Vieux Noëls du Sud Ouest
Christian Laroque
Journal Sud-Ouest 20-12-1964
Noël : la plus vieille, la plus importante fête de l'année... Les Anciens, Hindous, Persans, Chinois, Celtes, Phéniciens, Romains, ne le célébraient-ils pas déjà le 25 décembre, le feu, annonciateur du retour de la lumière ? Ce jour-là marquait du dieu Mithra la victoire sur les puissances infernales de la nuit. Selon une vue plus moderne, c'était la fin de la course du soleil, qui atteignait le Capricorne et allait reprendre sa marche ascensionnelle, le solstice d'hiver, qui tombe vers le 21.
Le christianisme s'efforça de sanctifier les cérémonies païennes qui avaient lieu, ainsi, au début de chaque grand cycle de la nature, en leur donnant une signification spirituelle. Mais l’ Église des premiers âges ne commémorait pas la naissance de Jésus, elle fêtait sa mort et sa résurrection, sur quoi elle fondait sa croyance. Quand elle s'en avisa, à défaut de précisions dans les Evangiles sur le jour où avait eu lieu l'événement, les dates les plus diverses furent choisies, selon les lieux et les époques : 6 janvier, 23 mars, 19 avril 20 mai. Au IIIe siècle, le pape Jules Ier imposa à toute la chrétienté le 25 décembre. De cette manière, les païens saluaient la renaissance de la nature le même jour que les chrétiens l'éveil de la grâce
Des siècles et des siècles de traditions populaires ne pouvaient être abolis d'un coup. Les charivaris moyenâgeux furent les burlesques et remuants héritiers des saturnales. Telle cette fête des Fous qui se célébrait, la veille de Noël, dans la cathédrale de Dax. L'intrusion de réjouissances plus que profanes dans cette cérémonie religieuse était destinée, à l'origine, à exalter les humbles par une vivante interprétation du Deporit potentes de sede. Une interprétation ouvre la porte à toutes les fantaisies aussi bien, une verve rabelaisienne avant la lettre devait-elle animer bientôt ces clercs, ces prêtres et ces fidèles travestis, dansant et chantant dans le lieu saint. A l'odeur nauséabonde de vieux cuirs, brûlés en guise d'encens, se mêlait le fumet des viandes et des charcuteries consommées sur la nappe de l'autel, où l’on jouait aussi aux dés et aux cartes. - On vit, raconte un chroniqueur, de misérables héros habillés en évêques, mitre en tête et crosse en main, distribuent à la populace hurlante de gaieté des bénédictions des dérisoires.
Dans les campagnes de jadis, la foi. qui n'avait pas été semée sur de la pierre mais dans la bonne terre, avait levé plus droit. Cependant, aux approches de la Noël, subsistaient des époques ténébreuses où l'on tremblait dans la crainte de la mort du soleil, une vague inquiétude, un trouble mystérieux. Les travaux des champs étant suspendus, on se retrouvait seul avec soi-même. à écouter tes murmures de la terre et du ciel. Ces frôlements dehors, le long des murs, des tuiles qui glissaient sans raison sur le toit, quand la nuit tombait, c'était à n'en pas douter les amettes, les âmes du purgatoire, qui se pressaient autour de la maison.
Elles se rapprochaient des humains, pressentant l’instant tout proche de leur délivrance.
Dans cette portion de la Dordogne qui était autrefois limousine, une tradition conseillait d'aller moudre le grain
au besare de Nadau (Noël) le blaet, le mauvais œil, ne viendra surement pas.
Mais, “si par malheur, il nous opprime cela le fera partir”
Toutes craintes se dissipaient avec l'angélus, que suivaient les cibetios, ces petites aubes gasconnes, ce joyeux carillon qui se répétait au long du jour, doux comme un appel d'enfant.
Elles annonçaient Nau, Nadaou, ou Nadal, selon l'appellation patoise de chaque région du Sud Ouest : Noël, en un mot.
Alors, une fièvre joyeuse parcourait les paysages de froidure et souvent de neige. C'était elle qui portait les drolles de ferme en ferme :
Nadaou Sente Nadaou !
Donnez-moi le guiroudeou.
Vite ! Vite !
On leur donnait là des noix et des châtaignes; ici, des épis de maïs parfois, aussi, des nèfles. Dans la Chalosse, on se montrait généreux : des saucisses, de la meture et des michea de Nadau, un pain de millet parfumé à l'anis, s’entassaient dans leur sac.
Du produit de leur quête, ils faisaient deux parts. Avec l'une, ils organisaient un festin : charité bien ordonnée... Avec l'autre, Ils confectionnaient de ces pains à l'anis qu'ils distribuaient à leurs donateurs durant la messe de minuit.
Au début de ce siècle, se perpétuait, en Armagnac, la tradition de ces quêtes dont le but était, avant tout, de ramasser de quoi festoyer. Mais elles étaient faltes alors par des conscrits coiffés du béret bleu, brodé de laines rouges, jaunes, vertes et blanches, sur lequel caracolait un pompon multicolore. Ils visitent foires et marchés du temps de l'Avent, recueillant farine, oeufs. et châtaignes, et chantant;
Trois compagnons sont arrivés
Devant la porte d'un chevalier.
Gentil seigneur, l'eguilloné !
il faut donner aux compagnons…
Un refus était sanctionné aussitôt par :
Dieu vous conserve la santé
Comme l'eau dans un panier percé !
Dans le Gers, par groupes de huit à dix lurons, chaussés de souliers ferrés, ils couraient hameaux et métairies. Le plus solide qui devait être aussi le plus leste, portait le sac contenant les dons car les bandes des divers villages, qui allaient quêter le jour dans le leur, puis la nuit, dans les autres, se rencontraient inévitablement. Et l'on récoltait "force plaies et bosses" au cours des joyeuses bagarres qui s'en suivaient.
Si l'on ne voulait pas faire l'omelette dans le sac ou, plus simplement bre de la bande rivale, il fallait le mettre prestement à l'abri ! Tout ragaillardi par les coups qu'on avait donnés. et par ceux qu'on avait reçus, on se remettait en route, chacun de son côté, en entonnant la chanson rituelle
Bien le bonsoir, braves gens
Et, pour ce soir, et pour longtemps,
Nous sommes les aguillounès
Venez écouter nos souhaits !
Dans le canton de Mirande, le sac était chargé sur un âne. Par manque de gars solides ? Parce qu'on s'y montrait plus généreux que partout ailleurs en pays aquitain ? Peut-être, tout bonnement, pour ne pas se fatiguer inutilement !
Dans l'Angoumois et la Saintonge, un vieux fonds de verte galanterie réapparaissait au cours de ces quêtes du temps de la Noël :
Donnez votre fille,
Qui est à la maison,
Ou seulement la servante :
Nous nous en contenterons !
Chez les Basques, les compagnons de l'Aguilloné ne frappaient, selon la coutume, qu'aux maisons dans lesquelles un enfant était né depuis le précédent Noel. Mais, Ia comme ici, dans tout le Sud-Ouest en ces heures qui précédaient la messe de minuit, c'étaient, les mêmes préparatifs; c'étaient les mêmes coutumes auxquelles on se devait, jadie, de sacrifier sous peine des plus graves désagréments dans le cours de l'année qui allait commencer.
Allègre Allègre ! Ton couvert est mis à notre table, Viens prendre ta part du pain d'allégresse !
Le pauvre ainsi abordé dans la rue ou sur la place du Béarn, du Pays Basque et des contrées de l'Adour, ramené triomphalement au logis, installé face au bouquet de gui placé en son honneur, était le convive de la nuit de Noël, celui qui apportait le bonheur dans ses vêtements en loque..
Chez les Anglais protestants de Bordeaux, l'arbre de Noël était un énorme pied de gui. Les fiancés, s'il s'en trouvait dans la société, en faisaient plusieurs fois le tour et en fleurissaient leur boutonnière ou leur corsage : c'était également un porte-bonheur très apprécié au début de notre siècle. Et quand, le 24 décembre, un jeune homme, Britannique ou non, offrait du gui à une jeune fille, leur mariage était certain dans les douze prochains mois. Aux tenants du célibat, un conseil n'approchez pas de la plante maléfique !
Donc, la nuit descend, la nuit la plus extraordinaire, la nuit la plus longue de l'année avec celle de la Saint-Sylvestre. Avant le coucher du soleil, tous les feux ont été éteints. Un seul dans tout le village, brûle : la lampe du tabernacle, C'est celui-là, le feu sacré, qui va servir à rallumer tous les autres. En foule, on se rend à l'église et l'on en sort avec un brandon qui sera promené à travers champs, jusque sur les hauteurs ou, simplement, devant les maisons en plat pays. Des grands brasiers joyeux vont bientôt illuminer les ténèbres.
En tenant au bout d'une pique des bottes de paille ou des gerbes d'épis de maïs, trempées dans la résine enflammée, on danse, on chante autour du feu nouveau la lumière renaissante des joies retrouvées:
Voici le feu, le feu de Noël
La tripe à la broche,
Le porc as salin
Courage, voisin !
De maison en maison, de village en village, de colline en colline, les feux et les chants se répondent en pays. gascon comme en ces temps très lointains d'avant Jésus, où l'on fêtait le dieu du feu.
Et c'est le brandon allumé à la lampe sacrée qui va servir à rallumer la chandelle.
Oh. mais pas n'importe laquelle ! Celle qui ne luit que ce soir-là mise en réserve depuis le dernier Noël.
L'aïeul se signe, l'éteint et la remet à celui qui le suit en âge. La même cérémonie est répétée par tous les membres de la famille jusqu'au dernier, faut-il encore au berceau. Guidé par sa mère, il serre la chandelle dans sa petite main et va la poser sur Ia table du repas qu'elle éclairera jusqu'à la fin.
Une autre flamme, non moins rituelle, brille dans la cheminée. Elle court sur l'escale gasconne, le mouchos de l'Argoumois, la cosse de l'Aunis le capdares des Landes, le tragao du Gers le castaou du Béarn : notre bûche de Noël enfin, On l'a posée sur les restes de la bûche de Noël passé, qu'on a rallumée avec le feu nouveau, la famille entière est à genoux devant elle et prie avec l'aïeul :
Au nom du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint : que de mort, angoisse et déshonneur soit gardée cette maison !Que ceux qui l'habitent y vivent en paix et santé et, si Dieu ne permet pas qu'on y soit plus nombreux l'an qui vient, qu'il veuille bien qu'on n'y soit pas moins !
Le papi a versé sur la bûche un verre de vin - nous sommes en Gascogne, on s'en douterait ! Partout, dans le Sud Ouest, c'est également la plus belle souche provenant d'un arbre fruitier, qu'on ait trouvée, aussi longue que la cheminée est large et plus grosse possible.
Hé elle doit brûler pas moins de huit jours ! Mais il y a des accommodements avec la tradition et, pour qu'elle fasse le temps, on peut retirer la bûche de la cheminée chaque soir, en se couchant. Le dernier soir, on passe une laine dessous, pour l'enlever. Si la laine casse, on boit un coup. Et l'on recommence jusqu'à ce que le tison soit enlevé au consumé ! Assoiffantes coutumes girondines.
Mais il ne s'agit pas de plaisanter dans l’Angoumois, l'Aunis, la Saintonge et le Périgord, avec cette souche sacrée ! Défense de s'asseoir dessus. Sinon, gare aux furoncles mal placés ! La tradition. bonne fille, fournit cependant le remèdes. aux fortes têtes et aux derrières intrépides passer neuf fois sur une tige de ronce que le hasard a fait pousser par les deux bouts..
Avant de se mettre en route pour assister à la messe de minuit, il y a certains rites à observer encore. Couvrir la bûche de cendres, par exemple. Et aussi couper une large tranche dans le gros pain du repas, que les femmes disposeront bien en vue sar un linge blanc. En pays gascon, on raconte que, quelquefois, la tranche a été entamée par Celui qui se nourrit du pain dur d'un modeste charpentier. La nuit de Noël n'était-elle pas la nuit du Miracle, de tous les miracles !
Mais il ne faut pas abandonner pour autant le pitchoun, seul, dans son berceau, pendant que la famille est à l'église. Cette nuit, la breycho rôde autour des fermes solitaires et abandonnées. Elle pourrait se glisser près du berceau, souffler dessus et prononcer les mots terribles, ceux qui donnent le mal. Aussi l'aïeul veillera sur le nen-nen. Partez tranquilles, mes enfants, à l'appel des cloches ! Non, le vieux ne bougera pas. Oh ! Ce n'est pas lui qui irait, à minuit, voir ce qui se passe et écouter ce qui se dit dans l'étable ! Il sait ce qu'il en coûte aux curieux - à ce bouvier, qui, dit-on, n'y croyait pas. Dans les Landes, chacun connaît son aventure. L'aventure de l'incrédule qui alla écouter parler ses bœufs et ses ânes... Or, ces bêtes, point sottes, qui le savaient derrière la porte, se demandèrent tout haut:
- Que ferons-nous demain matin ?
Et l'une, de répondre, malicieuse
- Nous allons enterrer notre maître.
Pour avoir voulu vérifier le miracle, le bouvier mourut, comme de bien entendu. Il n'est pas bon pour la santé d'entendre s'entretenir, comme des humains, le bœuf et l'âne chaque année, de par la grâce de Jésus, à l'heure même où Il vint au monde, réchauffé par leur souffle !
MINUIT. Toutes les légendes, toutes les pensées, tous les pas tendent vers une étable, dans une grotte... C'est le moment d'interroger le ciel gaston :
- La lune se montrera-t-elle ce soir ?
- Dieu nous assiste !
Malheur ! Si elle n'est pas au rendez-vous de la nuit de Noël, l'agnelée ne réussira pas, dix brebis pourront se réduire à une seule et l'hiver sera long, long.
Voici enfin l'église. Elle est l'étoile de ces campagnes, qui brille de l'éclat des dizaines et des dizaines de bougies collées par leur bout sur le dossier des chaises. qui brille de tous les ors de l'autel, qui brille de tous les regards fixés sur la. crèche.
La plus ancienne crèche du Sud-Ouest est sans doute celle, tout de bois sculptée. de Sainte-Marie d'Oloron. Les pastoures sont en jupe et en sabots. Les bergers, chaussés de guêtres ou vêtus de la pelisse courte, évoquent le Béarn champêtre de l'époque de Louis XIII. Depuis, nombreuses furent les réalisations au goût du jour, qui ne valent pas celles qu'inspira la poésie simple du terroir. Mme Mazel, de Domme (Dordogne), a mis dans la sienne bêtes et gens du Périgord : bouviers piquant leurs bœufs roux, pastoureaux malins, vieilles cassées par les ans. et le poids d'un sac sur l'épaule, la tête prise dans leur fichu noir... En Périgord Noir, un enfant Jésus tournant la tête et vagissant falsait crier au miracle vers 1815. Elles n'ont pas toutes disparu, ces crèches, dont une horlogerie réglait les mouvements, du son d'un orgue de Barbarie…
Un véritable mystère de la Nativité joué par des êtres humains et non par des poupées, était représenté jadis dans les églises du Sud-Ouest. Voici le Béarnais méfiant comme pas un ! il ne veut pas croire à la Bonne Nouvelle, “léchem droumi”
En Gascogne :
Quand les pâtres l'ont su.
Qu'il était un, qu'il était nu,
Touto la neït, n'un courrut.
Toute la nuit, ils ont couru !
Dans la partie limousine de la Dordogne, réveillés par les anges, ils hésitent à quitter leur lit ! La nuit est noire, les ruisseaux débordent... Seul un berger se décide. “Le cœur bondissant d'amour, fait sauter son corps par-dessus buissons, fourrés et wallons”!
- Pendant ce temps, notre Béarnais se demande toujours :
“Et qué quaou lic” ? Voyons, mon brave, ce qu'il faut faire ! Mais vous mettre en route, vous aussi Écoutez le clip-clap des sabots qui martèlent gaiement le sol durci par le froid. Ce sont les caravanes paysannes qui vont, empressées et bruyantes, vers le nouveau-né...
Marchons de ce pas.
Ne nous arrêtons pas
Enguirlandons nos houlettes
De fleurettes
Les musettes
Siffleront toute la nuit en l'honneur
De l'Infant !
Certains, cependant, s'étonnent. N'aurait-il pas été plus simple, plus normal qui vienne au monde au coin d'un louca béarnais ? Et le berger Landais va dire à Jésus :
Qui l’aurait jamais dit,
Puisque Vous deviez naître,
Que Vous n'auriez pas choisi
Lou castet de Bidache ?
.
En Bigorre, en Béarn, la jeune mère la plus édifiante de la paroisse représentait la Sainte Vierge. Elle allait se placer dans le chœur avec son tout-petit: un rôle de tout repos à côté de celui de l'ange annonciateur de la Bonne Nouvelle. C'était un garçonnet en surplis, avec des ailes de toile plissée. A l'aide d'une corde et d'une poulie, on l'élevait dans les airs, assis sur une chaise ou un tonneau, glissant du chœur jusqu'à la tribune où chantaient les bergers !
Dans la partie poitevine des Charentes, longtemps dévastée par le léopard britannique, certain curé adressa à Jésus cette prière :
Fais-nous avoir victoire aux Anglais,
Garde de mal le noble roi François...
En Limousin, on était plus pratique :
Chassez les percepteurs qui sont tous farcis de rèles.
Faites qu'ils en perdent le moule pour cette année et pour toujours
On ne saurait trouver prière plus d'actualité…
La messe de minuit s'achevait dans la pompe des grandes fêtes. Sous le porche. les caravanes de paysans se reformaient à la lueur des lanternes. Bientôt, on allait dégager la bûche de ses cendres. Bientôt, on allait s'attabler devant le repas, jadis maigre en cette veille de Noël, au cours duquel il était de rigueur de manger la merluscado, la morue à l'ail et à la persillade. Et, sur le chemin de la ferme, on entonnait les vieux chants:
Neït de felicitat,
Nuit de félicité,
Qui était tant attendue,
Pour ta bonne venue,
Que le Ciel soit loué !
Claude Terral
Journal Sud-Ouest 20-12-1964
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