jours de tickets de pain et autant de boucherie ; il a fallu trafiquer : échange d'un paquet de tabac contre une carte de tickets, etc... Pour la viande, la boucherie a fermé les yeux, nous bénéficions de l'habitude des grosses rations ; ils ne savent pas que nous sommes moins nombreux à la maison !
[ Le 2 février : on apprend par la TSF que les hommes de 18 à 60 ans et les femmes de 18 à 45 ans vont être affectés au STO. ]

Lundi 14/02/1944
    La Réole connaît, par quatre cents Allemands casernés au collège, les agréments de la présence ennemie ! Le matin, leurs pas et leurs chants réveillent la ville et le pire, c'est qu'ils sont occupés à faire des tranchées sur les coteaux environnant la ville.
    Des jeunes sont réquisitionnés pour les aider. Que prévoient ils ? Des bruits alarmants circulent : on dit que le 15, tous les transports seraient arrêtés, que le 16 l'état de siège serait décrété à travers toute la France, etc...

Lundi 6/03/1944
Mon fils part pour le Nord.
    Les contingents allemands casernés ici sont de plus en plus nombreux ; ils sont dans l'école des garçons en face de chez nous ; on dit que le gymnase ( local de l'Amical laïque ) va être pris à son tour.     Les collégiens ont leurs classes un peu partout.
Des tranchées se creusent, des plateformes pour canons et mitrailleuses se font ; cela devient inquiétant ; on cherche des abris et chambres en ville. Les lettres de dénonciation occasionnent des perquisitions chez des particuliers. Je vais devoir cacher mes cahiers. Les Allemands ne nous laissent pas oublier leur présence : jour et nuit, ils travaillent, font l'exercice, chantent, s'exercent au tir à canon. 
    Les bombardements dans la région, des batailles d'avion, nous occasionnent des réveils de nuit. 
    Trois avions sont tombés près d'ici, huit parachutistes américains ont été arrêtés par la police française…

Vendredi 24/03/1944
    La Réole a eu sa petite émotion de guerre. Une nuit, je m'éveille au bruit d'une bombe. Bernadette a vu un grand jet de flammes, une vive lueur : cela brûle derrière l'école. À la deuxième explosion, tout le monde descend à la cave avec les habits, manteaux, couvertures et la petite caisse aux trésors. Nous nous habillons dans l'obscurité de la cave, ayant oublié de prendre une bougie. On entend encore quelques explosions, moins fortes, puis la sirène ( il y avait une demi-heure que cela brûlait ! ).     Bernadette, qui nous avait quitté, car "secouriste", revient en nous annonçant que ce sont de simples exercices. En fait, c'étaient des bombes placées dans les entreprises travaillant pour les Allemands... 
On craint des représailles, les Allemands mènent l'enquête et ne trouve aucune piste : cela s'arrête là...
Une semaine après : le printemps est revenu avec ses arbres fleuris et les fleurs dans le jardin.

[ Découverte, début avril, après enquête, de plusieurs dépôts d'armes à La Réole.
Le 7/04/1944, le KDS (Police de la sûreté allemande ) de Bordeaux porte un coup fatal au réseau Wheelwright en Gironde en interpellant Rigoulet au bureau de la gendarmerie de La Réole. Emprisonné au collège de cette ville où est installée la Kommandantur, il est torturé. Il sera déporté, mais décédera à l'hôpital de La Réole dans en état de déficience physique extrême le 20/07/1945, après avoir été libéré par les troupes alliées.
En avril 1944, une grave affaire éclate à La Réole :
Deux membres français, agents du réseau de l'Intelligence Service, recherchés pour avoir caché un officier américain, se réfugièrent à La Réole, chez une famille juive. Or, celle-ci était surveillée par une indicatrice réolaise du KDS. Un guet-apens leur fut tendu à Bordeaux. Ils seront déportés à Ravenbrück.
Le 30/04/1944 : une dizaine d'attentats est effectuée sur la voie ferrée entre Agen et La Réole. Le 24/05/1944 : opération de ratissage de La Réole, qui fut encerclée par cent cinquante Allemands ; perquisition de la gendarmerie et de plusieurs maisons ; puis contrôle dans la campagne environnante. Total de la rafle : trois morts, quatre-vingt-sept arrestations, dont soixante-quinze déportés.
]



Dimanche 7/05/1944
Près d'ici, il y a eu lutte entre les maquisards et les Allemands (les gendarmes français n'ont pas bougé).

Samedi 27/05/1944
    La Réole vient de passer de mauvais jours. Un gendarme avait été arrêté pour marché noir, en connivence avec les réfractaires. De plus, les Allemands ont découvert une vaste organisation de l'armée de la Résistance. Huit dépôts d'armes auraient été découverts dans les environs, dont un près de chez nos cousins. Ma cousine trouvait que les avions tournaient la nuit autour de chez elle ; ils étaient guidés par des lueurs lancées d'une lucarne. Encore d'autres dépôts d'armes : à Saint-Pierre-d'Aurillac, à Saint-Aignan, etc... bien des personnes arrêtées. On dit que les Allemands ont soutiré des aveux par la torture.     Cette armée de la Résistance est composée d’un groupe de communistes, mais aussi de tous ces jeunes réfractaires fuyant simplement le STO. Pourquoi le vicaire de notre paroisse s'est enfui ?
    Et le presbytère a-t-il était fouillé ? Les prêtres n'ont pas à prendre parti, car leur ministère doit les amener chez les gens de toutes opinions.
    Jeudi dernier, toutes les issues de la ville étaient fermées et les malheureux, qui se présentaient pour passer, devaient rester sur place et attendre de 8 heures jusqu'au soir !
[ Le 2/06/1944, au carrefour de Villepreux ( Saint-Martin-de-Lerm ), non loin du "trou noir", a lieu un combat entre maquisards et Allemands. ] Communes de la Gironde

Dimanche 4/06/1944
Mes trois filles pensionnaires sont rentrées plus tôt à cause des bombardements sur Châteauroux.
    Leur train a eu une tentative d'attaque de maquisards, mais il y avait des soldats allemands et elle a échoué. Mes filles sont arrivées après deux jours de voyage !
Il y a encore des personnes arrêtées à La Réole pour la même affaire, mais les gens ne parlent pas.

Samedi 10/06/1944
Débarquement anglais sur la côte du Calvados le 6/06/1944.
    Nous arrivons difficilement à suivre l'évolution des troupes alliées, car l'électricité manque presque toute la journée ; on ne peut écouter la TSF. Tout près de nous, des batailles entre Allemands et maquisards se déroulent à Eymet, à Duras. Hier, des auto-mitrailleuses, bourrées d'Allemands sont passées à La Réole pour aller se battre à Lamothe-Landerron.
    Il ne reste presque plus d'Allemands en ville, leur caserne (Le collège) est ceinturée de mitrailleuses et ce matin, ils ont quitté l'école en face de chez nous. Ils ont enterré sur les quais un maquisard, pauvre petit encore en culottes courtes !
    Pour lever des troupes, les maquisards avaient, dernièrement, fait imprimer des ordres de mobilisation. Ils arrivaient dans un village, dont le recensement des jeunes avait été fait, et présentait l'ordre. Les jeunes devaient les suivre avec une couverture et six jours de vivres.     Ce camouflage était si bien fait que certaine mères et épouses se présentèrent à la mairie pour demander l'allocation militaire!

Jeudi 15/06/1944
    Bataille à Lamothe, à Notre-Dame-de-Lorette, à Grignols : huit cercueils allemands et un camion de blessés ont traversé la ville.
[ Souvenirs d’un maquisard de la bataille de Lorette, hameau près de Saint-Michel-Lapujade, le 9/06/1944.
Réfractaire au STO, il entre dans la Résistance au maquis de Lorette. Il s’y trouve le 6 juin, jour du Débarquement des forces alliées en Normandie, avec la mission d’assurer la défense d’un terrain d’atterrissage de troupes aéroportées et du matériel de guerre. Il a déjà participé à des sabotages sur la voie ferrée Bordeaux-Toulouse au niveau de La Réole et Sainte-Bazeille où un pont est détruit. L’objectif est de couper l’avance des troupes allemandes qui remontent vers la Normandie. "J’étais en train de nettoyer un chaudron pour faire de la soupe et en levant la tête, j’ai aperçu plusieurs Allemands à 50 m de la ferme. J’ai aussitôt donné l’alerte".
    Ce jour là ( 9 juin ) sur dénonciation, 130 Allemands, renforcés par une trentaine de miliciens en civil, donnent l’assaut sur la ferme. Les combats éclatent et dureront plusieurs heures. 48 Allemands et 28 miliciens trouveront la mort. 14 maquisards seront blessés, un de tué. Certains se sont sauvés, d’autres furent déportés ; quelques-uns y mourront. Ce maquis cessera son activité à l’automne 1944.
 ]

    En représailles, le château de Lorette et trois métairies ont été brûlés par les Allemands et du bétail perdu. Les enfants du petit Séminaire ont failli y passer ; ils y étaient en étude, leur supérieur les a fait descendre dans la crypte de la chapelle ; puis craignant son éboulement, leur dit de se disperser. Les Allemands, les voyant courir, les prirent pour des maquisards ; le supérieur s'est alors dressé avec une chemise blanche au bout d'un bâton, mais les Allemands continuaient à tirer jusqu'à ce qu'un interprète explique la situation. La Réole est pleine de gendarmes : tous ceux des environs y sont repliés, car ils sont la cible des réfractaires. Ce matin, nous avons vu une belle escadrille d'avions anglais s'avançant en trois formations triangulaires, blanches, brillant au soleil ; les enfants ont compté cent-soixante avions. La TSF - qu'on a pu faire marcher à 8 heures 30 (il faut bien donner de l'électricité pour faire marcher la sirène... un quart d'heure après le passage des avions !!) - parle d'un possible débarquement en Hollande, Belgique, Méditerranée.

Dimanche 18/06/1944
Calme, trop serein, car la sécheresse recommence, terrible.
    Il y a, ce soir, exhibition d'équilibristes à 26 mètres de hauteur, traversant un fil de fer à genoux et poussant une brouette.
    Le cerisier des Esseintes nous a donné de nombreux fruits ; les blés sont superbes. Mais, on nous supprime 500 gr par carte de farine à cause de l’interruption des transports, due aux attaques terroristes.     Tous les Allemands de La Réole sont partis, laissant place à d'autres qui viendraient pour attaquer les maquisards.

Mardi 27/06/1944
L'interdiction de toute circulation automobile, autobus, camions apporte un calme plat.
    En ville, seuls les véhicules allemands passent, parfois en longs cortèges. Autour de La Réole, les Allemands surveillent les routes. Ceux qui sont ici viendraient de Russie et seraient au repos. Ceux sont des Autrichiens (ceux d'avant se disaient Polonais). On a des nouvelles de Rigoulet, ce gendarme arrêté dernièrement. Il est vivant, dans un fort, après avoir été torturé.
Assassinat d'Henriot.
    Le tambour annonce la reprise de la circulation automobile. La Réole pourra donc se réapprovisionner, il était temps pour les légumes ; ce n'est pas les transports en brouette, qui peuvent alimenter une ville. La pluie est enfin venue supprimer l'arrosage du soir et sauver les haricots, salades et pommes de terre.

Vendredi 21/07/1944
La Réole a connu des jours calmes, troublés seulement par de nombreux passages de camions, tanks, hommes, matériels semblant remonter d'Italie.
    Hier, changement : les tanks redescendent vers Marmande ; on dit qu'ils n'ont pu passer à Angoulême, tant les routes et les ponts sont détruits. Ils cherchent une autre route. Des troupes sont revenues occuper l'école en face de chez nous, ainsi que l'hôpital ; on dit qu'Hitler a été victime d'un attentat : il serait brûlé et contusionné. Les distributions du ravitaillement se sont réduites à cause des bombardements des voies ferrées anglais ou des dégâts perpétrés par les maquisards.
    Petite histoire du maquis : trois jeunes filles de Bazas fréquentant les Allemands, ont été enlevées par les maquisards, entièrement déshabillées, tête rasée, une tête d'Allemand peinte sur le ventre, puis relâchées. Cachées dans les broussailles, elles se vêtirent de fougères et arrivèrent dans une ferme où la fermière leur remit un foulard et une chemise à chacune. C'est ainsi qu'elles rentrèrent chez elles. Dans une propriété près de celle de nos cousins, cinq individus armés de mitraillettes sont venus voler des vêtements, des ustensiles de cuisine, des provisions et les médicaments, dont de l'Insuline, vitale pour la fermière, souffrant de diabète. Dans certains endroits, les maquisards ont réparti les provisions des civils entre riches et pauvres. À Monségur, qui est occupé par eux, ils ont du pain blanc, de la viande tous les jours ! Ailleurs, cela va beaucoup plus mal, car c'est la razzia complète.

Mercredi 9/08/1944
    Deux trains de munitions ont été mitraillés : l'un à Lamothe-Landerron, l'autre à Saint-Pierre-d'Aurillac. Enlèvement du capitaine de gendarmerie par les maquis ; échauffourées à Monségur.
    Il y a de la viande toutes les semaines, un peu plus chère, mais en proportion plus grande : un kg le dimanche, une livre et demi d'abats pour les trois plus jeunes, 500 g de hachis au charcutier. Nous avons nos cinq poules, donnant trois œufs chaque jour, plus sept poulets et six lapins en réserve.
    Ma fille est reçue au bachot ; il a fallu deux mois et demi pour la correction des épreuves !
Les Allemands réquisitionnent les vélos de ceux qui passent. Ce matin, ils viennent à domicile : il faut les cacher (bien hauts dans les arbres ! ), préparer le plus vieux avec de mauvais pneus pour le céder, si on vient en demander ; je cache aussi ma machine à coudre. En fait, ce sont les vélos neufs qui sont pris.

Mardi 15/08/1944
    La TSF annonçait hier que les Allemands s'enfuyaient par tous les moyens possibles vers Paris ; or les moyens sont réduits, plus de ravitaillement, plus d'essence pour leurs moteurs, plus de voies ferrées. Ils réquisitionnent des voitures de tous genres, voitures de fermes, bicyclettes.
    Le dimanche 13 août, nous avons fait un pique-nique à Montagoudin, chez Mme Estève par une chaleur de plomb fondu : 30° à l'ombre, sans air, à 150 m d'altitude, avec un horizon superbe, excessivement étendu.
    La propriété est admirablement exposée, mais en ce moment entourée de maquis, qui descendent des bois pour faire sauter les rails : dix-sept mètres vendredi dernier, raccommodés de suite, car les Allemands ont, dans chaque train, une équipe d'ouvriers avec un wagon de matériel. 
    Samedi matin, le " Point-du-Jour" avait été cernée par des Hindous sous la conduite de chefs allemands, visitant à fond la maison pour y trouver des maquisards. Il n'y en avait pas, sauf le docteur Levy qui a eu le temps de s'enfuir en pyjama dans les bois...
    Nous sommes plus près que jamais de la guerre : chaque jour, nous entendons des détonations, des mitraillades ; c'est toujours la voie ferrée qui écope. Au retour de notre promenade, à 10 heures ½, juste à temps pour le couvre-feu, il faisait encore si chaud que les enfants s'étaient déchaussées ; tous les bagages étaient dans la remorque... Hélas, arrivées à la maison, nous constatons l'absence d'une sandale d'une de mes filles. C'est une perte grave, car trouver des chaussures est terrible et très compliqué : nécessité de bons (et on n'obtient pas toujours ce que l'on veut) ; bon donné par la mairie pour : Usage ville, jamais obtenu. Fantaisie avec semelle souple (en lattes de bois, dessus cuir) ou semelle rigide (en bois); sandales (semelles tressées, s'usant en quinze jours) : trois qualités octroyées une fois pour trois ans et avec protection encore !
chaussures à semelles de bois
    Il reste en vente libre des chaussures à semelles de bois, dessus en lanières plus ou moins solides. Ces semelles s'usent rapidement, il faut les garnir de caoutchouc ou de fer, quand on a des clous !
Débarquement des Américains sur la côte méditerranéenne.

[ Le 20/08/1944, Philippe Pétain quitte définitivement Vichy, libérée le 26 août.
Le 21/08/1944 : libération de La Réole. Les Allemands partent rapidement vers Langon. En début d'après midi, le commandant Austin Conte et le bataillon Mickey firent une entrée triomphale dans la ville de La Réole. Plus de cent-cinquante Mongols et Hindous enrôlés dans la Wehrmacht se rendirent alors aux FFI, s'installèrent au collège, qui leur servit de caserne et de prison. Deux femmes furent tondues ce jour-là. Disparition officielle de la ligne de démarcation en août 1944.
]

Lundi 21/08/1944
    De midi à une heure et demi : défilé de troupes allemandes ; ce sont des Mongols en déroute dans toute espèce d'équipages : du coupé de promenade dans lequel s'entassent trois officiers, à l'auto de luxe... traînée par un camion ; il y a des piétons, beaucoup de cyclistes, de cavaliers sur de jolis petits chevaux noirs, des vaches ; des camions de toutes sortes et dans l'un d'eux... un chameau !
    Ce défilé est lent et derrière, trois camions ramassent les retardataires. À trois heures, les Allemands en garnison à La Réole s'en vont ; une fumée abondante sort des cheminées ; ils ont brûlé depuis ce matin : pneus, draps, etc... Ils ont détérioré le reste, mais laissé quelques provisions, des postes de TSF, des machines à coudre.
    À cinq heures, les enfants désirent aller à la plage. Cette fois, je les accompagne, on ne sait pas ce qui peut arriver, le maquis est trop près et des Allemands vont peut-être encore passer…
    Sur la Place du Turon : grande animation, beaucoup de monde... Deux maquisards viennent d'arrêter un homme, d'autres sont à la mairie. Il ne se passe rien d'alarmant, nous partons à la plage ; les enfants sont seules dans l'eau ; en face, flotte le drapeau français sur la gare. Sur la route passe une moto, on entend des cris. Une de mes filles nous rejoint : on se bat à Frimont ; en effet deux colonnes de fumée s'élèvent de ce côté ( le maquis attaquait la fin de la colonne allemande ). Nous rentrons.
    La place du Turon est de plus en plus animée : des autos passent avec des hommes, le fusil en joue ; la foule les acclame ; des cocardes et des rubans tricolores sont épinglés sur les vestons et les corsages. Parfois, c'est un maquisard originaire de La Réole, parti depuis des mois, qui revient ; quelle joie, quelles embrassades : c'est Boë (fils du maire), c'est le Fils Terrible (fils du résistant à la tête d'un réseau sur La Réole), c'est le gendarme Blanchet…
    Au bout de la route, soudain des uniformes allemands : ils arrivent par groupe, les mains en l'air, ils se sont cachés et se rendent... Leurs figures rayonnent de joie : ce sont des Mongols, Indochinois ou autres, embrigadés par les Allemands. La foule applaudit "Vive le Maquis". Et un groupe succède à l'autre ; des maquisards ou des civils les désarment et les conduisent au commissariat.
    Là, des gendarmes ont embrassé les maquisards… Des drapeaux sont hissés, français, américains, anglais, hélas accompagnés du drapeau rouge de la Russie... Jusqu'à la nuit, la foule attendait les autos, les prisonniers allant de la mairie à la place.

Mardi 22/08/1944
    Il y a du monde dans les rues : partout les gens discutent et les autos passent et repassent, des canons de fusils braqués, des revolvers au poing ; des jeunes sont accrochés derrière les autos ou assis sur le capot. On amène au collège, une à une les jeunes filles ou femmes qui ont été trop aimables avec les Allemands ou celles qui étaient employées par eux. D'autres arrestations sont faites : M. C. (juge, milicien), M. P. (milicien pour éviter son départ en Allemagne).
    Sur la place, l'après-midi, un grand spectacle est promis : on va raser publiquement, à deux heures, toutes les femmes prises ce matin, la foule s'amasse pour la séance ; le temps passe ; on ne voit que les autos des maquis qui vont et viennent par plaisir.
À 3 heures ½ : toujours rien ; la pluie se met à tomber, je pars chez les cousins pour prendre des prunes et faire des confitures.

Mercredi 23/08/1944
Libération de Paris par les FFI.
    La Réole est toujours sillonnée en tous sens par les autos ; cette nuit, de grosses détonations ont eu lieu, on dit qu'on se bat à Langon. Nous faisons nos confitures. De temps en temps, l'une de nous va aux nouvelles : l'affluence est toujours la même au Turon. Une affiche en ville, demandant aux jeunes gens de 18 à 22 ans de s'inscrire dans la "milice patriotique", a dû en refroidir beaucoup.
    On voit moins de jeunes se pavaner, casque sur la tête et arme au bras ! Nous les observons au bout du jardin sur une petite terrasse d'où l'on surplombe la route nationale. Un piétinement bruyant nous distrait de nos tâches : ce sont des prisonniers civils, escortés par des gamins et deux gendarmes qui sont conduits en prison. 
    Je pars chez les cousins, ils sont sous le coup d'une forte émotion : les chiens ayant aboyé, ma cousine sort de la maison et aperçoit un homme, le fusil en joue. Elle avance et demande ce qu'il veut. Il a entendu des coups de feu. Devant son étonnement, l'homme se tourne vers le domestique pour avoir confirmation: " Alors, vous avez battu des tapis ? ". Effectivement, la poussière était encore visible par terre. Et voilà comment un absurde racontar peut coûter la vie d'un homme.
    Le soir, nous observons de grandes lueurs dans le ciel : ce sont des dépôts de munitions allemands qui brûlent. On se bat à Langon ; le pont aurait sauté.

Jeudi 24/08/1944
    Marseille est libérée. Nous faisons la lessive, quand l'une de nous, sortie en courses, rentre: "Les Allemands vont revenir". On fait évacuer le Turon, on enlève les drapeaux, les gens retournent chez eux et ferment leurs volets. Heureusement, c'est une fausse alerte ; un coup de téléphone de Gironde/Drop annonce que l'auto contenant des officiers allemands, fuyant, a été arrêtée dans ce village.
    Les gens ressortent peu à peu et interrogent les automobilistes revenant de Gironde. Langon est pris, la bataille est finie. Des blessés sont ramenés, dont deux Allemands.

Vendredi 25/08/1944
Réquisition de logements pour des officiers et leurs hommes chez les cousins.
    À La Réole, les autos passent et repassent ; on a l'impression d'un vaste désordre, d'un gaspillage d'essence, de forces, de temps… Ce soir, au Monument-aux-morts, une cérémonie a donné meilleure impression : devant les troupes du Maquis, avec un semblant de discipline, a eu lieu le salut au drapeau.     Cet après-midi, enterrement deux jeunes du Maquis, tués lors du combat de Langon.

Samedi 26/08/1944
Le ravitaillement est meilleur et les prix ont baissé au grand dam des paysans. Lyon est aux FFI.

Dimanche 27/08/1944
    Un des premiers actes du maquis avait été de mettre les pendules à l'heure anglaise (retarder d'une heure), ce qui avait amené des confusions d'heure pendant la journée. Le tambour annonce le retour à l'heure allemande.
    Bernadette est allée à Saint-André-du-Bois. Il y a trois jours, il y avait encore des escarmouches entre maquis et Allemands. Ceux-ci, à peine partis, les maquis crient à la population "Les drapeaux, les drapeaux", furieux qu'ils soient si lents à sortir. Quelques instants plus tard, les Allemands reviennent ; on les retire précipitamment. Puis le Maquis, de retour, se dépêche de pavoiser à nouveau…
    À La Réole, une dizaine de femmes ont été retenues pour complaisance avec l'ennemi. Le coiffeur est demandé au kiosque de musique sur la place des Tilleuls, il se met en fonction, quand il aperçoit sa femme. Il refuse de la tondre, un autre le fera. Elles sont, de plus, mises en culottes et battues avec des orties... La foule ne réagit pas. 
    Un maquis de La Réole vient, arme au bras, demander notre auto. Je lui indique qu'elle est depuis 1941 chez le garagiste Boë. Les Allemands n'en avaient pas voulu, quand ils ont occupé le garage. Elle servait de lit aux gardes du pont ; les serrures sont démolies, elle est hors d'état de marche, mais ses pneus sont bons.

Mardi 29/08/1944
    Un train passe enfin : c'est l'espoir de la reprise d'un courrier régulier, de ravitaillement, de liberté.
    Six nouvelles arrestations en ville : M. R. (commerçant ) ; M. C. ( chausseur ); M. M fils ( boucher) ; un marchand de cycles ; perquisition chez le docteur Jude, qui est molesté sans égard pour ses cheveux blancs... (Tous sont d’anciens membres du Parti Social Français).
    La ville est en émoi, malgré les améliorations du ravitaillement ; cela ne suffit pas pour rendre les gens confiants dans ceux qui nous dirigent.
    Un jeune collégien de 17 ans, son frère de 21 ans et leur père ont été fusillés dans les environs. On met l'étiquette "collaborateur" à ses ennemis et on est ainsi autorisé à faire disparaître qui on veut.
    J'ai vu le docteur Levy dans son costume militaire de capitaine. Il commandait le Maquis qui s'est battu à Langon avec courage. Comme tous les Juifs, la persécution l'a poursuivi ; finalement, il est passé au Maquis.

Samedi 2/09/1944
Il y aurait quarante arrestations au total, faites en ville.
    Déjà à Bordeaux, on se préoccupe d'incorporer les troupes FFI en unités régulières, d'enlever les armes aux éléments douteux.
Deux jours plus tard : délivrance de Lille et certainement de Roubaix-Tourcoing.
[ Le 6/09/1944, inquiet du désordre qui règne dans les rangs de la résistance, le Général de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française, envoie à Bordeaux son délégué militaire régional, le général Chaban-Delmas. ]

Mardi 5//09/1944
La situation en ville ne s'améliore pas : on emprisonne encore. Pour juger les femmes coupables, il y a parmi les juges un gosse de 16 ans ! 
    Quatre femmes ont encore été tondues dimanche. C'est encore à La Réole que cela se passe le moins mal. À Saint-Macaire, Saint-Laurent-du- Bois, elles ont été promenées nues, parfois fouettées ; l'une d'elle s'est évanouie. Ce sont tous des communistes qui nous dirigent, habitant au collège. On y mange bien, on ne s'entend guère, venant de plusieurs maquis, on se chipe l'essence. 
    Chez Jude, quatre maquis différents sont venus. La perquisition avait été si brutale que Ribera ( par crainte des représailles des FFI ) est venu s'excuser le lendemain et rendre les provisions volées... 
    Celui-ci s'occupe du ravitaillement de la ville. Les FFI essaient d'épurer tous ces groupes, mais ceux-ci ne veulent pas se soumettre. Un des forcenés du premier jour a été reconnu comme un condamné par les Assises ; il a été remis en prison et les autres sont sous surveillance ; gare s'ils pillent... Certains prisonniers sont relâchés: Maixant, Lesbas, Choisnay…

Dimanche 24/09/1944
Les FFI ne doivent plus s'occuper du ravitaillement des populations. 
    À La Réole, ils avaient procuré des pommes de terre en échange de vin, qui, à la longue, pouvait devenir louche. Une nouvelle arrestation en ville : celle du garagiste D., enlevé par un maquis, qui a pillé trois heures sa maison. Ce n'est qu'un peu à la fois qu'on apprend les crimes des premiers jours de la "délivrance"…
     À Savignac, deux notables ont été emmenés dans les bois: M. B. a été fusillé, M. de B. (père de huit enfants) s'est enfui sous la mitraille ; blessé, il a fait le mort. Bernadette connaît une de ses filles.
    Il y a une photo curieuse à la vitrine de Saubat : une femme tondue s'échappe du collège en se laissant glisser du premier étage le long du fil du paratonnerre. Prise, elle a été condamnée à refaire cet exercice dangereux pendant huit jours…
Où Pétain a failli, c'est en ne démissionnant pas quand Hitler a rompu les clauses de l'armistice et a envahi toute la France.

Jeudi 28/09/1944
    Un camion contenant des FFI et agents monte la côte de la prison ; devant cette porte attendent des femmes avec des colis : les prévenus vont être transférés à Bordeaux.

Dimanche 1er/10/1944

Mme Estève a aidé des Juifs, dont le docteur Lévy, qui est retourné à Bordeaux. L'archevêque de Montauban, celui de Toulouse ont élevé la voix aux moments les plus durs. L'un paie encore en Allemagne cette pitié chrétienne.

Vendredi 6/10/1944
On a donné l'absoute à un maquisard enterré par les Allemands le long de la Garonne. 
    Blessé à Lorette, il fut emmené au collège ; il n'en est pas sorti vivant. On ne sait pas son nom. L'autre jour, près de Labarthe, on enterrait un autre inconnu ; hier, c'était à Saint-Exupéry !
Après plus d'un mois de résistance, les Polonais, défenseurs de Varsovie ont cessé de se battre, à bout de vivres et de munitions.

Dimanche 15/10/1944
Hier, les enfants, au collège, attendaient vainement leur professeur de mathématiques...
     Il a été arrêté et conduit en prison ! Était ce un milicien ? Un de leur meilleur professeur de l'an dernier, il ne reviendra plus ; chef milicien, il a été tué en Savoie. 
    Les réquisitions de volailles continuent dans les campagnes, comme au temps des Boches ; on dit que c'est pour La Réole ! Et pourtant, pas une distribution n'en a été faite ! Cette semaine, nous avons touché 30 g de cochon chez le charcutier, qui n'avait pas ouvert depuis trois semaines !... Ce n'est pas mieux qu'avant ! Mais au lieu des Boches, ce sont les FFI du collège, que nous avons à nourrir.
    Ils sont moins nombreux, mais mangent plus encore !

Vendredi 20/10/1944
    Cette semaine, grande amélioration pour le ravitaillement : lait ( trois litres tous les jours ) ; augmentation des rations de pain ; fromage à volonté. 
    Bernadette continue à s'occuper des louveteaux comme cheftaine. Mon mari pense à notre retour dans le Nord ; il ferait réparer la voiture et repartirait avec la remorque bourrée de tous nos bagages. Quel retour inespéré ! Mais, je ne sais que décider, notre hiver, ici, est bien commencé : chauffage, réserves alimentaires, classes faciles avec beaucoup d'heures à la maison, courses vivement faites, proximité de l'église ( chez nous, elle est si loin ! ) ; Bernadette a ses cours d'Arts Ménagers organisés. Voilà que nous sommes attachées à ce pays !

Dimanche 12/11/1944
Mon fils ( qui est fiancé à une fille du Nord ) est repartit dans le Nord avec une de ses sœurs.
     Il ne reste plus que cinq enfants et moi. Nous avons notre hiver assuré quant à la nourriture ; tout est plus facile à trouver : les citrons ont réapparu après quatre ans d'absence ; les matières grasses manquent toujours et le sucre est encore rationné. 
    Nous sommes allées hier, à une jolie séance "Le sport à travers les âges", jouée au profit du Front national (Résistance). Il y a eu des discours, naturellement des appels d'argent pour les familles des fusillés, pour les troupes ( FFI sous-entendu ) non vêtues, non chaussées, qui sont encore dans les Alpes, à Royan, à la Pointe-de-Grave et dans les Pyrénées.

Vendredi 24/11/1944
    Le courrier avec le Nord est rapide : quatre jours seulement, le pont d'Orléans est réparé ; il n'y a plus de transbordement à faire. Metz a été repris il y a huit jours ; Strasbourg est libre.
Six-cents FTP ont été arrêtés à Bordeaux et mis dans des camps, parce qu'ils ne voulaient pas rendre leurs armes. Mon mari est parmi nous pour quinze jours.

Samedi 23/12/1944
En cette veille de Noël, les Français sont anxieux : l'offensive allemande, commencée il y a quatre ou cinq jours, s'avance de façon foudroyante. Nous n'en savons pas plus, car notre TSF est muette.

Année 1945

Dimanche 7/01/1945
L'avance allemande a été vite enrayée, mais non repoussée et ils gardent le pays reconquis.
    Depuis quinze jours, il gèle dur la nuit ; le soleil est bon à midi quand il y en a, sinon nous sommes glacées dans cette grande maison. Et il faut économiser le bois ; nous vivons depuis six mois sur nos réserves. Les départements mettent à nouveau des barrières d'exportation et cela paralyse tout.
    La Haute-Garonne refuse de laisser partir le bois acheté par la ville de La Réole. Je n'ai touché que 75 kg de charbon en décembre, le premier de l'hiver ! Il se présente en boulets, ce qui fait beaucoup de poussière.

Mercredi 10/01/1945
L'offensive des Ardennes étant bloquée, les Allemands attaquent à nouveau Strasbourg et Mulhouse.
    Il gèle depuis quinze jours ; il neige, il vente, j'écris avec des gants, dos au feu, dans la grande salle où nous obtenons à peine 9°.

Jeudi 25/01/1945
L'avance russe a atteint la frontière allemande. 
    J'ai touché le café et 500 g de sucre en tout (ration des deux petites). Mais la viande est presque à volonté, tandis que les légumes sont rares et chers. Nous vivons d'oignons, un peu de carottes, de choux, navets, citrouille. Par contre, on trouve des bâtons de réglisse et de la marmelade de pommes à volonté chez les épiciers.

Vendredi 26/01/1945
    Le froid s'est adouci ici, mais pas dans le Nord ( - 20° la nuit, - 10° le jour ). Toutes les portes et fenêtres sont bloquées, sauf la porte de la rue, gonflée, ne fermant pas, mais sa poignée s'est pliée et cassée. Dans les chambres : - 3° ; à peine a-t-on fini de se laver à l'eau tiède de sa bouillotte, que le gant de toilette gèle.
    Les gens deviennent fripons : une dame a acheté 500 kg de charbon au marché noir : le dessus des sacs était en bon charbon, le dessous est en briques cassées, peintes en noir, arrosées de poussière noire. Un autre achète un kg de beurre, il y trouve une grosse pierre au milieu…

Jeudi 1er/02/1945
    Quel pays, le temps est si beau : 30° au soleil qui brille du matin jusqu'au soir. Nous ne chauffons plus la salle depuis deux jours ; je jardine, les enfants ont pris leurs habits légers.
    Bernadette voudrait trouver un brave cultivateur, elle n'en trouve pas.

Dimanche 4/03/1945
    Nous parlons tous les jours de notre retour, du déménagement compliqué, surtout pour les bêtes (poules et lapins). La voiture est à réparer (pneus, batterie, etc... très difficiles à se procurer ).

Dimanche 25/03/1945
    J'ai trouvé deux pneus. Mon mari revient. Je fais des visites d'adieu.

Mercredi 25/04/1945
    Le grand retour est fait, nous sommes dans le Nord depuis trois semaines. Nous apprécions le confort de l'eau courante, des waters pratiques et surtout le gaz pour la cuisinière ; par contre les courses sont bien plus longues ( Tramway pour Roubaix ou Lille ). 
    Avant notre départ, nous avons remis la maison de La Réole sur son 31 : quatorze salles, plus le grenier et quatre caves à débarrasser ! L'inventaire de la maison s'est très bien passé avec la propriétaire.     Nous sommes partis deux jours après Pâques. Trois de nos filles sont remontées en train. Les deux petites en voiture, conduite par mon mari, qui avait rempli la remorque. 
    Le voyage a été un peu mouvementé : démarrages difficiles de la voiture ; le deuxième jour : pneus crevés. Arrêt à Châteauroux, difficulté de trouver un logement ; nouvelle crevaison le lendemain (quelqu'un, à La Réole, a échangé nos bons pneus contre des pneus à traction animale ! ) ; nécessité de coucher à Vierzon. Quatrième crevaison ; coucher à Longjumeau. Passage par Versailles, coup d'œil au château, puis direction Beauvais, tout démoli. Nous arrivons un samedi ! ( Le dimanche, il est interdit aux voitures de rouler ).
     À La Réole, les esprits sont encore remontés ; après un essai de manifestation contre les relâchés des camps, il ne paraît qu'une seule liste aux élections, personne n'ose se présenter contre les "Résistants".

Dimanche 6/05/1945
Hitler est mort. Bon voyage pour les enfers !

Mardi 8/05/1945
    L'annonce de la fin de la guerre est signalée par la sirène "fin d'alerte" et suivie de la sonnerie des cloches pendant un quart d'heure.

Fin du journal de Mme D.

1- Rigoulet Albert la Réole
    Né le 3 novembre 1904, à Monestier en Dordogne. Membre du réseau Wheelwright, fournit cartes d'identité et cartes d'alimentation. Fait entre au maquis ou passer en Espagne nombreux réfractaires au S.T.O. Reçoit ses ordres de ses supérieurs par l'intermédiaire de Jean Lavigne.
    Arrêté le 7 mai 1944. Emprisonné au collège de la Réole, siège de la Kommandantur, il subit son premier interrogatoire. Conduit le lendemain au siège du KDS, au Bouscat, nouveaux interrogatoires avant d'être déporté aux camps de Dachau, d'Allach et enfin d'Hersbrück.
    Libéré par les troupes alliées le 27 avril 1945, Albert Rigoulet rentre en France le 1er juin 1945 dans un état de déficience physique extrême liée aux privations et décède à l'hôpital de la Réole le 20 juillet.



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